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ENTREPRISE
 
14/06/2006

"Le jeu de go permet de développer sa vision en surplomb"

Dans le jeu de go, deux équipes s'affrontent pour la conquête du damier. Jean-Christian Fauvet, auteur du "Manager joueur de go", en tire les enseignements pour l'entreprise.
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Le célèbre ouvrage du général chinois Sun Tzu, L'art de la guerre, avait déjà inspiré nombre de réflexions sur les techniques de management. Dans son dernier ouvrage, co-écrit avec Marc Smia, Jean-Christian Fauvet s'intéresse aux enseignements d'un autre héritage chinois : le jeu de go. Vieux de plus de 4.000 ans, le go est souvent assimilé à un jeu d'encerclement. Deux joueurs, chacun doté d'une centaine de pions blancs ou noirs, s'affrontent sur un damier. L'objectif est de placer, chacun son tour, ses pions de telle sorte qu'ils délimitent des territoires les plus étendus possibles. Les pions isolés ou non protégés peuvent être pris par l'adversaire. Le vainqueur est celui qui occupe le plus d'espace possible sur le damier. Jean-Christian Fauvet revient sur les enseignements de ce jeu millénaire en matière de management.

Pourquoi comparer la pratique du jeu de go à celle du management en entreprise ?
Jean-Christian Fauvet. Le jeu de go est utilisé depuis trente ans pour illustrer les concepts de la sociodynamique des organisations, thème auquel j'ai consacré mon précédent ouvrage. Le management sociodynamique prône le développement d'un management par les hommes et l'oppose au management par les procédures. Il est toujours indispensable d'établir des règles mais elles doivent être inventées par la base, par les hommes. Le jeu de go illustre très bien cette idée : chaque joueur incarne un projet, comme le développement d'un marché ou la création d'une usine. En apparence, on ne voit pas de chef : les pions se positionnent sur le damier en fonction du projet. Mais le rôle du manager est à la fois éminent et discret. De même qu'il boucle un projet dans sa phase finale, le pion qui le représente dans le jeu de go a pour rôle de clore un territoire, le rendant inattaquable. Le manager est également un initiateur : il est alors le pion qui décide de positionner sur un espace encore non exploré du damier.

Le jeu de go permet également d'expliquer d'autres thèmes développés par la sociodynamique, comme la stratégie des alliés. Dans le jeu, les pions sont apparemment identiques. Seuls les liens qu'ils tissent les uns avec les autres permettent de les différencier. Il existe deux sortes d'alliances. Celles en diagonale sont des alliances superficielles, fragiles, des ouvriers qui travaillent côte à côte par exemple. C'est une ligne qu'il est très facile de rompre pour l'adversaire. En revanche, pour venir à bout d'une alliance en ligne, qu'on appelle "cœur à cœur", l'adversaire doit l'encercler dans son ensemble. La sociodynamique repose sur la construction de relations de cette intensité entre les différents acteurs.

L'objectif du jeu de go est de construire des territoires plus grands que son adversaire mais tout en le laissant vivre."

Jean-Christian Fauvet
Vous faites souvent référence à une pratique occidentale du management. Existe-t-il une approche orientale spécifique ?
Le jeu de go est à rapprocher des concepts du yin et du yang. Comme dans le cercle qui les réunit, les pions blancs et les pions noirs sont tous mêlés sur le damier. Les relations sociales en France vont à l'opposé de cette idée. Par exemple, certains syndicats cherchent à détruire le patron, et donc ce cercle formé par le yin et le yang. Ils devraient au contraire travailler pour lui. L'objectif devrait être de construire ensemble quelque chose de mieux ou de plus grand. Dans le jeu de go, l'objectif est justement de construire des territoires plus grands que son adversaire mais tout en le laissant vivre.

Dans votre livre, vous opposez souvent le jeu de go aux échecs. Qu'est-ce que cela traduit en termes de management ?
Les échecs est un jeu mécanique : tout est prévu d'avance, le positionnement des pièces au départ, les déplacements autorisés pour chacune d'elles... On peut comparer les échecs à l'administration : l'homme ne compte plus, ce sont les règles qui guident leurs actions. C'est un mode de fonctionnement qui peut d'ailleurs satisfaire les salariés en les tranquillisant. Au bout d'un certain temps, ils deviennent sociopassifs, c'est-à-dire qu'ils respectent l'ordre mais sans avoir de motivation. La situation est dramatique en France puisque le taux de sociopassifs chez les salariés, cadres compris, varie de 30 à 80 % en fonction des entreprises. Ils ne font pas preuve d'innovation, ne protestent que dans les couloirs et font part de leurs bonnes idées uniquement à la cafétéria.

La finalité échappe aux sociopassifs qui se comportent comme les pions des échecs. Au go, les pions construisent des territoires. Un pion doit être considéré comme un événement dans le cadre de la réalisation d'un projet. Cela peut être le choix d'un collaborateur, la tenue d'une réunion, une conversation de trente seconde avec un délégué syndical... Au moment où le pion est positionné sur le damier, on ne sait pas s'il sera important pour le projet : ils sont tous identiques. Néanmoins, dans les situations difficiles auxquelles il faut trouver des solutions rapides, il peut être bon de revenir aux échecs. Le roi ou la reine reprennent les affaires en main. Les limites du jeu de go tiennent à la longueur de ses parties.

Quelles qualités, utiles au manager, sont développées par le jeu de go ?
Le jeu de go permet au manager de développer sa vision en surplomb. Les actions entreprises semblent décousues au départ. Le joueur construit des territoires qu'il ne développe que par la suite. Mais le tout répond à une vision globale. Chaque territoire est une équipe, un produit ou la relation avec un partenaire. Il faut donc viser large au début, puis tenir serré au niveau de la bagarre finale. La comparaison avec le soldat transporté en hélicoptère est souvent retenue : quand l'appareil est en vol, le manager voit les choses d'en haut. Une fois qu'il a atterri, il doit combattre sur le champ de bataille.


Parcours

Jean-Chritian Fauvet est ancien vice-président de Bossard Consultants. Il est désormais conférencier. En près de trente ans, il a initié plus de 20.000 managers et dirigeants à la sociodynamique, une méthode pour comprendre le fonctionnement réel des organisations et pour l'améliorer, qui est devenue l'un des concepts clés du management. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont L'élan sociodynamique (Eyrolles, 2004). Il vient de publier Le manager joueur de go, en collaboration avec Marc Smia. >>> Consulter les librairies


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