Journal du Net > Management >  Noël Goutard : il faut passionnément suivre le client. Une interview de Noël Goutard par le Journal du Management
CARRIERE
 
19/10/2005

Noël Goutard
Il faut passionnément suivre le client

Ancien patron de Valeo qu'il a transformé en entreprise ultra compétitive, Noël Goutard détaille ses méthodes de management et sa vision du monde de l'entreprise.
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Le blog de Noël Goutard
Pfizer, Schlumberger, Thomson... Noël Goutard a occupé des fonctions de dirigeant dans de nombreux groupes industriels. Il vient de publier un ouvrage, L'Outsider, chronique d'un patron hors norme, dans lequel il retrace son parcours. Rare grand patron à ne pas avoir fait d'études poussées, il s'est forgé une réputation de redresseur d'entreprises. A son actif notamment, la direction de l'équipementier automobile Valeo de 1987 à 2000. Ses principes rigoureux ont permis d'en faire une entreprise internationale ultra compétitive.

Quand vous avez dirigé Valeo, on vous a décrit comme manager "dur". Pensez-vous que ce qualificatif était justifié ?
Noël Goutard. Si par "dur", vous entendez rigoureux, oui. Si cela signifie exigeant, absolument. Si c'est synonyme de zéro défaut et de respect de délais serrés, alors c'est vrai, je suis "dur". Et si cela veut dire que chacun, quel que soit son poste, doit prendre ses responsabilités, effectivement je suis ce type de manager. Attention : je suis dur mais je ne suis pas brutal. Je tiens compte de l'humain. Selon moi, tout le monde est essentiel dans une société car même une très grande entreprise est en réalité une série de petites unités où chacun doit être motivé pour que l'ensemble fonctionne.

Quelles sont vos méthodes de management ?
Ce que j'ai appris en la matière, ce n'est pas "l'art du management", ce sont des méthodes acquises au fil des expériences. Cela se résume en plusieurs grands principes. Première règle : bien repérer les forces d'une entreprise ou d'un marché et se focaliser sur quelques points spécifiques. En tant qu'entreprise, il importe de se poser la question "qui suis-je ?, quelle est mon identité ?". Une grosse erreur serait de se disperser. Quand je suis arrivé chez Valeo en 1987, les dirigeants souhaitaient depuis dix ans faire du groupe un conglomérat. Mais, à trop racheter dans des domaines diversifiés, la société perdait son âme. En quinze jours, j'ai bâti une nouvelle stratégie. J'ai visité les usines, les bureaux d'études, rencontré les clients pour déterminer l'identité de Valeo. J'en ai conclu que tout le monde voulait que l'entreprise redevienne une société centrée autour de l'automobile. J'ai donc revendu tout ce qui ne tournait pas autour de notre métier, ce qui a généré du cash pour relancer notre activité.

Le second grand principe est de se soucier des collaborateurs. Il est crucial d'apporter un soin extraordinaire à la formation de l'équipe et d'assurer une bonne délégation. C'est le secret pour développer une activité. Autre élément d'un management efficace : ne pas perdre de vue le client. Il ne faut pas hésiter à aller voir le client pour connaître ses attentes, ses nouveaux besoins en matière d'innovation et parler des prix. Les distributeurs savent à quel prix le client est prêt à acheter un produit. Ensuite, ils calculent leur marge et c'est ainsi qu'on peut en déduire le prix du fabricant. Il ne faut pas avoir peur de la pression à la baisse sur les prix. Selon moi, ce n'est pas un vrai problème car l'industrie est tellement marquée par l'imperfection qu'il est toujours possible d'améliorer le processus de production et donc d'abaisser les coûts.

Cela fait également partie de vos grands principes ?
Oui, il s'agit justement d'appliquer des méthodes pour arriver à une qualité et une productivité sans cesse améliorées. Là encore, ce sont les clients qui donnent des indications. Si vous avez développé de bonnes méthodes pour satisfaire le client, votre capacité à baisser les coûts est illimitée. J'ai été au Japon au début des années 50 et j'ai pu assister au redressement de l'industrie nippone. Avant la guerre, la production japonaise avait une horrible réputation de qualité. En 1950, un ingénieur américain, conseiller des forces américaines au Japon, Edwards Deming, a fait un exposé historique au Japanese Union of Scientists & Engineers (JUSE) devant un parterre d'ingénieurs nippons.


Toutes les usines Valeo sont construites selon le même schéma."

