Lever des fonds dans l'e-RH : les conseils de ceux qui ont réussi

Lever des fonds dans l'e-RH : les conseils de ceux qui ont réussi Deux patrons de start-up et une directrice de fonds dévoilent les meilleures pratiques pour susciter l'intérêt des investisseurs.

60 millions de dollars, soit 51 millions d'euros. C'est la somme levée par le concepteur de Mooc OpenClassrooms le 16 mai 2018. Un record sur la scène de l'e-RH française. De quoi faire des envieux et inciter les entrepreneurs en herbe à sonner à la porte des fonds d'investissement pour accélérer leur développement. Mais comment s'y prendre concrètement ? Quels arguments mettre en avant ? Si les données financières peuvent permettre de rassurer les investisseurs, encore faut-il trouver les bonnes. Et ne pas uniquement miser sur des KPI, aussi prometteurs soient-ils. Certaines bonnes pratiques permettent de forcer la décision et de se démarquer des autres entrepreneurs. Lesquelles ? Si certaines astuces concernent toutes les start-up, d'autres sont spécifiques à un secteur qui a récolté pas moins de 170 millions d'euros sur l'année 2017. Trois spécialistes des levées de fonds en e-RH ont accepté de dévoiler leurs meilleurs conseils au JDN. Il s'agit de :

  • Jean-Baptiste Achard : Co-fondateur du jobboard StaffMe, il a levé 500 000 euros en mai 2016 avant de récolter 3 millions d'euros en janvier 2018
  • Christophe Bergeon : Fondateur et CEO de la start-up ZestMeUp qui mesure le bonheur au travail des salariés, il a levé 800 000 euros en décembre 2017
  • Chantal Toulas : Directrice de Creadev, la société d'investissement de la famille Mulliez, elle a financé plusieurs start-up de e-RH notamment dans le secteur du e-learning (Digischool, My Mooc et Learning Tribes).

Voici les dix conseils qu'il est important de connaître avant de tenter de réaliser sa première levée de fonds : 

Se présenter en binôme

"Le mix idéal est un spécialiste des RH accompagné d'un profil marketing ou tech"

Le secteur de la e-RH se développe sur le terrain de la digitalisation du travail. Pour être crédible aux yeux des investisseurs, un dirigeant de start-up doit donc avoir une spécialisation en RH, en tech et en entrepreneuriat. Très rares sont les personnes qui possèdent à elles seules cette triple expertise. L'idéal est donc de se présenter en binôme. "Une large palette de compétences, c'est un des points les plus importants", souligne Chantal Toulas, directrice de Creadev. Pour elle, le mix idéal est un spécialiste des RH accompagné d'un profil marketing ou d'un spécialiste de la tech (conception d'algorithme de matching, de plateforme Saas…).

Contacter ses clients

Les principaux fonds connaissent bien le secteur de la e-RH qui commence à devenir attractif. Mais il a un défaut reconnu par Chantal Toulas : "le ROI est difficilement quantifiable sur des concepts comme l'engagement des salariés ou le bien-être au travail par exemple". Finalement, les premiers satisfaits des services d'une start-up sont les clients. Et ceux-ci peuvent mettre la main au portefeuille. Ce que confirme Jean-Baptiste Achard, co-fondateur du jobboard StaffMe qui a levé 500 000 euros en mai 2016 et 3 millions d'euros en janvier 2018 : "Lors de notre première levée d'amorçage, j'ai informé par mail nos clients que nous cherchions à lever. Certains nous ont appuyés auprès d'investisseurs, d'autres ont joué un rôle de business angels, ce qui a permis de mettre de l'essence dans le moteur".

Graviter dans les bons cercles

LabRH, HappyTech, EdTech France, France apprenenante : ces structures ne demandent qu'à aider les jeunes pousses de la e-RH

Pour réaliser sa première levée de fonds, mieux vaut échanger un maximum avec d'autres entrepreneurs. Heureusement, il existe de nombreux réseaux à cultiver dans le secteur de la e-RH. Le plus connu est le Lab RH qui organise des petits déjeuners réguliers pour permettre aux jeunes pousses de rencontrer des investisseurs. D'autres cercles encore plus spécialisés peuvent permettre d'échanger de bonnes pratiques et de se mettre en avant. Ainsi, les spécialistes du bien-être au travail pourront adhérer à l'association HappyTech tandis-que les experts du e-learning s'intéresseront davantage à EdTech France ou au nouveau collectif France Apprenante. Enfin, il existe des réseaux plus généralistes spécialisés dans les rencontres entre entrepreneurs en devenir et dirigeants chevronnés. Citons par exemple Beeleev ou Parrainer la croissance.

Trouver les bons arguments

Pour inciter les investisseurs à délier les cordons de la bourse, il est nécessaire de rassurer les détenteurs de capitaux en donnant des chiffres clairs et précis. "Nous attendons un business plan très détaillé, ce qui est difficile car ils peuvent porter sur un marché qui n'est pas du tout mature", constate Chantal Toulas. A chaque start-up de trouver les chiffres propres à faire pencher la balance. Pour un jobboard comme StaffMe, Jean-Baptiste Achard a notamment dévoilé les données suivantes : le nombre d'annonces postées, la durée moyenne pour qu'un client trouve un freelance ou encore le taux de récurrence client et le taux de satisfaction des clients et des travailleurs indépendants qui sont passés par la plateforme.

