12/10/2005
La
chronique de Gérard Pavy Le choc anaphylactique
du manager !
A
lire
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Gérard
Pavy est l'auteur de "Dirigeants/ salariés,
les liaisons mensongères" (Editions d'organisation,
2004)
>>> Consulter
les librairies |
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Les annonces de restructuration avec leur lot de réductions
d'effectif donnent à chaque fois, à juste raison, une vitalité
nouvelle aux mouvements sociaux et aux débats d'idées sur la
nature et les fonctions de l'entreprise.
Quelles clameurs entend-on à propos de l'entreprise ? D'un côté,
l'entreprise encense son personnel pour l'utiliser, en fait,
comme une simple variable d'ajustement en cas de crise économique.
De l'autre, les salariés, qui protestent pourtant de leur implication,
ont perdu en réalité le sens des valeurs fondamentales que sont
le travail et le respect de la hiérarchie. Où est la vérité ?
Décryptons le script de ce "reality show" quotidien. Pour y
voir clair, il faut faire chuter des mythes ou préjugés latents
qui nous voilent les yeux.
Six personnages en quête
d'auteur
D'abord, l'individu n'est pas un adorable agneau ingénu
à la merci d'une organisation dévoreuse, l'ogresse et son complice
l'égoïste patron. Non, tout individu (simple salarié, manager
ou dirigeant) a aussi des convoitises, sources de conflit :
il désire ce que l'autre a. L'agneau se transforme en loup,
d'autant plus agressif dans la réalisation de son désir que
l'autre n'a aucune raison de lui céder.
Définitions
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Anaphylaxie
: forme d'allergie aiguë, dont les symptômes
apparaissent immédiatement après le
contact avec l'antigène.
Choc anaphyactique : choc dû à
une allergie.
Le Petit Larousse (2005) |
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Ensuite, l'entreprise n'est pas une gentille association de
bienfaisance, mère protectrice, vouée à l'épanouissement de
ses ouailles. L'entreprise est avant tout une machine qui doit
fabriquer de la valeur ajoutée et faire du profit pour survivre.
Pour qu'elle marche bien, les comportements des uns et des autres
doivent être correctement en ligne avec les processus de travail.
L'entreprise n'en a donc rien à faire des désirs et autres frustrations
vaporeuses des salariés.
Agneau, loup, variable d'ajustement, ogresse, mère protectrice
de ses ouailles, machine : avec six personnages pour deux rôles
on comprend que le metteur en scène putatif de ce "reality
show" soit en butte à un sérieux problème de casting !
Aidons-le à simplifier cet impossible scénario.
D'abord, les hommes reprochent à l'entreprise de ne pas faire
leur bonheur. Mais elle n'a pas à le faire ! Elle sera
toujours insatisfaisante pour ceux qui y cherchent une raison
à leur manque. Voici la trame en quatre temps du vaudeville
classique qui s'applique ici.
Un, j'idéalise quelqu'un (ici, l'entreprise) qui vient combler
ma faille, mes insuffisances.
Deux, cet autre n'est évidemment pas à la hauteur de mon rêve.
Trois, résultat, je suis déçu.
Quatre, ô miracle, un produit dérivé qui me réconforte surgit
: le "j'ai trouvé une bonne raison pour qu'on me plaigne" et
cet autre devient ainsi mon bouc émissaire ! Apprenons à ne
pas faire de projections idéalisées sur l'entreprise et encore
moins sur nous mêmes.
Vous citez les mots "émotions"
ou "humain" et votre interlocuteur manager voit rouge"
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Il est vrai que l'entreprise tombe souvent dans le panneau,
trop souvent pour que ce soit totalement innocent. Elle prêche
des valeurs d'équipe et de solidarité, elle subventionne les
arts et l'humanitaire, elle se vante de promouvoir les compétences
des salariés. Et, au premier coup de froid, elle délocalise
ou dégraisse, fissa, en écornant, sans s'émouvoir de ses contradictions,
les valeurs par ailleurs honorées. L'actualité nous en apporte
chaque jour la preuve : aujourd'hui HP, Daimler-Chrysler, ou
La Samaritaine, et demain, à qui le tour ? La machine éclipse
la mère protectrice d'une communauté. Ce n'est pas parce que
les gens ont besoin de croire dans une entreprise humaniste
qu'il faut mettre le plat au menu, en sachant qu'on ne pourra
pas le servir. En ce sens, l'entreprise joue aux apprentis sorciers
en attisant des attentes et des désirs auxquelles elle n'aura
de cesse de se dérober.