Ils ont été éblouis par la présentation de Deming expliquant les méthodes de qualité d'AT&T. Ils ont tout assimilé et ont compris qu'il fallait adapter ces méthodes chez eux. C'est ce qu'a fait par exemple Toyota. C'est aussi ce que j'ai fait chez Valeo dans les années 80 et 90, en appliquant quatre principes : organisation, qualité, propreté et initiative. Et puis il est important de mettre en place un flux de production très simple et visible. Quand on entre dans l'usine, on doit pouvoir voir du premier coup d'oeil comment fonctionne l'ensemble de la chaîne de production. Toutes les usines Valeo dans le monde ont été bâties selon ce même principe et, que vous visitiez une usine en France, aux Etats-Unis ou en Asie, on peut immédiatement reconnaître la "patte" de la marque.

Dans votre ouvrage "L'Outsider", vous expliquez qu'un directeur général se doit de gérer l'entreprise avec une main de fer tandis qu'un président peut se permettre d'être le "gant de velours". Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Le président gère les relations avec les investisseurs et les analystes boursiers. Il discute avec les pouvoirs publics et définit la stratégie de l'entreprise. Quant au directeur général, son domaine, c'est l'opérationnel. Il a en charge les tâches ardues comme l'application de restructurations, de réformes, il doit s'assurer de faire les bons choix en matière d'innovation et gérer les relations avec le personnel. Bref, il doit prendre des centaines de décision au jour le jour, c'est le bras armé de l'entreprise.

Au cours de votre carrière, vous avez été amené à nommer des personnes à des postes de premier plan. Quels sont vos principaux critères de sélection pour recruter quelqu'un ?
Recruter est une des choses les plus difficiles. Je dirais que la difficulté est que j'essaie de trouver la personne qui a toutes les qualités ! Aussi bien une expertise métier, que du potentiel en termes de recommandations, de suggestions et une détermination à amener la société plus loin. Il faut aussi qu'elle soit force de proposition. De plus, critère essentiel, il faut qu'elle ait l'esprit d'équipe. Quand au cours d'une réunion il y a cinq personnes autour de la table, j'attends d'eux qu'ils travaillent en synergie, pas qu'ils s'affrontent. Enfin, qu'elle soit directeur financier, responsable du bureau d'études, DRH ou responsable de production, elle doit avoir le sens du marché et le sens du client. Mais tout cela est de la théorie, j'ai fait de nombreuses erreurs de recrutement au cours de ma carrière. C'est pourquoi je prends beaucoup de temps à interviewer et je demande à d'autres personnes de me donner un avis extérieur. Il m'arrive aussi de mener une petite enquête auprès des employeurs précédents. Autre leçon que j'ai apprise : en cas d'erreur, il faut savoir vite rattraper le coup, rebondir. Il m'est arrivé de rappeler une personne que j'avais écartée d'un recrutement parce que j'ai eu un doute a posteriori. Et j'ai eu raison.


L'exigence de performances, plus lourde que jadis, fait que les candidats à une présidence de grande entreprise sont devenus une rareté. "

Selon vous, qu'est-ce qui fait un bon dirigeant ?
Il faut avoir de grosses capacités, être bon dans tous les secteurs, avoir un caractère à toute épreuve et un comportement qui sache résister aux pressions. Il faut aussi être homogène dans les relations humaines, c'est-à-dire avoir le contrôle de soi. Et puis, un bon dirigeant doit avoir une énorme expérience. Dans ces conditions difficiles, il ne faut pas s'étonner des sommes qu'ils gagnent. Selon moi, c'est le marché qui dicte ça. Aujourd'hui, être patron signifie ne pas avoir le droit de se tromper, sous peine d'être mis dehors. L'exigence de performances de rendements, plus lourde que jadis, fait que les candidats à une présidence de grande entreprise sont devenus une rareté. Les ressources étant rare, les prix montent.

Quels grands patrons, en poste aujourd'hui, admirez-vous le plus ?
Je citerais tout d'abord Carlos Ghosn. C'est un homme qui va sur le terrain, il a le respect du client et des salariés et il est conceptuel, il a une véritable stratégie. Enfin, il a les méthodes qui permettent l'application de cette stratégie. Je pense aussi à Martin Folz. Il est modeste mais il travaille excellemment dans le cadre du groupe PSA. Et puis Xavier Fontanet d'Essilor est aussi un exemple à suivre.

Pourquoi avez-vous quitté Valeo en 2000 ?
J'avais très envie de créer ma propre entreprise. Jusqu'alors, je n'avais jamais fait partie que de grands régiments, je voulais voir ce que je valais par moi-même. J'ai intégré le fonds de private equity LBO France comme associé et j'ai fondé NG Investments. Cela m'a permis de constater que les principes que j'appliquais auparavant étaient toujours valables dans ma propre entreprise.

