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Interview
 
26/06/2007

Véronique Queffélec (Euromédiations) : "Je me présente toujours comme lobbyiste, sans aucune ambiguïté"

En quoi consiste le métier de lobbyiste ? Déontologie, méthodes d'influence, rémunération... Véronique Queffélec dévoile les dessous d'une profession qu'elle exerce en France et en Inde.
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Outils des puissants pour peser sur les décisions politiques ou mécanisme essentiel à la vie d'une démocratie ? Les lobbies inspirent surtout la méfiance par le secret qui règne autour de leur fonctionnement. Revendiquant son statut de lobbyiste, Véronique Queffélec est la fondatrice d'Euromédiations et d'Indiamédiations. Elle a défendu auprès des décideurs politiques les intérêts de ses clients dans de nombreux secteurs économiques. Elle répond aux questions de nos lecteurs sur son activité et nous explique en quoi consiste ce métier encore très mal connu.

 

 
Véronique Queffélec, fondatrice d'Euromédiations
 

Est-ce un bon carnet d'adresses ou de solides connaissances en droit qui vous semblent le plus important pour faire une carrière de lobbyiste ?

Il me semble fondamental d'avoir une expertise juridique et économique. Le carnet d'adresses permet de gagner du temps mais il n'est pas primordial.

 

Recrutez-vous ? Quels profils et quels salaires d'embauche ?

Nous ne recrutons pas actuellement en France car nous nous développons sur le marché indien. Nos prochains collaborateurs seront donc issus du sous-continent indien.

Quelles actions avez-vous menées récemment auprès des pouvoirs publics et pour qui ?

C'est un peu délicat de parler des cas les plus récents, à cause du secret professionnel. En France, je suis intervenue dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour faire valoir les arguments de certains groupes professionnels. En Inde, où je suis la seule lobbyiste française à être présente, j'ai agi dans le cadre du projet de loi de finance pour permettre qu'une taxe déductible, dans un dossier concernant les transports, continue de l'être.

 

En quoi aidez-vous les entreprises françaises à s'installer en Inde ? Quelles difficultés y rencontrent-elles ?

© JDN / Cécile Genest
"Le lobbying est une composante de la démocratie. Il n'y a pas lieu de se cacher ni de chercher à trouver une autre appellation"

La législation indienne impose aux entreprises étrangères de trouver un partenaire local. Je le recherche pour elles. J'aide aussi, dans le cadre de fusions-acquisitions, les entreprises indiennes qui viennent en Europe. Les entreprises françaises qui vont en Inde doivent s'adapter aux règles administratives très particulières qui y sont en vigueur, à une législation très différente de la nôtre, à un environnement variable selon les Etats - l'Union en compte 27. D'autres aspects peuvent être déroutants : la notion du temps en Inde, par exemple, est très particulière.

 

Est-ce que vous envisagez de faire ailleurs ce que vous faites aujourd'hui en Inde ?

L'Inde est pratiquement un continent, plus vaste que l'Europe. Un milliard d'habitants, dont 60 % a moins de 25 ans, une union nationale de 27 Etats, huit territoires... Malheureusement je n'ai pas le don d'ubiquité.

 

Travaillez-vous avec des clients réguliers ou s'agit-il plutôt d'interventions ponctuelles ?

Les deux. Certains clients ont un abonnement annuel. D'autres nous contactent pour des opérations ponctuelles. Certaines associations professionnelles ont besoin que l'ensemble de leurs dossiers soient suivis tout au long de l'année. D'autres, a contrario, ont un besoin ponctuel, notamment lorsqu'ils identifient, à l'intérieur d'un projet de loi, une mesure qui leur est défavorable. Néanmoins, le lobbying permanent est plus judicieux. Traiter un dossier dans l'urgence est toujours compliqué et souvent contre-productif.

 

Comment vous rémunérez-vous ?

Nous demandons, dans le cadre d'un abonnement, une somme forfaitaire mensuelle pour la durée du contrat, en général un an. Lorsqu'il s'agit d'un dossier ponctuel, nous demandons une somme en fonction du temps passé ou une somme forfaitaire plus des honoraires de succès. En général, ils sont de 10 % du montant de la somme gagnée par l'entreprise grâce à cette action de lobbying. En Inde, nous fonctionnons sur le mode du remboursement des frais et d'un success fee de 10 %. Dans ce pays, nous demandons aussi aux entreprises de consacrer un pourcentage du marché obtenu à une oeuvre caritative. Par exemple, une fondation qui permettra de créer des points d'eau et aidera à assainir l'eau est en cours de création.

