03/06/2005
Xavier
Fontanet (Essilor) Nous devons détecter
les talents et les faire fructifier
Pour le président
d'Essilor, la paresse n'a pas lieu d'être dans un monde
concurrentiel. L'entreprise se doit d'offrir plus qu'un cadre
de travail.
A l'occasion du 4ème
congré national de Génération entreprise
(voir la fiche),
Xavier Fontanet, président d'Essilor, a planché
sur la question "Comment faire aimer le travail aux français
?". Le président du comité d'éthique
du Medef revient sur ce thème dans le Journal du Management.
Pour vous, qu'est-ce que le travail
? Un jeu ? Un défi ? Une source de revenus ?
Xavier Fontanet. C'est beaucoup de choses en même temps.
Au début j'ai avant tout travaillé pour être indépendant. Je
me suis marié très jeune, nous avons eu des enfants très jeunes,
mon épouse et moi voulions nous assumer, nous n'avions pas le
choix. Mais le travail a été très vite très intéressant.
Pensez-vous que l'on puisse s'épanouir
comme vous quel que soit son poste dans l'entreprise ?
Bien sûr. Il faut exceller, quel que soit son poste. Chez Essilor,
nous sommes leaders mondiaux (numéro 1 mondial des verres
correcteurs), chacun doit être au top car son salaire rentre
dans le coût du produit, toute la chaîne de coûts doit être
compétitive. Nos ouvriers ont en face d'eux des Japonais, des
Brésiliens, et c'est le même challenge pour les informaticiens,
les vendeurs, les chercheurs, les assistantes, les PDG ! Chacun
a sa place et son rôle. J'admire cent fois plus une bonne assistante
et une femme de ménage professionnelle qu'un manager médiocre
aussi diplômé soit-il.
Le livre de Corinne Maier, "Bonjour
Paresse" a rencontré un succès inattendu. Les papiers sur le
malaise des cadres se succèdent. François Dupuy, sociologue,
vient de publier "La fatigue des élites" (lire
l'interview).
Que se passe-t-il ?
Le livre de Corinne Maier
Ce livre n'est possible que parce
que Corinne Maier travaille dans un monopole et que les clients
de son entreprise sont, pour l'instant, captifs. Chez Essilor,
avec la concurrence que nous avons, ce serait impossible. De
tels comportements mettraient l'entreprise même en danger. J'ai
entendu des gens chez Essilor dire : "C'est une honte d'écrire
des choses pareilles !".
Les gens sont réalistes
et savent qu'il faut travailler"
|
Constatez-vous une perte de sens
dans l'entreprise ? Comment donner du sens au travail ?
Je ne constate pas ce type de comportement autour de moi. Je
connais le monde concurrentiel, nous ne vivons que si nous arrivons
à vendre, nos recettes de demain sont la qualité du travail
d'aujourd'hui. Dans ce genre d'environnement, qui est le nôtre,
les gens sont réalistes et savent qu'il faut travailler. La
cohabitation quotidienne avec les Indiens, les Coréens, les
Thais et les Chinois vous remet les idées en place. Si nous
ne sommes pas performants, nous serons balayés. Nous faisons
des enquêtes chaque année auprès de 4.000 personnes tirées au
sort dans le groupe et dans tous les pays. En général les résultats
sont très encourageants.
Quel est aujourd'hui le contrat
moral entre une entreprise et ses salariés ? Cette relation
évolue-t-elle ?
Il est certain qu'une entreprise est une communauté humaine
et un des lieux privilégiés où se forment les personnalités.
Nous devons aux collaborateurs plus qu'un cadre de travail.
Nous devons détecter leur talent et le faire fructifier. Les
gens doivent progresser. Quand on a la chance d'être leader
mondial c'est nécessaire et naturel si on veut tenir son rang,
car en face vous avez des concurrents redoutables avec des employés
remarquables. Un génie sommeille en chacun de nous, l'entreprise
doit le révéler et le faire grandir. Voilà le contrat moral.
C'est même la condition pour que notre pays continue à
progresser.
Chez Essilor, nous donnons
accès au capital de l'entreprise"
|
Certains grands groupes ont vu leurs
profits augmenter considérablement sans que les salariés en
bénéficient. Comment l'expliquez-vous ? Est-ce éthique ?
Il faut que le personnel ait accès aux résultats de l'entreprise,
cela me semble normal, mais, dans les mauvaises années, il faut
admettre qu'il n'y ait pas d'intéressement. Le profit n'est
pas assuré. Quand l'intéressement baisse ou est à zéro, c'est
toujours là qu'on a de bonnes explications et que l'on voit
ce que les gens ont au fond du cur ! Chez Essilor nous allons
plus loin, nous donnons accès au capital de l'entreprise à nos
employés. C'est, à mon avis, la réponse à toutes ces questions
sur salaire et profit. Mais il faut que les employés acceptent
de porter le risque de l'entreprise, c'est-à-dire de souffrir
dans les mauvais moments. Porter ensemble le capital d'une entreprise
renforce la solidarité, cela permet de bénéficier à plein de
la bonne marche et de bien comprendre les mécanismes économiques.
Et c'est la meilleure réponse à donner aux adversaires de l'entreprise
qui sont nombreux en France.
Quel est votre salaire ?
Mon salaire est indiqué dans le rapport annuel. Il était
de 650.000 euros en 2003 payés en 2004, dont 60 % de fixe,
40 % variable et 50.000 stock-options. Tout ceci avant
impôt, sachant qu'il faut tout diviser par 2,3 environ pour
obtenir la somme aprés impôt.
En quoi consiste votre travail au
comité d'éthique du Medef ?
Nous avons rédigé un guide sur la rémunération des dirigeants.
