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20/03/2007
Du racisme à l'embauche chez 4 employeurs sur 5
Plus des trois quarts des employeurs préfèrent embaucher un candidat dont le nom possède une consonance bien française à son concurrent d'origine maghrébine ou noire africaine. C'est ce que démontre le Bureau international du travail (BIT) dans une enquête par testings publiée le 14 mars dernier. Réalisée en France de fin mai 2005 à mi-2006 en collaboration avec le ministère du Travail, cette enquête conclut que "collectivement, les employeurs testés ont très nettement discriminé les candidats minoritaires. Seuls 11 % d'entre eux ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les deux candidats."
A compétences égales des candidats, 78,7 % des employeurs sélectionnent celui issu d'une catégorie majoritaire de la population, baptisé pour l'expérience Julien Roche, Jérôme Moulin, Marion Roche ou Emilie Moulin. Les quatre autres faux candidats, français et dotés d'un CV équivalent aux quatre premiers en termes de scolarité, formation, qualifications, expérience, mobilité et résidence, s'appelaient pour leur part Kader Larbi, Farid Boukhrit, Aminata Bongo ou Binta Traoré. A Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Paris et Strasbourg, des étudiants ou comédiens de 20 à 25 ans ont testé 2.240 offres d'emploi de basses et moyennes-basses qualifications dans des métiers de contacts avec la clientèle - hôtellerie, restauration, vente, commerce, services à la personne, transports ou accueil.
D'après Anne Saüt, directrice générale de Diversity Conseil, cabinet de conseil RH, "l'enquête a été réalisée dans ces secteurs car ils prétendent souvent manquer de main d'oeuvre : il est donc très intéressant de lever le voile sur leurs pratiques de recrutement. Mais ce chiffre, qui n'évolue pas en s'améliorant, serait encore pire pour des postes plus qualifiés." Pour la spécialiste de la diversité en entreprise, l'employeur a souvent l'impression qu'un candidat venant d'une autre culture aura des facteurs de motivation différents. "Ce qui le freine est donc la peur du conflit."
Le BIT démontre d'ailleurs que "près de 90 % de la discrimination globale est enregistrée avant même que les employeurs ne se soient donné la peine de recevoir les deux testeurs en entrevue". D'après l'enquête, "une forme assez sournoise de discrimination" consiste à mettre en attente le candidat discriminé - "envoyez un CV", "rappelez", "on vous rappellera"... - alors que l'autre est immédiatement reçu en entretien.
A la suite d'un premier contact par téléphone, d'un envoi de CV ou d'une visite spontanée, Julien Roche et Kader Larbi ont été refusés à 32,8 %, priés de patienter à 22,3 % ou été tous deux invités à passer un entretien à 13,3 %, ou une évaluation à 3,6 %... ce que le BIT recommande comme la meilleure façon de prévenir les discriminations. Dans les autres cas (28 %), les employeurs ont le plus souvent donné des réponses différentes aux deux concurrents, les trois quarts du temps au détriment du candidat au nom maghrébin ou noir africain. Mais un rendez-vous n'est pas non plus un gage de non discrimination, puisque certains employeurs ont alors pu refuser le candidat discriminé au prétexte qu'il habitait loin.
Pour Anne Saüt, cette enquête est une sonnette d'alarme, qui doit interpeller aussi bien le Medef que les candidats aux élections présidentielles. "Le Medef pourrait demander une formation obligatoire pour tous les recruteurs sur la question des discriminations. Les ministères et les collectivités locales devraient également montrer l'exemple. Il est temps que nos dirigeants, politiques comme d'entreprises, prennent leurs responsabilités. C'est ce que fait EDF, qui a entrepris de former pas moins de 14.000 collaborateurs à la diversité."
Car sans discours très fort de la direction, notre experte ne voit aucune raison pour que la situation s'améliore. "De plus en plus de grands groupes se sont décidés à des actions telles que la signature de la Charte de la diversité. Ces bonnes intentions 'd'en haut' sont importantes, mais les managers et recruteurs, qui ont peu été formés, passent donc peu à l'acte." Anne Saüt préconise donc à leur égard un certain nombre de mesures "qui ne coûtent rien" : les convaincre des avantages d'une politique de diversité pour l'entreprise, les alerter des risques juridiques de la discrimination, les faire travailler sur leurs propres stéréotypes et, au niveau de l'entreprise, mettre en place un système de justification des rejets de candidatures. "Et de l'autre côté, des associations doivent continuer à aider les minorités, moins bien préparées aux entretiens."
Lors de l'expérience menée par le BIT, seul un employeur a discriminé un Julien en faveur d'un Farid pour un poste de serveur. La raison avancée : "j'ai un cuisinier originaire de Sétif qui visiblement n'accepte pas tellement les musulmans non pratiquants".
En savoir plus BIT, Ministère du Travail, Diversity Conseil.
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