Journal du Net > Management >  "Il est plus facile de se former à l'informatique qu'à la diversité"
ENTREPRISE
 
27/09/2006

Alain Gavand (Consultants)
"Il est plus facile de se former à l'informatique qu'à la diversité"

La France ne fait pas partie des bons élèves en matière de non discrimination. Pourtant, la diversité en entreprise est un enjeu important face à la pénurie des compétences tant annoncée.
  Envoyer Imprimer  

Spécialiste du recrutement, Alain Gavand est l'auteur de Prévenir la discrimination à l'embauche (Editions d'Organisation, 2006). Dans ce livre, il dresse l'état des lieux de la discrimination à l'embauche, décrit les enjeux de la diversité et propose des stratégies pour la mettre en place dans l'entreprise. Lors d'un chat, il a répondu aux questions des lecteurs du Journal du Management.

Comment se caractérise la discrimination aujourd'hui en France ?
Alain Gavand. Selon la loi du 16 novembre 2001, la discrimination peut avoir pour motif, parmi les trois principaux, l'origine ethnique, l'âge et le sexe. Cette loi est une application de directives européennes. Parmi les autres motifs, il y a la situation familiale, l'orientation sexuelle, les opinions politiques ou religieuses, le patronyme, l'apparence physique, les moeurs...

A lire

Prévénir la discrimination à l'embaucheAlain Gavand est l'auteur de "Prévenir la discrimination à l'embauche" (Editions d'Organisation, 2006)
>>> Consulter les librairies

Quelles sont les obligations légales de l'entreprise en terme de diversité ?
En France, la loi définit des obligations en matière de non discrimination mais pas de diversité, à la différence des Etats-Unis. Elle interdit la discrimination lors du recrutement, de la formation ou de la promotion interne. Pour les handicapés toutefois, la loi prévoit une obligation d'emploi, à savoir l'obligation de recruter 6 % de l'effectif.

Une entreprise peut-elle être punie pour discrimination ? Que risque-t-elle ? Que risque son patron ?
Oui, le dirigeant de l'entreprise peut encourir une peine de trois ans d'emprisonnement (à ce jour ils ont été punis de six mois avec sursis). A cela s'ajoute une condamnation de 45.000 euros. Mais les sanctions demeurent assez rares. La Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations), en revanche, enregistre de nombreuses plaintes (2.000 en un an). Toute personne peut saisir la Halde, lorsqu'elle s'estime victime de discrimination. Les représentants du personnel ont également un pouvoir d'alerte en cas de discrimination dans l'entreprise, de même l'inspecteur du travail dispose d'un pouvoir pour constater les infractions et veille à l'application de la loi. Au final, c'est l'employeur qui est responsable de la discrimination, mais aussi le salarié de l'entreprise (manager, DRH) ou l'intermédiaire de recrutement (agent ANPE, société d'intérim ou cabinet de recrutement).


La discrimination en France est un phénomène massif"

Quelle est selon vous l'inclinaison dominante des entreprises dans notre pays ? Plutôt discriminantes ou est-ce marginal ?
La discrimination en France est un phénomène massif. Les études de testing (envoi de CV mystères à de vraies offres d'emploi) montrent qu'un CV avec un patronyme de type maghrébin a cinq fois moins de chances d'être reçu en entretien qu'un candidat avec un patronyme "français". De même, les femmes souffrent du plafond de verre, c'est-à-dire qu'elles ne parviennent pas à atteindre les fonctions d'encadrement. Elles ne représentent que 17,1 % des dirigeants. Les femmes souffrent également de la "paroi de verre", c'est-à-dire qu'elles sont concentrées dans une partie des métiers (souvent moins qualifiés). Enfin, leur salaire est plus faible que celui des hommes (de 25 %) et leur emploi est plus précaire (chômage et temps partiel subi). Chez les handicapés, un actif sur quatre est au chômage !

Comment peut-on apporter la preuve que le non-engagement d'un candidat est le résultat d'une discrimination ?
Dans ce cas il est conseillé de saisir la Halde, qui aide à constituer le dossier. Les opérations de testing réalisées par les associations telles que SOS Racisme peuvent apporter la preuve de la discrimination. Cela consiste par exemple, lorsque l'on suppose une discrimination ethnique, à envoyer un candidat présentant les mêmes caractéristiques que la victime, avec le même parcours mais un profil de type blanc. L'inspection du travail ou la Halde peut également étudier le tri de CV et les critères de sélection du recruteur, de même que les annonces sur les sites peuvent être analysées. Dernièrement 40 entreprises ont subi un contrôle pour discrimination en raison de l'âge.