Autre activité du comité d'éthique à laquelle nous tenons
beaucoup : nous invitons des chefs d'entreprise pour discuter
de la façon dont se posent les problèmes d'éthique dans
leur propres entreprises. C'est très intéressant de se confronter
au réel dans ces affaires. L'éthique, c'est concret et cela
concerne chacun d'entre nous.
La fiscalité des dirigeants
est complètement confiscatoire"
|
Que pensez-vous des indemnités de
départ de Daniel Bernard ?
Les indemnités de Daniel Bernard ! Sur ces sujets délicats,
un effort est nécessaire de tous les côtés. Il faut de la modération
du côté des dirigeants. Il y a de nombreux dirigeants qui ont
des comportements exemplaires et dont vous ne trouverez jamais
les noms dans les journaux, j'en connais énormément. Sur ce
point, il faut aussi que l'Etat se modère. La fiscalité des
dirigeants est complètement confiscatoire. Il faut diviser tous
les chiffres qu'on lit dans les journaux par 2,3 environ. Cela
n'excuse pas les comportements excessifs mais explique
les départs de bon nombre de dirigeants dans d'autres pays.
En même temps, il faut faire attention à la jalousie qui est,
à mon avis, le gros défaut des Français. Devant un salaire de
PDG, les Américains diront "Formidable, je peux peut-être y
arriver un jour si je suis bon, c'est motivant". Je ne suis
pas sûr que les Français aient ce comportement. Je comprends
l'émoi de mes compatriotes devant des sommes déraisonnables
payées à des gens qui n'ont pas performé, je constate aussi
qu'ils acceptent les salaires des PDG très performants. Nous
sommes en train d'apprendre la transparence.
Comment vivez vous au quotidien
la pression des actionnaires ? Suivez-vous en permanence le
cours de bourse ? Cette pression est-elle motivante ? Stressante ?
La pression est forte
Mais si on veut être PDG, il faut l'accepter,
on est là pour cela. C'est tout à fait normal qu'il y ait cette
pression, de grosses sommes nous sont confiées et nous sommes
responsables de communautés humaines importantes. N'oublions
jamais que cette pression n'est que le reflet de celle des fonds
d'investissement qui, elle-même, reflète la pression des retraités
qui ont besoin des dividendes pour vivre. J'ai appris à vivre
avec le stress. Sans un minimum de stress, je n'arrive pas à
travailler. Je suis comme les sportifs, j'ai besoin de la compétition
et des grandes circonstances pour donner ce que j'ai. J'essaye
de transmettre cette approche aux équipes. Quand vous dominez
votre stress, vous vivez beaucoup mieux. Mais c'est tout un
apprentissage, une sorte d'ascèse. Si on veut vivre libre, il
faut accepter d'affronter le stress. Si on veut être sûr du
futur, il faut abandonner sa liberté. Personnellement, je ne
le pourrais pas.
La délocalisation c'est
nous-mêmes, en tant qu'acheteurs, qui en sommes les acteurs"
|
La peur des délocalisations vous
paraît-elle justifiée ?
Les délocalisations sont très très mal expliquées et surtout
on ne parle pas du facteur temps. Ce sont toujours des situations
catastrophiques qui n'ont pas été anticipées ou dans lesquelles,
pour toutes sortes de raisons, on a tardé à réagir. Chez Essilor,
nous avons commencé à mettre des usines en Asie il y a vingt
cinq ans et, en anticipant les problèmes, nous n'avons pas eu
de perte d'emplois en France ! Nous avons fait beaucoup mieux,
nous avons même réussi à transformer la nature de l'emploi en
passant progressivement d'un emploi fondamentalement ouvrier
à l'emploi d'informaticiens, d'ingénieurs et de chercheurs.
Je dis toujours : "Les enfants de nos ouvriers doivent devenir
ingénieurs, l'éducation est là pour cela". Quand on parle de
délocalisation, les vrais sujets sont la capacité à anticiper
et la qualité du système éducatif. Bien sûr, si l'on bloque
les évolutions des entreprises, on crée les problèmes à terme.
Combien de catastrophes récoltons-nous aujourd'hui parce que
nous avons attendu trop longtemps ? N'oublions pas que
si les entreprises délocalisent, c'est que nous-mêmes, en tant
que consommateurs, nous voulons acheter moins cher. C'est nous
qui achetons les produit chinois. La délocalisation c'est nous-mêmes,
en tant qu'acheteurs, qui en sommes les acteurs.
Pourquoi n'êtes-vous pas candidat
à la présidence du Medef ?
C'est une énorme responsabilité. Je ne suis pas candidat parce
que la présidence du Medef est complètement incompatible avec
ma responsabilité de PDG. Je voyage tout le temps. D'ailleurs
les gens ne mesurent pas l'effort qu'ont fait Ernest Antoine
Seillière, Denis Kessler et Denis Gautier Sauvagnac. Ce sont
des gens extraordinairement dévoués que j'admire. Les candidats
aussi. Je ne suis qu'un PDG salarié, l'entreprise ne m'appartient
pas et je ne m'appartiens pas. Je dépends de mon conseil d'administration
qui m'a signifié que l'entreprise avait besoin de moi. Un président,
c'est avant tout quelqu'un qui est au service de l'entreprise
et des actionnaires.
Parcours
|
Ingénieur
civil des Ponts et chaussées, Xavier Fontanet a
débuté sa carrière au BCG. Il a ensuite
occupé le poste de directeur général
chez Bénéteau. Après cinq années
dans la restauration, il a rejoint le groupe Essilor dont
il est aujourd'hui président. Il est aussi président
du comité d'éthique du Medef. |
|