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CARRIERE
 
16/01/2007

Hervé de La Martinière (Groupe La Martinière)
"Si vous voyez petit, vos projets n'intéressent personne"

Parti du bas de l'échelle de l'édition, Hervé de La Martinière est aujourd'hui patron du groupe qui s'est offert le Seuil en 2004. Rencontre avec un autodidacte qui ne manque pas d'audace.
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Petite maison d'édition spécialisée dans les beaux livres au début des années 90, les Editions de La Martinière sont aujourd'hui l'un des groupes majeurs du secteur, placé sur le devant de la scène médiatique par le rachat du Seuil en 2004. Au centre de cette aventure, il y a Hervé de La Martinière, son président et fondateur. Rencontre avec un autodidacte passionné par son métier.

Vous avez commencé votre carrière dans l'édition, il y a 35 ans. Après avoir gravi un à un les échelons, vous êtes aujourd'hui à la tête d'un groupe majeur du livre en France mais également à l'international. Quelles ont été les grandes étapes de votre parcours ?
Hervé de La Martinière. Tout s'est fait finalement assez naturellement. Si on remonte assez loin dans le temps, je suis quelqu'un qui n'a fait aucune étude. J'étais plutôt rebelle au système scolaire, ce qui m'a valu d'ailleurs une gifle d'un professeur qui a eu des conséquences à la fois dramatiques et positives. Il m'a fait perdre l'usage d'une oreille mais cette épreuve m'a en même temps donné le goût de la lecture. Je me suis très vite dit que je travaillerais dans les métiers du livre.

J'ai vraiment commencé à la base du métier, au service réclamations d'Hachette. Mais j'ai vécu ces années comme le début d'une formation. J'ai successivement passé plusieurs années à la distribution, à la direction commerciale, avant de devenir éditeur de littérature puis de beaux livres et enfin de rejoindre le pôle grand public de Nathan. Quand j'ai créé les Editions de La Martinière en 1992, les choses sont allées très vite car je connaissais déjà tous les métiers de l'édition. J'étais capable d'aller corriger des épreuves sur machines, de diriger des représentants, de voir les logiques de la distribution et je connaissais les libraires.

Que retenez-vous de vos débuts d'entrepreneur dans ce milieu très concurrentiel de l'édition ?
Pour me lancer, j'ai choisi la plus mauvaise période et le secteur le plus difficile : celui du livre illustré. C'était en pleine guerre du Golfe. Le livre illustré n'existait quasiment pas dans l'univers français de l'édition. Les ouvrages étaient très chers et restaient franco-français. Je voulais leur donner une dimension internationale afin d'augmenter les tirages et faire baisser le prix de vente.


Etant intimement convaincu de mon projet d'entreprise, je n'ai probablement pas attaché suffisamment d'importance aux mots."

Trouver des financements n'a pas été facile. J'ai rencontré des établissements financiers qui, quand je leur demandais 10 ou 15 millions de francs, me répondaient qu'ils n'étaient pas intéressés par de si petites sommes. C'est une des bonnes leçons de ma vie d'entrepreneur : si vous voyez petit, vos projets n'intéressent personne, notamment parmi les établissements financiers. C'est dramatique et cela reste toujours le cas aujourd'hui. Pour parvenir à vos fins, il faut faire jouer ses relations et trouver quelqu'un qui se porte caution. C'est ce qui m'a finalement permis de démarrer.

En 2004, vous rachetez le Seuil, maison d'édition sept fois plus grosse que la vôtre en termes d'effectif. Quels ont été vos arguments pour convaincre vos partenaires ?
Je ne trouve pas que l'acquisition du Seuil ait été la plus spectaculaire de toutes. Celle de la maison d'édition américaine Abrams, en 1997, l'était plus. Elle réalisait un chiffre d'affaires quatre ou cinq fois supérieur au nôtre. Il y avait plus de cent candidats sur les rangs et nous étions français ! Ce sont les relations de confiance que j'avais nouées dans le temps qui ont permis à mon offre d'être retenue. Je connaissais en effet le président d'Abrams et il souhaitait que ce soit moi qui reprenne la maison.

Au final, on en revient toujours au même : ce sont les liens tissés en amont qui portent leurs fruits à un moment ou à un autre. Aujourd'hui, le groupe de La Martinière compte une quinzaine de sociétés et je n'ai jamais été cherché personne : ce sont toujours les entreprises en vente qui sont venues à moi.

Entre le créateur d'une entreprise de cinq salariés que vous étiez au début des années 90 et votre poste de président d'un groupe d'un millier de personnes, qu'est-ce qui a changé dans votre manière de manager ?
Quand on se développe au rythme où se sont développées les Editions de La Martinière, il y a en effet des étapes très difficiles à franchir. Les structures d'une toute petite PME n'étaient bien sûr pas adaptées au petit groupe que nous sommes devenus. J'ai néanmoins réussi à garder l'ensemble de l'équipe des débuts, en les faisant évoluer. L'un de mes stagiaires dirige maintenant l'un des univers les plus performants du groupe et réalise 6 ou 7 millions d'euros de chiffre d'affaires. C'est une vraie satisfaction.


Prendre le temps de mûrir une idée n'est jamais du temps perdu contrairement à la réaction instantanée sur laquelle on revient souvent."