La discrimination ne se fait-elle pas aussi au niveau des cabinets de recrutement qui finalement respectent les desiderata de l'entreprise cliente !?
C'est effectivement un problème, comme pour tous les intermédiaires du recrutement tels que les sociétés de travail temporaire ou les agents de l'ANPE. C'est pour cette raison que j'ai créé l'association A Compétence Egale : www.acompetenceegale.com. Cette association promeut la non discrimination dans le conseil en recrutement. Elle a signé une charte d'engagement et forme ses consultants à la non discrimination. Les cabinets ont un réel pouvoir pédagogique vis-à-vis de leurs clients, mais aussi de résistance. Ils doivent recentrer leur métier sur la recherche de la compétence et rien d'autre. En quoi la couleur de la peau ou le sexe permet-il au candidat d'être plus compétent et à l'entreprise d'être plus performante ? De surcroît, le cabinet s'expose à des sanctions pénales et un risque pour son image.

Comment expliquez-vous qu'un employeur sur deux n'embauche pas une personne de plus de 50 ans même lorsqu'il ne trouve pas à pourvoir le poste ?
Le taux d'activité des seniors en France est le plus bas d'Europe. Nous héritons de plusieurs décennies de politiques de l'emploi (préretraite). Nos stéréotypes dans le monde de l'entreprise sont encore très négatifs alors que dans le monde politique, nous ne sommes pas choqués de voter pour un président ou un député de 70 ans. Je pense que cette question est la plus difficile à traiter car elle touche à la fois aux stéréotypes, à la politique de l'emploi mais aussi au problème de la définition de la carrière. Nous avons tendance à considérer que toute carrière doit être ascensionnelle, y compris dans la dernière partie. Cela pose le problème du salaire. A cela s'ajoute la formation et la gestion des compétences qui sont les parents pauvres pour les plus de 50 ans.


C'est au moment du tri de CV que la discrimination intervient le plus"

Que pensez-vous de la dispense de recherche d'emploi (DRE) pour les 55-64 ans qui permet de faire disparaître 400.000 personnes des statistiques du chômage ?
Cela est difficile à comprendre avec la pénurie de compétences. Le départ à la retraite des 600.000 papy boomers par an au cours des dix années à venir devrait changer les pratiques. Il va falloir puiser dans tous les viviers, y compris les seniors ! Et cela est très positif dans les autres pays comme en Grande-Bretagne où le critère d'âge y est beaucoup moins mis en avant. Ce n'est donc pas une question de compétence et de compétitivité.

Ne pensez-vous pas qu'une mesure telle que le CV anonyme est hypocrite ?
Absolument pas ! C'est au moment du tri de CV que la discrimination intervient le plus (selon toutes les études de testing). Une fois le candidat en entretien, il peut défendre ses compétences. En revanche, le CV anonyme seul ne suffit pas. Il est nécessaire de sensibiliser et former les recruteurs à la non discrimination pour que le CV ne soit pas une simple action dilatoire. Il faut que la direction s'engage et arbitre en cas de discrimination. La loi sur l'égalité des chances a instauré le CV anonyme pour les entreprises de plus de 50 personnes mais nous attendons le décret d'application.

Le secteur d'activité des entreprises est-il un facteur qui influence le degré de discrimination des entreprises ?
Oui, le secteur d'activité intervient beaucoup. Plus la pénurie de compétence est forte, plus les entreprises ont tendance à ouvrir les critères. Dans certains secteurs comme la restauration ou le bâtiment, nous connaissons une ethnicisation des tâches (certains postes à la plonge par exemple sont réservés à certaines populations).

Les jeunes issus des écoles des banlieues, même d'origine française avec un diplôme national, sont discriminés. Est-ce une nouvelle sorte de discrimination ?
Il faut vraiment que nos entreprises changent de mentalité et raisonnent véritablement en fonction du mérite, de la compétence et pas simplement des titres. Certaines entreprises n'acceptent que certaines grandes écoles. Mais l'école doit également favoriser davantage l'égalité des chances. J'espère que ce débat sera central lors des prochaines élections présidentielles.

