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07/11/2006

Savoir expliquer

Comment s'adapter à son interlocuteur ? Etre sûr qu'il ne perde pas le fil ? Quelle méthode choisir parmi la dizaine disponible ? Les conseils d'un expert pour triompher de cet exercice délicat.
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Expliquer quelque chose à quelqu'un est un exercice bien plus ardu qu'il n'y paraît. D'abord, pouvoir mettre l'ignorant en situation, méthode de compréhension la plus directe, n'est pas toujours possible. Ensuite, le degré de compréhension dépend également du vocabulaire utilisé et de la capacité à fixer l'attention. Alors pour réussir ses explications en toutes circonstances, voici un tour d'horizon des bonnes pratiques et des méthodes à utiliser avec Bruno Dufay, auteur de "Apprendre à expliquer".


D'abord, effectuer une checklist
Avant de vous lancer, une checklist rapide vous permettra de mettre toutes les chances de votre côté. Il faut alors répondre à trois interrogations.

- Quel sujet vais-je aborder ? Il s'agit de délimiter clairement ce que l'on choisit de traiter et ce que l'on écarte. Le résultat est un compromis entre l'attente de l'ignorant et l'envie du connaisseur de lui offrir une vision complète.

- A quel public est-ce que je m'adresse ? "Sont à examiner la disponibilité d'esprit de l'ignorant, ses préjugés par rapport au connaisseur et au sujet, ses attentes et ses motivations, ses lacunes, ses références culturelles, sa peur d'apprendre et sa culpabilité à ne pas savoir", détaille Bruno Dufay.

- De quelle nature est la relation connaisseur-ignorant ? Est-elle légitime, crédible, de confiance ? Le connaisseur a-t-il un intérêt ou une réticence à expliquer ? L'ignorant a-t-il une émotion particulière vis-à-vis du sujet ? "Il s'agit ici d'examiner tout ce qui peut gripper ou améliorer cette relation", précise notre expert. C'est en fonction des réponses à ce questionnement que l'on pourra choisir la méthode d'explication la plus appropriée.


Un succès conditionné par la relation connaisseur-ignorant
Le succès d'une explication ne dépend pas uniquement de la méthode suivie. "Pour bien expliquer, il est important d'employer un vocabulaire accessible, sobre et non ambigu, affirme Bruno Dufay. Eviter autant que possible le jargon, les acronymes, les abréviations, les termes techniques compliqués… et évidemment, la langue de bois."

Pour réussir une explication, il est important d'employer un vocabulaire accessible, sobre et non ambigu."

Bruno Dufay,
"Apprendre à expliquer"
Plus largement, une relation connaisseur-ignorant ne doit pas entretenir un sentiment de domination : cette relation sera sans doute bientôt inversée. "Le connaisseur doit absolument descendre de son piédestal et sortir de son sabir, pour s'adresser à l'ignorant avec humilité, en acceptant les critiques." Ceci pour une raison simple : explication et communication sont deux choses différentes. La communication, utilitariste, qui sert un but commercial ou politique par exemple, ne doit intervenir que dans un second temps.

Quant au choix de la méthode à employer, Bruno Dufay conseille de se baser sur l'histoire de l'ignorant, "par exemple au moyen de la méthode Hermann de la préférence cérébrale. Si l'on s'adresse aux agents de maintenance de l'entreprise, qui sont des techniciens de formation, on choisit les éléments les plus susceptibles d'avoir une résonance chez eux : le rationnel, les chiffres, les choses pratiques. Aux créatifs d'une agence de publicité, on présentera plutôt des schémas ou des histoires métaphoriques."


Quelques stratagèmes bien utiles...
Pour Bruno Dufay, "l'explication doit être faite de petites astuces. On peut ainsi commencer par quelque chose qui concerne l'autre, pour susciter son attention et le garder en haleine." Mais on peut également saupoudrer l'ensemble de son discours de ce genre de "conservateurs d'attention". "Cela dit, tempère-t-il, expliquer n'est pas enseigner : on ne peut pas prendre les gens par la main sur tout le chemin." Cela n'empêchera pas de baliser l'explication de points de contrôle : "vais-je trop vite ?", "voulez-vous que j'accélère ?", "est-ce que je m'explique bien ?"...