 

Comment les PME peuvent-elles faire valoir leurs intérêts ?

© JDN / Cécile Genest
"Le lobbying est un art, celui d'influencer une décision publique ou privée"

Les PME le font soit à travers une association professionnelle, soit à titre individuel pour celles qui ont une certaine taille. Par exemple, j'ai défendu, il y a quelques années, des entreprises de différentes tailles, regroupées dans la fédération des entreprises des départements d'outre-mer (Fedom). Il m'est arrivé aussi d'aider certaines PME en misant sur leur essor. J'ai eu raison car certaines d'entre elles, grâce à notre action, ont grandi et sont ensuite entrées en bourse.

 

Vous présentez-vous comme lobbyiste auprès de tous les publics et notamment des hommes politiques, ou avez-vous d'autres appellations plus discrètes ?

Sans aucune ambiguïté, je me présente comme lobbyiste et annonce pour qui je travaille. Le lobbying est une composante de la démocratie, il n'y a pas lieu de se cacher ni de chercher à trouver une autre appellation. En France, il y a eu un mélange des genres. Sous le vocable lobbying, on regroupait de nombreuses activités, ou plus exactement actions, qui n'avaient aucun rapport entre elles. Aujourd'hui, en France, l'association française des conseils en lobbying (AFCL), à laquelle j'appartiens, a une charte de déontologie.

 

Quel genre de sollicitations refuseriez-vous pour des motifs éthiques ? Y a-t-il des secteurs d'activités pour lesquels vous ne travaillerez jamais ?

Je refuse tous les dossiers dans lesquels il pourrait être, de près ou de loin, porté atteinte à l'environnement. L'environnement est pour moi une préoccupation majeure. Surtout la question de l'eau à laquelle je suis très sensible pour avoir travaillé bénévolement six ans avec le Haut fonctionnaire de Défense (HFD) en tant que conseiller. Je ne pourrai jamais travailler pour l'industrie chimique par exemple, pour ceux qui polluent. Par ailleurs, je suis très sensible aux droits de l'Homme. Dans mes dossiers à l'étranger je suis particulièrement vigilante au respect de certaines normes, surtout concernant les femmes et les enfants.

 

Quels sont les secteurs industriels qui sollicitent le plus les lobbyistes ?

© JDN / Cécile Genest
"Je ne pourrai jamais travailler pour l'industrie chimique, ni pour aucun pollueur"

La finance, la santé... et beaucoup l'agroalimentaire. Dans ce domaine en particulier, les enjeux sont énormes. Evidemment, toutes les questions liées à l'environnement, particulièrement l'énergie et l'eau, sont de plus en plus fondamentales et consommatrices de lobbying. En France et en Inde, les sujets de préoccupation lobbying ne sont pas identiques. Néanmoins les questions de l'énergie, de l'eau et des déchets sont importantes même si leur étendue est différente dans ces deux endroits du globe.

 

Y a-t-il un risque qu'un scandale Abramoff - scandale de corruption lié au lobbying washingtonien - éclate en France ou à Bruxelles ?

En ce qui concerne l'ensemble de mes confrères lobbyistes en France adhérant à l'AFCL, ils respectent tous la charte et sont soucieux d'une déontologie stricte. Il y a donc peu de chance que ce genre de problème arrive dans ce groupe. En revanche, certaines personnes pourraient utiliser de façon abusive l'appellation de lobbyiste. Il conviendrait certainement que l'on énonce nos titres, qualités, mandants lors de nos divers entretiens. Cela éviterait de possibles dérapages. Mais je crois qu'en France nous sommes en bonne voie. A Bruxelles, les lobbyistes sont répertoriés mais on rencontre aussi des personnes qui hantent les couloirs en utilisant un "faux nez". Le problème, à mon sens, ne vient pas des lobbyistes professionnels mais de ceux qui prétendent l'être.

 

Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre métier ?

La difficulté majeure est de faire comprendre que le lobbying est une profession transparente, reflet de la démocratie. Le lobbying est aussi un art : celui d'influencer une décision publique ou privée. Mais en respectant toujours les droits de l'Homme, la loi et surtout en ne portant jamais atteinte à l'intégrité de l'environnement.

 

 


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