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ECONOMIE
 
04/10/2006

Hella Gezgez (Admeo)
L'industrie pharmaceutique évolue pour sauvegarder sa rentabilité

Concentration, externalisation et avènement des génériques, l'industrie pharmaceutique est en pleine mutation. Explications.
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L'avènement de la chimie a fait de l'industrie pharmaceutique l'un des secteurs les plus rentables du 20ème siècle. Toutefois, on assiste ces dernières années à un déclin progressif de cette industrie, en raison du ralentissement du rythme des découvertes de nouvelles molécules permettant de mettre sur le marché un médicament à caractère innovant. Aussi, les grands laboratoires pharmaceutiques ont-ils dû développer tout un ensemble de nouvelles stratégies afin de maintenir leur fort taux de croissance. Ces stratégies se situent essentiellement à trois niveaux : la recherche et développement (R&D), la structure industrielle et la propriété intellectuelle.

L'évolution de la recherche & développement
Les nouvelles stratégies en matière de R&D constituent l'un des premiers éléments de la mutation de l'industrie pharmaceutique. La chimie traditionnelle n'étant plus en mesure de découvrir les blockbusters[1] de demain, les industriels se sont tournés vers les nouvelles biotechnologies et plus précisément vers les biotechnologies de troisième génération. En effet, depuis les années 1980, on assiste à l'augmentation des dépenses effectuées en R&D et parallèlement, à une diminution de la production de découvertes scientifiques à caractère radical. Ce phénomène, plus communément qualifié d'"effet ciseaux", est révélateur de la crise que connaissent les grands laboratoires pharmaceutiques.


L'application des droits de propriété intellectuelle est devenue un des principaux enjeux des grands laboratoires pharmaceutiques."

D'autre part, de nombreux blockbusters voient leurs brevets tomber dans le domaine public, amplifiant de ce fait la concurrence avec les producteurs de génériques qui profitent de l'expiration des brevets. C'est ainsi que la découverte de la structure en double hélice de l'acide désoxyribonucléique (ADN)[2] a insufflé un air nouveau à l'industrie pharmaceutique. Les connaissances suscitées par cette découverte scientifique donnent lieu à l'émergence de tout un ensemble de nouvelles disciplines (génomique, protéomique, pharmacogénomique, thérapie génique et cellulaire, bio-informatique, drug delivery, chimie combinatoire…) qui permettent aux industriels des sciences du vivant d'élargir leur champ de production et de commercialisation. L'avantage de ces nouvelles techniques réside dans le fait que le processus de découverte et de sélection du médicament à commercialiser est plus rapide et potentiellement moins cher que dans l'industrie pharmaceutique traditionnelle, où les coûts ne cessent d'augmenter.

Par conséquent, afin d'optimiser au mieux la gestion de ces nouveaux flux de connaissances, les grands laboratoires ont dû développer tout un ensemble de stratégies organisationnelles, destinées à s'approprier au mieux les nouvelles molécules susceptibles de devenir les blockbusters de demain.

Une coopération accrue
Ces stratégies organisationnelles constituent le second élément caractéristique de la mutation de l'industrie pharmaceutique, dans la mesure où les entreprises se sont rendues compte que les dynamiques traditionnelles n'étaient plus suffisantes pour rester compétitives. Les changements relatifs à l'organisation industrielle sont principalement le fait de l'émergence de nouveaux acteurs, qui marquent la création d'interactions nouvelles au sein des sciences du vivant, et qui dénotent à la fois la volonté de coopérer et la combinaison simultanée de différentes stratégies : fusions-acquisitions, externalisation, partenariats. Si les stratégies de fusion-acquisition ne constituent pas une nouveauté, leur utilisation est en constante progression. En raison des coûts de R&D très élevés, il est difficile pour une entreprise de se spécialiser dans tous les domaines, d'où la nécessité de trouver des partenaires qui permettront d'accroître la gamme de produits contrôlés sur le marché.

L'avantage de l'externalisation

L'externalisation constitue quant à elle, une innovation organisationnelle radicale dans l'industrie pharmaceutique. Traditionnellement, les entreprises développaient en interne toutes les étapes nécessaires à l'exploration et à l'exploitation des compétences requises pour produire un médicament. L'apparition de ce que l'on qualifie de "spin off académique"[3], et par conséquent des sociétés de biotechnologie spécialisées dans les techniques de génie génétique, incite à l'externalisation, et ce tout au long du cycle de vie du produit.