A lire
"Apprendre à expliquer. L'art de vulgariser" de Bruno Dufay (Editions d'Organisation - 2005)

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Comment, enfin, savoir que l'explication a porté ses fruits ? Bien entendu, se contenter de demander si l'autre a bien compris n'est pas toujours très fiable. Pour Bruno Dufay, le meilleur indicateur réside dans les questions suscitées chez l'interlocuteur. "C'est en voyant que l'on a déclenché un processus chez l'autre que l'on peut savoir qu'il s'est approprié les choses."


Les 10 méthodes sur lesquelles s'appuyer pour expliquer
La comparaison et la métaphore
"Très efficace pour faire comprendre, la comparaison fait appel à l'intuition pour approcher l'idée", explique Bruno Dufay. Une bonne métaphore simplifie et fait comprendre sans trop altérer l'idée de base. Plus elle évoque des objets concrets de la vie courante de l'ignorant, plus elle sera efficace. Mais gare aux métaphores filées, pour lesquelles on en viendrait à déformer l'idée originelle pour la faire entrer, au chausse-pied, dans l'analogie qui nous arrange. De plus, l'usage de la métaphore prête facilement le flanc aux critiques des spécialistes, qui lui reprocheront toujours une perte de précision.

L'exemple
Fournir un exemple concrétise une explication. "S'il ne constitue pas une preuve, il permet de déduire le général du particulier." De même que pour la comparaison, le choix d'un exemple dans l'univers de l'ignorant, tel qu'un fait d'actualité, sera particulièrement efficace. Autre avantage de l'exemple : lors d'un développement un peu long, il permet à l'esprit de se reposer.

L'association de sujets
Il est possible, pour faire comprendre un sujet difficile ou rébarbatif, de le traiter simultanément avec un sujet plus facile d'accès. Il pourra en effet être plus adapté, plutôt que d'attaquer de front une question ardue, d'en faire passer les éléments constitutifs au travers d'un sujet plus attrayant.

La démonstration ne fait pas comprendre, puisqu'elle sollicite uniquement la raison au détriment de l'intuition."

Bruno Dufay
"C'est le principe des émissions de télévision comme Thalassa ou Ushuaïa, dont la beauté des images sert également de prétexte à la diffusion de savoirs." Autre exemple, les questionnements éthiques soulevés par des avancées scientifiques permettent de s'imprégner de notions relativement pointues : le clonage et l'ADN, le risque nucléaire et la radioactivité, le risque épidémique et les virus…

L'histoire et l'anecdote
Associer discours explicatif et narratif est une méthode aussi efficace qu'amusante. Connaître la genèse d'une découverte ou les difficultés à mettre au point une invention permet de faire suivre à l'ignorant le même cheminement intellectuel que celui qui a aboutit à cette connaissance. "Cette méthode est parfaite pour les intuitifs, ou encore pour faire passer une expérience", recommande Bruno Dufay. Mais si elle est particulièrement adaptée pour retenir l'attention, son inconvénient majeur est de rester en périphérie du sujet.

Le condensé et la synthèse
En préambule d'une explication longue, fournir un résumé de son propos aidera l'ignorant à suivre le fil tout au long du discours. Plusieurs condensés d'explications peuvent d'ailleurs jalonner le propos : l'ignorant pourra ainsi vérifier qu'il a saisi l'essentiel, voire faire l'impasse sur un développement sans pour autant perdre le cours de l'explication. Or comme le note Bruno Dufay : "Le niveau de sophistication ambiant ne fait que croître. Les modèles économiques sont d'une finesse et d'une complexité incroyables et il en va de même pour les offres commerciales, les formes juridiques… Les écarts entre les niveaux de concept de l'homme de la rue et de l'expert se creusent sans cesse." Raison de plus pour aider l'ignorant dans sa démarche. La synthèse lui permettra d'appréhender le général, ce qui l'aidera à relier les éléments particuliers et les notions qui dans son esprit restaient éparpillées.