Le choc anaphylactique du manager
Ensuite, il reste à comprendre comment l'entreprise, constituées
d'hommes et de femmes, en arrive à fonctionner comme une machine
impersonnelle. Cela signifie que des gens, managers et collaborateurs,
acceptent, en grand nombre, d'en être que de simples rouages.
Eh bien oui ! Et, en fait, l'entreprise n'y est pas pour grand-chose.
L'homme se met, un peu, en esclavage tout seul. Comment ? Sous
la pression des autres !
Observons comment un manager se comporte (*).
Tout est cohérent puisqu'il maîtrise la situation, il arbore
toujours un visage lisse car tout se passe bien, mais il reste
sur ses gardes et il faut qu'il ait l'air de faire quelque chose
d'important, il ne reconnaît que les données chiffrées et il
nie les écarts tout en prêchant des valeurs auxquelles il ne
croit pas vraiment. Pour ne pas offrir de faille dans un système
semé de pièges, il est le premier à se doter d'une carapace
impersonnelle. Dans certaines entreprises cette dépersonnalisation
est devenue une seconde nature au point que toute trace de "psychologique"
a disparu. Vous citez les mots "émotions" ou "humain" dans votre
propos et votre interlocuteur manager voit rouge ! Introduire
de l'humain crée un choc anaphylactique. Il y a allergie, car
le manager n'est pas sans savoir que, cette part de l'humain,
il la comprime en lui pour tenir son rôle... à un certain coût.
Il est un rouage dans la mesure où il a intériorisé et fait
siennes certaines des contraintes de la machine.
Après la pluie, le beau temps
En quoi le scénario se simplifie-t-il ? En ceci que
c'est à chacun dans l'entreprise d'adapter son comportement
en fonction de cet environnement et en évitant ces deux écueils
fréquents : soit tout attendre de l'entreprise pour rejeter
sur elle tous les maux, soit abuser de la raison pour couvrir
ses jeux propres politiques et n'avoir, en fin de comptes, que
le cynisme comme échappatoire. Se laisser guider par la lucidité
apporte à soi-même trois grandes satisfactions : cécité diminuée,
angoisses repoussées, sérénité retrouvée. Bref, après la pluie,
le beau temps !
(*) Voir "Moi, manager",
S. Bellier et H. Laroche, Dunod, pour une observation fine du
manager saisi aux confins de sa subjectivité et des attentes
de l'organisation
Les précédentes
chroniques de Gérard Pavy :
Je
me torture et j'aime ça
Vivement
la révolte des cadres...
Les
dessous chics et psychiques du "non" à l'Europe
Influencer
les autres : fausses pistes et bons leviers
Sans
l'inconscient, l'entreprise n'avance pas
"Entreprises,
frustrez votre personnel, c'est pour son bien"
"Les
dirigeants sont des obsessionnels, les salariés des hystériques"
Parcours
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Gérard
Pavy, 51 ans, est consultant, sociologue, et psychanalyste.
Il dirige Pavy
Consulting, société de conseil et formation en management.
Il est par ailleurs chargé de cours au sein du MBA HEC.
Il est également l'auteur de "Dirigeants/
salariés, les liaisons mensongères" (Editions d'organisation,
2004 >>> Consulter
les librairies) et de "La logique de l'informel"
(Editions d'organisation, 2002). Avant de fonder Pavy
Consulting, il a été vice-président d'Aon
Management Consulting, directeur général de Celerant
Consulting France et senior manager cherz Accenture.
Gérard Pavy a collaboré pendant dix ans avec
Michel Crozier.
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