Sur quoi travaillez-vous aujourd'hui ?
Je suis administrateur de nombreuses grandes entreprises, je suis membre du Conseil de Surveillance de LBO France et président de NG Investments. Par le biais de ce fonds, nous avons investi dans une demi-douzaine d'entreprises dans différents secteurs : service, industriel, communication, immobilier ainsi que dans une clinique. Par ailleurs, j'ai racheté en juillet dernier la société Carroy-Giraudon, spécialisée dans la fabrication de tondeuses-débroussailleuses. J'y applique mes méthodes pour la rendre plus performante. Dès mon arrivée, j'ai convoqué la cinquantaine d'employés, une première dans l'histoire de l'entreprise, pour parler de la stratégie et présenter les méthodes que je comptais appliquer pour améliorer la qualité et la productivité.


Ma méthode : fixer un objectif sur un délai court."

Ma première mesure a été la mise à niveau de l'entreprise sur certains points réglementaires ou de sécurité : rédaction d'un règlement intérieur qui n'existait pas, application de la législation sur l'interdiction de fumer, mise aux normes des espaces de travail, etc. Après avoir identifié ces différents points, j'ai donné quinze jours au directeur général pour les mettre en place. Les délais d'application très courts sont importants pour obtenir des résultats. Parallèlement, j'ai défini un plan d'action sur 120 jours pour faire en sorte qu'au 31 décembre l'usine fonctionne sans stock, final ou intermédiaire, qu'elle achète juste ce dont elle a besoin au moment T, qu'elle revoit tout le processus de production pour le rendre plus visible, etc. Au final, je me suis donné comme objectif que la production passe de 1.500 machines par an actuellement à 3.000 d'ici deux ans.

Quels conseils pourriez-vous donner à une personne qui voudrait elle aussi se lancer dans la création d'entreprise ?
Il ne faut mollir sur rien, en aucun cas. Car le relâchement est permissible. D'autant plus que, dans ce cas, c'est votre argent que vous jouez. Sinon, les conseils majeurs sont relativement simples à suivre : regarder le marché, essayer de trouver une innovation pour entrer sur le secteur, constituer une équipe solide et expérimentée, faire des benchmarks... Il faut bien identifier un créneau et comprendre les éléments du marché auquel on s'adresse, notamment en ce qui concerne les éléments visant la satisfaction du client. Puis il faut passionnément suivre ce client et évoluer avec lui. Concrètement, si quelqu'un veut lancer une pâtisserie dans un quartier bien situé, avec des clients gourmands, il faudra miser sur la qualité. Si l'implantation se fait dans un quartier populaire, il faudra alors faire des produits adaptés, que ce soit en taille ou au niveau du prix.

A lire
Noël Goutard est l'auteur de "L'Outsider, Chroniques d'un patron hors norme" (Editions Village Mondial, Pearson, 2005)
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Quel est votre point de vue sur la compétitivité industrielle en France ?
Les industries naissent, vivent et meurent. Cela a toujours été ainsi. Selon moi, la France est parfaitement apte à s'adapter. D'ailleurs, elle évolue peu à peu. Modification de l'ISF, CDD pour les seniors, CNE, adaptation des 35 heures... les pouvoirs publics font évoluer le système par petites touches. Reste que le mieux serait d'avoir le courage d'évoluer plus en transparence et en profondeur. Finalement, peut-être que la méthode de Margaret Thatcher, dont on fête ces jours-ci les 80 ans, était plus efficace...

Surtout, je crois que le XXIème siècle ne sera pas asiatique mais européen. L'Europe a tous les atouts : elle dispose d'une homogénéité sociale, d'une paix publique, d'une maturité politique, d'une justice sociale, de compétences humaines remarquables, d'un très bon système scolaire, d'importantes ressources naturelles et de conditions climatiques extraordinaires. Tous ces éléments ne sont pas présents en Asie. De leur côté, les Etats-Unis auront certainement à faire face à un manque d'homogénéité raciale, d'autant plus que la population mexicaine arrive en masse. Un problème que l'Europe gère mieux, à mon avis.

Parcours
Depuis 2000 : Associé puis membre du Conseil de Surveillance du fonds de private equity LBO France. Président-fondateur du fonds d'investissements NG Investments
2001-2003 : Président du Conseil de Surveillance de Valeo puis président d'honneur jusqu'à fin 2004
1987-2000 : PDG de Valeo
1983 : Directeur général et administrateur de Thomson
1976 : Directeur général adjoint et administrateur de Chargeurs
1971 : Directeur général de Compteurs Schlumberger
1966 : Directeur général de Gevelot (fabricant de munitions), Paris
1962 : Directeur Afrique pour Pfizer (New York)
1960 : Contrôleur financier chez Warner Lambert (New York)
1954 : D'abord télexiste puis commodities trader pour Frenville Inc. à New York. A partir de 1958, il est vice-président

Administrateur : Alcatel (1999-2001), Coats (2001), Actaris (2001-2003), Materis (2003 à ce jour), Mecadisk (2004 à ce jour), Medextend (2003 à ce jour), Vocatif (1990 à ce jour)...

Formation : Lycée Louis le Grand puis licence en droit

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