Bien choisir son investisseur

"Actuellement, il n'existe pas de fonds spécialisé dans les RH ou le recrutement"

Christophe Bergeon co-fondateur de ZestMeUp, qui mesure le bonheur des salariés, est catégorique : "Actuellement, il n'existe pas de fonds d'investissement uniquement spécialisé dans les start-up de RH et de recrutement". Pour trouver chaussure à son pied, il est donc nécessaire de frapper à plusieurs portes. Et de bien les choisir en amont. Pour lui, c'est un point central : "fonds et business angels sur-sélectionnent et c'est bien normal. Nous devons faire de même". Pour illustrer son propos, il a une anecdote : "j'ai passé un entretien dans un fonds, la première question qui m'a été posée était : mais pourquoi écouter les salariés ? Quelle est le plus-value ? A quoi bon continuer à argumenter face à ce type de propos ?". Les échanges entre pairs et le networking permettent d'éviter ce type de mésaventure.

Bien gérer son temps

Pour Christophe Bergeon, un des principaux pièges dans lequel un entrepreneur peut tomber est celui de la gestion du temps : de fait, la recherche d'investisseurs peut s'avérer chronophage. Pour autant, il est nécessaire que la start-up continue son développement. Aussi, le fondateur de ZestMeUp conseille "de voir dix fonds en un mois, de bien les cibler en avance, de bien préparer son dossier, de s'assurer qu'ils sont familiers des RH". En bref, il faut être hyper organisé dans la démarche et ne pas hésiter à retenter sa chance si la première tentative n'est pas fructueuse.

Faire preuve de vision

"Il est parfois difficile de deviner le ROI immédiat de certains concepts"

Selon Chantal Toulas, "pour un investisseur dans les start-up de RH, il est parfois difficile de deviner le ROI immédiat sur certains concepts. Tout se joue à la vision, au projet, à la vision de la personne en face de nous". Un avis partagé par Christophe Bergeon qui estime "qu'une levée de fonds, c'est avant tout une histoire d'Hommes. Les fonds misent sur une personnalité autant que sur des idées et des chiffres. Il est donc nécessaire de montrer que l'on a un cap, que l'on est capable de gérer une équipe, bref que l'on se place sur du long terme. Il faut également être clair sur son parcours et son histoire". Ce qui ne doit pas empêcher de donner des KPI qui permettent de séduire les investisseurs. Car le bagout seul ne suffit pas.

Ne pas partir la fleur au fusil

Lever des fonds est une tâche difficile et l'entrepreneur, quel que soit son niveau d'expérience, ne doit pas se lancer seul dans le démarchage d'investisseurs. Tel est le principal conseil de Jean-Baptiste Achard, qui estime que "les fonds sont toujours bien accompagnés. Il existe toujours un risque de se faire avoir au moment de la rédaction du pacte d'actionnaires". Selon lui, "il est nécessaire d'être accompagné par des experts-comptables ou des avocats. Cela a un coût mais permet d'éviter certains désagréments comme par exemple voir les fondateurs dépossédés de leur start-up en cas de coup de moins bien".

La jeunesse, un repoussoir ?

"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années", disait Rodrigue dans le Cid. Une phrase qui pourrait s'appliquer aux jeunes entrepreneurs de la e-RH puisque certains ont levé des fonds à un jeune âge. Ainsi, exemple parmi d'autres, le concepteur de Mooc Unow a levé 3 millions d'euros en septembre 2017 alors que les co-fondateurs ont lancé la start-up en sortie d'école. Pourtant, avoir un aîné à ses côtés apporte une touche de crédibilité. Tel est l'avis de Jean-Baptiste Achard, qui a monté sa start-up avec Amaury d'Everlange un avocat quadragénaire : "sa connaissance du droit, son passé d'entrepreneur ont contribué à rassurer les financiers. Il arrive parfaitement à convaincre de la solidité du projet", se réjouit le jeune entrepreneur.

La levée, une obligation en e-RH ?

Les start-up de e-RH qui veulent se développer ont-elles véritablement besoin de passer par la case levée de fonds ? "C'est conseillé mais ce n'est pas obligatoire. Par rapport à des secteurs comme la fintech ou les transports, le besoin de cash n'est pas énorme", estime Christophe Bergeon. Reste que la levée permet de gagner du temps : "C'est difficile d'effectuer une mesure exacte mais je pense que notre levée a permis de gagner un an de développement", analyse le dirigeant. Jean-Baptiste Achard est sur la même longueur d'onde : "Sans lever, on  s'endette auprès de banques et l'on croît moins vite. Pour autant, la levée n'est pas forcément obligatoire, surtout en France où l'accès au crédit est facile et les taux intéressants. Il existe également des aides de BPI France ou des subventions européennes".

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