Les partenariats entre grands laboratoires pharmaceutiques et sociétés de biotechnologie reflètent les avantages liés à la coopération. D'une part, les start-up de biotechnologie se caractérisent par de petites structures, flexibles et réactives aux demandes du marché, contrairement aux laboratoires pharmaceutiques, qui sont généralement des entreprises de très grandes tailles, hiérarchisées et bureaucratiques. D'autre part, les sociétés de biotechnologie, en raison des coûts élevés que requièrent la production et la commercialisation d'une solution thérapeutique à grande échelle, ne peuvent assurer toute la chaîne de valeur de la découverte scientifique. Ainsi, ces nouveaux choix stratégiques reflètent la prise de conscience des différents acteurs, de la nécessité de faire converger leurs intérêts afin de partager leurs connaissances et d'engendrer des synergies. Aussi, l'évolution des stratégies organisationnelles a-t-elle donnée lieu ces dernières années à l'émergence de " bioclusters ", à l'image du pôle de Cambridge Massachussets qui constitue aujourd'hui l'un des plus importants et dynamiques clusters biotechnologiques. La forte polarisation spatiale des activités de recherche et de développement dans l'industrie pharmaceutique est révélatrice de l'évolution que connaît ce secteur ces dernières années et de la coopération grandissante entre les différents acteurs.

L'enjeu de la propriété intellectuelle


En raison des coûts de R&D très élevés, il est difficile pour une entreprise de se spécialiser dans tous les domaines, d'où la nécessité de trouver des partenaires"

Un dernier élément vient compléter les changements qui s'opèrent dans l'industrie pharmaceutique : les changements institutionnels en matière de propriété intellectuelle.

Afin de préserver les découvertes issues des nouvelles biotechnologies, l'application des droits de propriété intellectuelle (DPI) est devenue un des principaux enjeux des grands laboratoires pharmaceutiques. En effet, jusqu'à la fin des années 1970, les découvertes issues du domaine du vivant étaient considérées comme des informations à caractère public et étaient de ce fait exclues de toute appropriation. Or, à partir des années 1980, la Cour Suprême américaine, par l'arrêt Chakrabarty, va opérer un relâchement des critères de brevetabilité : tout organisme vivant peut faire l'objet d'une privatisation dès lors qu'une personne intervient pour en modifier la structure. Les autorités américaines ont ainsi permis de renforcer la position dominante de leurs entreprises. Cette législation s'est peu à peu étendue à l'échelle mondiale avec l'harmonisation des DPI par l'application des accords ADPIC[4]. Les DPI constituent de fait une arme stratégique, génératrice de profits, pour les entreprises qui sont les premières à déposer le brevet. Ils constituent en effet une source de revenus considérables (stratégies de portefeuille de brevets, licences), ainsi qu'une protection contre l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché.


La découverte de nouvelles voies de recherche dans le domaine de la santé a engendré de nombreux changements à la fois économiques et institutionnels, qui ont totalement modifié la structure traditionnelle du secteur pharmaceutique. Cependant il est intéressant de noter que si la biologie moléculaire constitue une réelle opportunité, les recherches effectuées en génie génétique n'ont pas encore permis, à l'heure actuelle, de mettre au point des solutions thérapeutiques novatrices. De la même manière, les DPI soulèvent de nombreuses questions relatives notamment aux freins à l'innovation, à l'éthique, mais également en termes de santé publique et de développement durable, en raison de l'accès limité aux médicaments pour les pays moins développés. Ces divers aspects sont à ne pas négliger car ils reflètent l'importance des enjeux économiques et sociaux qu'engendre la mutation de l'industrie pharmaceutique.


[1] Molécules dont la rente dépasse le milliard d'euros.

[2] L'année 1970 va voir naître le génie génétique avec les premières techniques de clonage de l'ADN, ainsi que la découverte de la possibilité d'introduire un ADN étranger dans une cellule de façon à en modifier ses caractéristiques.

[3] Chercheurs académiques qui créent leur propre société de biotechnologie afin d'exploiter les résultats de leurs recherches. Ce fait empirique est caractéristique de l'évolution des liens entre science et industrie dans le secteur pharmaceutique.

[4] Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce.


Parcours

Hella Gezgez est doctorante en économie et membre de l'ADMEO, une association regroupant des docteurs et doctorants en droit, économie et gestion du GDEDEG/CNRS et de l'université de Nice Sophia Antipolis. Créée en 2000, cette association anime le site de l'Ecole doctorale marchés et organisations.



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