Le raisonnement logique
Voie royale de l'explication, le raisonnement logique déroule les enchaînements de cause à effet qui mèneront l'ignorant d'une idée connue à une idée nouvelle. Il oblige de plus le connaisseur à beaucoup de rigueur : poser le problème, délimiter le sujet, distinguer argument et opinion, fait et hypothèse... "L'inconvénient de cette méthode est que la démonstration ne fait pas comprendre, puisqu'elle sollicite uniquement la raison au détriment de l'intuition. En outre, son caractère implacable risquer de rebuter voire de braquer l'ignorant qui la subit", prévient notre expert.

La méthode du débat contradictoire est idéale pour faire comprendre une opinion sans influencer l'ignorant."

Bruno Dufay
Le raisonnement logique demeure néanmoins incontournable pour expliquer ou justifier une opinion ou une décision : exposer l'importance que l'on accorde à chaque élément fait en effet apparaître à l'ignorant la cohérence de la position prise. "Il s'applique aussi parfaitement à l'explication d'une procédure ou d'une théorie", ajoute-t-il.

La méthode pointilliste
A l'instar du procédé qui voit le peintre juxtaposer de multiples petites touches sur sa toile pour former une image globalement signifiante, cette méthode consiste, dans le cadre d'une explication, à apporter à l'ignorant une succession d'idées à partir desquelles il forgera lui-même une interprétation. C'est par exemple le principe du portrait chinois. Si l'ignorant peut apprécier le caractère dynamique d'une telle méthode, le connaisseur, pour sa part, préférera peut-être ne pas prendre le risque d'une mauvaise compréhension… "A favoriser, peut-être, auprès des intuitifs et des artistes, qu'on ne doit pas trop guider", préconise Bruno Dufay.

Le débat contradictoire et le questionnement
Sur le mode de "questions-réponses" ou encore du dialogue, le débat contradictoire oblige le connaisseur à rechercher des contre-arguments à ce qu'il pense. A charge pour l'ignorant de se constituer une synthèse. "Cette méthode est idéale pour faire comprendre une opinion sans influencer l'ignorant".

Le jeu
Si le connaisseur ne craint pas de dévaloriser son sujet, il pourra le décomposer sous forme de test. "Facile et amusant à faire, les tests permettent de se mesurer par rapport à une sorte de barème", explique notre expert. L'ignorant, devenant acteur de son apprentissage, assimilera mieux le savoir proposé. "Si cette méthode est appréciée par les personnes assez ludiques, elle est à proscrire avec les conceptuels ! Et de toutes façons, elle ne permet pas de tout expliquer."

L'image, la photo et le schéma
Pratique
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Faisant appel à d'autres mécanismes de la pensée, l'explication visuelle ne doit pas être négligée. D'un côté, l'image et la photo, qui éveillent la curiosité et stimulent l'intuition des créatifs. De l'autre, le schéma, très adapté aux raisonnements logiques et aux auditoires rationnels : "Etant créé à cet effet, le schéma illustre parfaitement son sujet." Il convient cependant de ne pas abuser des méthodes visuelles, qui risquent de détourner l'attention de l'ignorant. Idéal, donc, le schéma de synthèse, en complément d'une explication orale ou écrite.


Parcours

Bruno Dufay, 50 ans, est diplômé de l'INPG et docteur en informatique. Directeur d'une organisation Services au sein du groupe Xerox, il est l'auteur d'un ouvrage de vulgarisation sur l'intelligence artificielle ainsi que de "Ne vous laissez plus influencer !" Passionné de philosophie, et en particulier de la problématique de la transmission des connaissances au sein des entreprises, il a publié en mai 2005 "Apprendre à expliquer. L'art de vulgariser".



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