Malgré tout, à chaque nouvelle étape, il faut se structurer tout en allant relativement vite. Cela ne va pas sans inconvénients. Ainsi, l'acquisition du Seuil a constitué un important changement non seulement de dimension mais également de culture et de management. Il y avait d'un côté une entreprise jeune et de l'autre un groupe très traditionnel, mais tous deux étaient très marqués par leur histoire. C'est une de mes erreurs de ne pas avoir suffisamment bien appréhender cette rupture.

Si vous deviez recommencer, comment feriez-vous pour atténuer ce choc des cultures ?
Je communiquerais complètement différemment. Je ferais attention à faire passer aux salariés, aux libraires et aux éditeurs que nous distribuons, un certain nombre de messages sur le projet d'entreprise. Je suis quelqu'un qui pense qu'on convainc mieux avec les actes qu'avec les mots. Mais le marché et l'entreprise ne voient pas les choses de cette manière. Etant intimement convaincu de mon projet d'entreprise, je n'ai probablement pas attaché suffisamment d'importance aux mots.

Comment qualifieriez-vous votre style de management ? Avez-vous des modèles ?
Je n'ai aucun modèle car je crois que dans le management, il faut avant tout être soi-même. Le plus difficile est de mettre les bonnes personnes aux bons endroits. Je crois qu'on est dans une période où l'entreprise doit de plus en plus tenir compte des gens individuellement et de leurs préférences. Il y a encore une sorte d'a priori selon lequel l'entreprise doit agir sur la vie des gens. Je pense qu'au contraire, c'est à elle de s'adapter. Je pense que c'est le cas de mon style de management, moyennant quoi je dispose d'équipes qui travaillent presque trop !

Avez-vous des recettes pour gérer la pression ?
J'ai la chance de vraiment quitter l'entreprise quand je ferme la porte du bureau. Certaines personnes me demandent comment je fais pour vivre avec la pression des dettes, des banques. Je leur réponds que je n'ai rien à perdre. Ce qui est important pour moi, c'est de préserver les emplois et de continuer à développer l'entreprise. Dans un groupe comme celui-là, on prend des risques en permanence. Il faut prendre des dizaines de décisions par jour, dont certaines peuvent avoir d'importantes conséquences. Mais une fois que le risque est pris, il faut l'assumer et ne pas avoir toujours peur des suites.


J'aime bien faire des paris sur les personnes que je recrute."

Comment se passe, justement, la prise de décision pour vous ?
Aujourd'hui, avec des instruments comme le téléphone, l'ordinateur ou les assistants personnels, tout va de plus en plus vite et on ne prend plus le temps de réfléchir. Les décisions doivent être prises dans les secondes qui suivent. On s'étonne que vous n'ayez pas répondu à un mail une heure après son envoi. Pourtant, prendre le temps de mûrir une idée n'est jamais du temps perdu, contrairement à la réaction instantanée que l'on regrette souvent et sur laquelle on revient. C'est pourquoi je fais partir l'équipe éditoriale en séminaire trois jours en janvier, pour que nous prenions le temps de tirer les leçons de 2006.

Quels sont vos critères pour recruter vos collaborateurs ? Quelles qualités privilégiez-vous ?
Je ne recherche pas de qualités définies. Du fait de mes problèmes d'audition, j'ai toujours pris le temps de bien étudier les gens. Je choisis mes collaborateurs sans jamais faire appel à un chasseur de têtes. C'est avant tout une question de feeling. Je n'étudie jamais le CV de la personne que je reçois en entretien avant de la rencontrer. Je préfère qu'elle me raconte son histoire. Il faut écouter la sincérité et l'adéquation. Par moment, je prends des gens complètement à contre-emploi. Quelqu'un qui vient pour être éditeur peut se retrouver attaché de presse. Un autre qui se présente pour un poste de commercial peut se retrouver avec une proposition d'éditeur. J'aime faire des paris sur les personnes que je recrute. Et pour cela, la connaissance de l'autre est un atout non négligeable.

Site
Le groupe La Martinière
Qu'est-ce qui vous plaît le plus et le moins dans votre fonction actuelle ?
Ce qui me plaît le moins, c'est de perdre contact avec l'édition au fur et à mesure du développement du groupe. Ce métier était ma vraie vocation au départ. J'aime tout particulièrement la richesse des rapports humains qu'il permet. La frontière entre le professionnel et l'amical est extrêmement fragile. D'un dîner ou de vacances passés avec un auteur sortent parfois de grands projets.

Mais l'univers de l'édition peut également savoir être aussi mesquin et difficile qu'un autre. Tout responsable d'entreprise doit avoir une carapace. Un patron, dans 80 % des cas, n'a que des problèmes à régler et des réponses négatives à donner. Dès que quelqu'un a un problème, c'est sur vous que cela retombe. Il faut garder un certain recul par rapport à cela.


Parcours

Hervé de La Martinière entre chez Hachette en 1972 et réalise la première partie de sa carrière dans les différents pôles d'activité du groupe. Il occupe notamment les postes de directeur commercial, éditeur chez Hachette Littérature, gérant des Editions du Chêne et directeur du département grand public de Nathan.

En mai 1992, à 45 ans, il choisit de diriger son entreprise et crée les Editions de La Martinière. Trois ans plus tard, il rachète la société Diff - Edit puis l'éditeur de livre d'art américain Abrams en 1997. Les Editions de La Martinière devient un groupe international axé sur deux métiers complémentaires : l'édition et la diffusion-distribution. En 2004, il réalise l'acquisition du groupe Le Seuil et crée sa filiale spécialisée dans la diffusion-distribution de livres : Volumen.



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