Comment une entreprise doit-elle s'y prendre pour améliorer sa diversité, notamment à l'embauche ?
Notre cabinet est de plus en plus sollicité sur cette question car l'entreprise ne sait pas comment faire (c'est l'objet de mon livre). Tout d'abord, elle doit définir une politique de non discrimination et engager la direction (et arbitrer clairement en cas de dérive). Elle doit ensuite former les recruteurs et les managers, puis réviser ses procédures de recrutement : les annonces doivent être différentes, les techniques de sélection être davantage centrées sur la recherche de la compétence, par exemple en utilisant les mises en situation ou les tests. Il est important également de diversifier les modes de recherche (sourcing) en allant au devant de ceux qui sont généralement discriminés. Par exemple, en communiquant l'offre de recrutement aux associations telles que Afip, Africagora, APC, IMS, qui s'occupent d'insertion des minorités visibles. L'Agefiph aide quant à elle les travailleurs handicapés. Il ne s'agit pas de faire de la discrimination positive mais de tendre la main à ceux qui sont exclus du processus de recrutement et qui ne répondent plus à nos annonces à force d'être écartés... Alors qu'ils ont la compétence et le diplôme !


L'entreprise s'expose à un risque de réputation en cas de dénonciation, sans compter le risque juridique"

Quels genres d'arguments avancez-vous à vos clients pour les convaincre que la diversité est un enjeu important ?
Il y en beaucoup. Tout d'abord, la diversité est source de performance. De nombreuses études montrent que les équipes hétérogènes sont plus innovantes que les équipes homogènes. Deuxièmement, nos entreprises ont intérêt à ressembler à leurs clients pour mieux les comprendre (cependant nous ne devons pas pousser ce raisonnement à l'extrême et considérer qu'un homme doit vendre à un homme et qu'un noir doit vendre à un noir...). Troisièmement, les entreprises vont faire face à des pénuries de compétences dans les années à venir et cela commence déjà dans certains secteurs. Elles ont donc tout intérêt à ouvrir leurs critères de sélection. Quatrièmement, n'oublions pas que l'entreprise s'expose à un risque de réputation en cas de dénonciation, sans compter le risque juridique. Enfin, en tant que salarié ou en tant que dirigeant, je considère que la question de la discrimination nous concerne tous. On ne peut pas s'inquiéter des émeutes dans les banlieues devant son poste de télévision et considérer que cela ne nous concerne pas. C'est une question de citoyenneté. Pourquoi l'entreprise, en plus de faire du profit, ne pourrait-elle pas être citoyenne ? C'est en tout cas ma conception de l'entreprise et c'est aussi celle du Centres des jeunes dirigeants de l'entreprise, mouvement dont je suis membre.

Pensez-vous qu'il faut sanctionner les entreprises qui pratiquent la discrimination ou plutôt inciter à la diversité ?
Il faut les deux ! A mon sens les dispositifs d'accompagnement des entreprises sont peu nombreux. Il est plus facile de se former à la qualité ou à l'informatique qu'à la diversité ! Il n'y a quasiment pas d'aide et l'offre de formation est encore peu structurée. Il est urgent que tous les acteurs concernés se mobilisent (Etat, patronat...). Si l'on veut changer les mentalités, il faut accompagner les entreprises au changement. N'oublions pas que si des entreprises discriminent, ce n'est pas forcément volontaire. Il faut donc revoir l'ensemble des processus RH et de recrutement.

Alain Gavand. Merci à tous pour vos questions. Comme vous le voyez, il reste encore beaucoup d'efforts pour améliorer nos pratiques dans l'entreprise mais aussi en dehors !


Parcours

Alain Gavand est président du cabinet de consulting éponyme - Alain Gavand Consultants - spécialisé dans le recrutement, le coaching, le management des compétences. Auteur de "Le recrutement dans tous ses états" (Editions Jacques-Marie Laffont, 2002) et "Recrutement, les meilleures pratiques" (Editions d'Organisation, 2005), il est par ailleurs chargé de cours à l'Université, membre du Centre des jeunes dirigeants d'entreprise et d'Ethique et recrutement. Alain Gavand a créé A compétences égales, association regroupant les cabinets de recrutement en France et prenant position sur les questions de discrimination.


JDN Management Envoyer Imprimer Haut de page

Sondage

Savez-vous ce que contient le compte personnel d'activité ?

Tous les sondages