07/09/2005
Par
Raymond Vaillancourt (Prospect Gestion) Envisager le changement
comme une interaction
Consultant
en gestion stratégique et prospective, Raymond Vaillancourt
s'intéresse au changement, qu'il aborde non
comme un processus mais comme une interaction.
La plupart des managers ont
tendance à envisager le changement comme un processus qu'il
faut articuler jusque dans les moindres détails si l'on ne veut
pas se laisser surprendre par ce dernier. Ce faisant, ils satisfont
leur vision cartésienne de la gestion, mais handicapent sérieusement
la possibilité de faire du changement envisagé, un succès. En
effet, tant et aussi longtemps que l'on envisage le management
comme une activité essentiellement rationnelle, il est évident
que la réussite du changement va reposer, dans l'esprit de ceux
qui l'enclenchent, sur une planification serrée et aussi explicative
que possible. Cette approche repose sur l'illusion que les personnes
changent parce qu'elles sont convaincues de le faire !
Dans les faits, les personnes ne changent que parce que l'interaction
qu'elles s'efforcent de maintenir avec leur environnement, tant
interne qu'externe, ne peut se poursuivre comme auparavant.
Ainsi, dans la recherche d'un nouvel équilibre, elles se font
à l'idée qu'il va leur falloir changer pour rétablir une interaction
satisfaisante. De plus, elles vont chercher cette satisfaction
dans une interaction qui joue sur trois niveaux : leur image
d'eux-mêmes, leurs rapports avec les autres et le rapport avec
leur travail ou leur poste.
Une interaction avec l'image
de soi
C'est l'élément principal du changement et celui dont on
fait habituellement moins de cas en management. Cela paraît
normal dans la mesure où ceux qui proposent, voire imposent
le changement s'organisent pour ne pas être affectés par le
changement. Qu'il s'agisse de mettre en uvre une nouvelle organisation
du travail, un redéploiement des postes sur le terrain, une
modification des tâches ou tout autre forme de réorganisation,
si le mandataire du changement n'est pas conscient qu'il affecte
ainsi l'image de soi des individus, il risque de ne pas comprendre
la portée des obstacles qu'il rencontrera dans la mise en uvre
de ce qui lui semblait, tout compte fait, une formalité.

Toute modification des
rapports aux autres rencontre une opposition tenace"
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Or justement, le bouleversement de l'image de soi n'est pas
une formalité et quiconque a dû subir un changement important
peut en témoigner. Tant et aussi longtemps que les managers
ne sont pas partie prenante du changement proposé à leur organisation,
ils ne seront pas en mesure de bien comprendre ce dont il s'agit.
En vivant le changement de l'extérieur, ils assimileront les
obstacles à de la résistance et seront alors disposés à mettre
en action toute la panoplie de moyens pour "casser"
cette résistance. Ils réussiront peut-être (toute personne normale
finit toujours par se lasser de résister), mais au détriment
du climat de travail et partant, de l'efficacité de l'organisation.
Une interaction avec les autres
Plus encore que l'image de soi, les rapports que les individus
entretiennent avec les autres au travail revêtent une importance
telle que toute modification à ces rapports rencontre une opposition
tenace. Il suffit que l'on annonce une reconfiguration d'équipe,
par exemple, pour que les individus y voient là une atteinte
à leur droit. Cette réaction s'explique par le fait que l'organisation
ou l'entreprise peut être vue comme une microsociété dans laquelle
les rapports entre individus reflètent un fragile équilibre
dont doivent être conscients les managers. Il leur suffit de
se rappeler ce qu'eux-mêmes vivent lorsqu'une réorganisation,
découlant d'une fusion par exemple, vient directement les toucher.
Malheureusement, lorsque vient le temps de mettre en branle
un changement majeur, ils ont tendance à l'oublier et s'étonnent
de voir monter aux barricades les individus pour des raisons
qui peuvent leur sembler futiles.
Car, en réponse à une vision rationnelle du changement, les
individus touchés par ce changement auront tendance à avancer
des motifs rationnels de s'opposer à ce qu'on leur demande.
Ils feront ainsi valoir leur opposition par le biais du plus
puissant attracteur qui saura récupérer leur déséquilibre et
ce, surtout si les managers, n'y prêtant aucune attention, se
retrouvent davantage orientés sur les tâches que sur les personnes.

Le changement est d'abord
et avant tout une attitude de l'esprit"
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Une interaction avec son poste
Finalement, en raison du fait qu'au sein de l'organisation
ou de l'entreprise, les rapports que nous avons avec nous-mêmes
et avec les autres transitent par le poste que l'on occupe,
il est évident que toute tentative de modifier ledit poste aura
des conséquences importantes sur l'interaction que nous entretenons
avec ce dernier. Ce qui paraît évident lorsque l'on parle d'enrichissement
des tâches ne semble pas rejoindre les managers lorsque ceux-ci
mettent en place une réorganisation des tâches qui affecte directement
la teneur des postes. Ce faisant, ils obligent, sans en être
pleinement conscient, les individus à établir une nouvelle interaction
avec le poste qu'ils occupent, affectant par là l'image qu'ils
ont d'eux-mêmes et leurs rapports avec les autres dans l'organisation.
Cette complexité du changement que d'aucuns pourraient assimiler
à de la complication qu'il suffit de fractionner en petites
parties (selon une approche graduelle qui vise tout d'abord
les noyaux les plus faibles) fait ressortir l'importance pour
les managers de maintenir à son égard une relation où la perception
des uns et des autres joue un rôle capital. Or tant et aussi
longtemps que ces derniers perçoivent le changement comme extérieur
à eux-mêmes, il est évident qu'il leur est difficile de comprendre
cette dynamique.
En conclusion
De nombreux conflits de travail naissent de cette incompréhension
du rôle de l'interaction dans le changement. De grands détours
aux conséquences fâcheuses pour le climat organisationnel pourraient
être évités si les managers comprenaient que le changement est
d'abord et avant tout une attitude de l'esprit, une ouverture
à l'apprentissage qui ne peut être en place que si les individus
ont la perception que ceux qui commandent le changement y sont
eux-mêmes confrontés. Autrement, comme on le voit malheureusement
trop souvent, les victimes du changement auront la perception
que les managers cherchent à les "casser" et feront
tout en leur possible pour que cette perception ne vienne en
aucune façon entacher leur vision d'eux-mêmes, de leur relation
avec les autres et de leur rapport avec leur poste. S'ils n'y
parviennent pas, leur motivation en sera profondément affectée
et se répercutera sur l'efficacité de l'entreprise ou de l'organisation.
Pour les managers, le changement n'aura pas rempli ses promesses.
Ils songeront donc à en imposer un autre...
Parcours
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Titulaire
d'une maîtrise en psychologie et d'une maîtrise en administration
publique, Raymond Vaillancourt uvre au Québec principalement
auprès d'entreprises privées et d'organisations publiques
en processus de transformation. Il s'intéresse à l'utilisation
de la théorie du chaos et de la complexité dans le management
du changement. Manager pendant plusieurs années dans
le domaine de la santé, il collabore avec plusieurs
institutions (École nationale d'administration publique,
Hautes études commerciales, École nationale de
police du Québec) et a publié plusieurs articles tant
au Québec qu'en France. Il est président de Prospect
Gestion, une firme conseil en gestion stratégique
et prospective et vient de faire paraître, aux Presses
de l'Université du Québec, "Le temps de l'Incertitude
: du changement personnel au changement organisationnel".
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