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ENTREPRISE
 
09/11/2005

Denise Broussal (Baker & McKenzie SCP)
Le whistleblowing à la française : les précautions à prendre

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En juillet 2002, suite aux scandales comptables et financiers que les Etats-Unis ont connu, Enron en tête, le Congrès américain a adopté la loi Sarbanes-Oxley, dite "SOX". Cette loi impose en particulier aux sociétés américaines ou étrangères cotées aux Etats-Unis ainsi qu'à leurs filiales à l'étranger, de mettre en place :
un système permettant aux salariés de rapporter anonymement les fraudes et malversations comptables et financières dont ils ont connaissance;
un code d'éthique ou de conduite.
Au delà des problèmes culturels et éthiques qu'un tel système soulève en France, se posent de réels problèmes juridiques mis en exergue par les tribunaux (pour les codes d'éthique) et la Cnil (pour les lignes d'alerte).

Le tribunal de grande instance de Nanterre dans une décision du 6 octobre 2004 a ordonné la suspension de la diffusion sur l'intranet de la société d'un code de conduite qui comprenait, entre autres, un système d'alerte. Le tribunal considérait que "le code de conduite et les instructions adjointes constituent des prescriptions générales et permanentes au sens de l'article L. 122-39 du Code du travail et constituent à l'évidence une modification du règlement intérieur qui aurait dû être présentée pour avis au comité d'entreprise, à l'inspecteur du travail et au CHSCT".


La Cnil a été amenée à revoir sa position"

En effet, les codes d'éthique ou de conduite, qui contiennent souvent un système d'alerte, sont rarement mis en place en conformité avec les lois et règlements en vigueur, alors qu'ils s'apparentent au règlement intérieur, en ce que leur non-respect peut être sanctionner. Par ailleurs, nombre de dispositions de ces codes sont considérées comme une intrusion voire une violation de la vie privée des salariés (interdiction de voyager dans des pays sous embargo américain, drogues, politique, sexe au travail, etc.).

Plus récemment, la Cnil au cours de sa séance du 26 mai 2005, a refusé d'autoriser deux projets de "lignes éthiques" permettant aux salariés de signaler des comportements fautifs imputables à leurs collègues de travail. A la suite de ces décisions, les entreprises, souvent influencées par les syndicats, ont traduit ces décisions en une prohibition ou interdiction.

La Cnil n'a cependant pas interdit ces systèmes ou lignes d'alerte mais a émis une réserve de principe mettant en avant les raisons suivantes :
le risque de mise en place d'un système organisé de délation professionnelle notamment du fait de l'anonymat de la personne dénonciatrice ;
la disproportion entre les dispositifs et les objectifs poursuivis ;
la déloyauté de la collecte et du traitement des données pour la personne n'ayant pas le moyens de s'opposer et de se défendre.

Sur ces fondements, le tribunal de grande instance de Libourne dans une ordonnance du 15 septembre 2005 a ordonné le retrait immédiat de l'affichage de deux notes dont l'une prévoyait la mise en place d'une ligne éthique.

Toutefois, consciente du développement de ces systèmes rendus obligatoires par SOX, la Cnil a été amenée à revoir sa position et travaille actuellement avec le régulateur américain ("SEC") afin d'essayer de trouver des solutions acceptables des deux côtés de l'Atlantique. La Cnil devrait émettre des recommandations le 10 novembre ou le 22 novembre.


Non pas une police interne mais un moyen de protéger la liberté d'expression de tous"

La position des tribunaux et de la Cnil concerne en particulier des filiales françaises de sociétés cotées aux Etats-Unis, qui ont été poussées à mettre en place rapidement, sans aménagement et surtout sans prendre en compte les spécificités de la législation française, des codes d'éthiques et des systèmes d'alertes à l' "américaine". De ce fait, ni la direction ni les salariés en France n'ont pu travailler à la mise en place d'un système prenant en compte les spécificités tant juridiques que culturelles françaises mais se sont vus imposer, souvent sans aucune marge de manœuvre, le système conçu par leur maison mère.

En raison des différences culturelles, il est nécessaire de communiquer et d'ouvrir un dialogue social, afin d'éviter de créer un climat de suspicion. D'où la nécessité de mettre en place un système simple, structuré et surtout transparent auquel les salariés adhèreraient, sans pour autant que le système soit considéré comme contraire à l'esprit de l'entreprise ou imposé par la maison-mère. Le système doit être accepté non pas comme une police interne mais comme un moyen de protéger la liberté d'expression de tous.

Précautions à prendre
Sous réserve des recommandations qui seront finalement émises par la CNIL, certaines précautions simples et de bon sens décrites ci-après devraient permettre le fonctionnement des systèmes d'alertes dans les entreprises françaises.

Mettre en place le système par accord collectif ou engagement unilatéral, comme le règlement intérieur (ce dernier étant le moyen le plus souple en cas de changement ultérieur) ;

Organiser, avant sa mise en place, des sessions de formation ouvertes aux salariés sur le fonctionnement du système ;


Privilégier la confidentialité et bannir l'anonymat"

Limiter le domaine d'application du système au contenu prévu par SOX, à savoir les seules fraudes financières et comptables, pour éviter un système disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi, et l'accompagner par la mise en place d'un comité d'éthique capable de vérifier la véracité de la fraude alléguée et d'assurer la confidentialité ;

Rendre facultative l'utilisation du système, ce dernier étant seulement un canal supplémentaire d'exercice de la liberté d'expression des salariés, laissant, en tout état de cause, toute latitude aux représentants du personnel ;

Recueillir des informations dans le cadre de l'alerte qui reposent sur des faits objectifs sans appréciation subjective, en recommandant de ne pas dévoiler le nom du présumé coupable dès le déclenchement de l'alerte ;

Privilégier la confidentialité et bannir l'anonymat afin d'éviter les risques de dérives et de dénonciation calomnieuses. Ce point sera évidemment le plus sensible car SOX requiert l'anonymat. Avec une confidentialité et une protection bien encadrée, le résultat sera équivalent. Le déclencheur d'alerte ne risquera pas de représailles et le salarié visé par l'alerte sera protégé par la confidentialité des informations transmises ;

Permettre au salarié mis en cause de se défendre dès que son nom aura été divulgué ;

Protéger les salariés déclencheurs d'alerte, en leur étendant la protection légale accordée aux salariés en matière de harcèlement moral ou sexuel ou de discrimination.

Les sociétés françaises ne sont pas à l'abri d'un éventuel scandale du type Enron. Il n'est plus possible de se retrancher derrière des différences culturelles, pour faire obstacle à la mise en place d'un système d'alerte. Il faut donc responsabiliser et sensibiliser les salariés et faire évoluer les mentalités sans pour autant tomber dans les excès américains.

Parcours

Denise Broussal est associé et co-gérant de Baker & McKenzie SCP. Franco-américaine, elle est diplômée de la faculté de droit de Paris I - Panthéon-Sorbonne et de Boalt Hall School of Law, UC Berkeley, California. Après avoir consacré quelques années aux fusions-acquisitions, elle s'est spécialisée en droit social en conseillant notamment les grands groupes américains.


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