Faits et foutaises dans le management

 

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Les leaders doivent-ils avoir le contrôle de leur organisation ?

 

"Quand vous demandez à n'importe quel dirigeant d'une organisation, publique ou privée, s'il exerce un pouvoir, un contrôle ou une influence suffisants sur son organisation, il vous répond presque toujours que non.(...) Ce qui soulève la question suivante : les leaders doivent-ils davantage contrôler leur organisation ? Même si la toute-puissance du PDG est un mythe, la persistance de ce mythe signale peut-être qu'un tel pouvoir serait souhaitable dans la réalité. La réponse à cette question dépend, bien sûr, du point de vue que vous adoptez.

 

 
Les leaders voient presque toujours d'un bon oeil la possibilité de bénéficier d'un contrôle renforcé sur leur organisation ©
 

Les leaders, qu'ils soient PDG, présidents d'universités ou directeurs d'organisations à but non lucratif ou d'agences gouvernementales, voient presque toujours d'un bon oeil la possibilité de bénéficier d'un contrôle renforcé sur leur organisation. Pourquoi ? En vertu de ce que nous avons appelé la surévaluation de soi – l'individu a tendance à surestimer ses compétences et ses capacités pour avoir de lui l'image la plus positive possible, ce qui lui permet de s'estimer davantage et d'alimenter son ego. Dans le monde des décisions organisationnelles, cela signifie que nous sommes persuadés que les actions que nous avons réalisées, ou du moins influencées, sont meilleures que celles auxquelles nous n'avons pas participé, de près ou de loin.

 

Considérez l'expérience suivante menée par Jeffrey Pfeffer et ses collègues. Les sujets d'expérience, des étudiants de MBA à Stanford, ont été individuellement chargés de superviser un subordonné travaillant sur un projet de publicité pour une montre Swatch dans un bureau voisin. Ces responsables ont été soumis de façon aléatoire à l'un des trois traitements suivants. Les expérimentateurs ont dit à ceux du premier groupe qu'ils allaient être trop occupés et ne verraient donc que le projet final. Ils ont dit à ceux du deuxième groupe qu'ils verraient une version intermédiaire du projet et répondraient à une liste de questions standard qu'ils pourraient utiliser pour donner des informations en retour, mais leur ont dit également que, comme dans le monde réel, des difficultés de communication et des contraintes de temps empêcheraient leurs retours d'être transmis à leurs subalternes. Quant aux responsables du troisième groupe, ils allaient remplir exactement la même liste de questions standard après avoir vu le même projet intermédiaire, mais leurs commentaires seraient transmis aux employés.

 

Dans l'expérience, les feedback des managers sont restées sans effet sur le produit final ; les responsables des trois groupes ont vu un projet final identique. On leur a ensuite demandé d'évaluer la qualité de la publicité, ainsi que leur compétence managériale. Vous devinez aisément les résultats, mais Jeffrey et ses collègues ont été surpris par l'importance des écarts entre le troisième groupe et les deux autres. Les managers du troisième groupe, convaincus que leurs commentaires avaient influencé le projet final, ont jugé à la fois la publicité et leur compétence managériale deux fois meilleures que les autres responsables qui pensaient n'avoir eu aucune influence. Le simple fait de surévaluer l'importance de leur contribution les portait à surévaluer la qualité du produit final (et à se surévaluer), alors que leurs actions n'avaient eu aucun impact réel !

 

"Les meilleurs groupes enregistrent de meilleures performances que les meilleurs individus"

Non seulement les leaders surestiment leurs effets positifs sur leurs collaborateurs, mais la croyance selon laquelle ils doivent contrôler leur organisation est une demi-vérité dangereuse. Pourquoi ? Parce que lorsqu'ils exercent une influence et un contrôle excessifs sur leurs collaborateurs, leur entreprise et leur personnel en pâtissent souvent. Même l'individu le plus intelligent, le plus expérimenté et le plus dévoué à sa tâche n'est qu'un être humain avec ses préjugés et ses défauts. L'un des résultats de recherche les plus fiables sur les prises de décision et la performance organisationnelle montre que les meilleurs groupes enregistrent de meilleures performances que les meilleurs individus, parce que les groupes sont capables de tirer parti de la sagesse collective et des idées de nombreux individus, tandis que les jugements individuels reflètent les idées et les compétences plus limitées d'un seul individu. La qualité des décisions est donc généralement meilleure avec des décideurs multiples et indépendants.

 

Les leaders font des erreurs, comme tout le monde. Mais dans la mesure où ils exercent un contrôle absolu sur leur organisation, il n'existe pas, ou quasiment pas, de contrepoids à leur potentiel d'erreur illimité. La plupart des faillites d'entreprises et des scandales financiers ne sont pas dus seulement à la cupidité, à l'immoralité ou à la moralité contestable des dirigeants, mais aussi à l'absence de contre-pouvoirs.

 

Un autre problème survient lorsque les leaders exercent un contrôle excessif sur leur organisation. L'un des processus psychosociaux les plus tenaces et les plus puissants est celui de l'implication – on est plus enclins à mener à bien des décisions qu'on a prises et à l'égard desquelles on se sent impliqués. Lorsque des leaders prennent des décisions pour nous ou en notre nom, ils pensent que ces décisions sont meilleures – après tout, ce sont eux qui les ont prises – mais nous, nous ne nous sentons pas engagés à l'égard d'une prise de décision à laquelle nous n'avons pas participé. C'est pourquoi abandonner un contrôle exagéré aux leaders peut renforcer leur autosatisfaction et les conforter dans les choix qu'ils ont effectués, mais risque d'entraîner l'organisation dans des difficultés importantes liées à la mise en œuvre de ces choix."

 

Extraits de Faits et foutaises dans le management, J. Pfeffer et R. Sutton (Vuibert), p.194 à 196.

 


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