"Malgré les process, les indicateurs et le reporting, les entreprises ne contrôlent rien"

Sociologue des organisations, François Dupuy est directeur académique du Centre européen d'éducation permanente (Cedep) basé sur le campus de l'Insead. Son dernier ouvrage en date, "Lost in Management" pointe la perte de contrôle des entreprises sur leur organisation. Au forum Change Management, il intervient sur le "changement inévitable".

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François Dupuy. © Cedep

Vous évoquez le "changement inévitable" dans les entreprises. A quoi faites-vous référence ?

Il y a en fait deux changements inévitables, l'un entrainant l'autre. D'abord, avec la prééminence prise par le client, le modèle d'organisation des entreprises a dû changer. Nous avons assisté au passage d'un modèle en silos à des modèles plus collaboratifs, avec tous les problèmes que peut poser la collaboration. Ce changement est inévitable, mais il est très dur pour les salariés. Le modèle collaboratif, ou transverse, "déprotège" les gens. Désormais, vous passez votre temps à vous confronter aux autres. La dureté nouvelle du travail n'est pas physique, mais relationnelle. Résultat : il y a une moindre implication dans le travail. Ce phénomène de retrait constitue le deuxième changement inévitable.

Tous les salariés sont-ils égaux devant ces changements ?

Non, ceux qui souffrent le plus, ce sont les cadres qui vont avoir 50 ans. Ils ont connu un mode de fonctionnement autoritaire et évoluent désormais dans un mode plus dur, basé sur la confrontation. A l'inverse, les nouveaux entrants sur le marché du travail, eux, ne se font aucune illusion sur l'entreprise.

Et les entreprises, comment ont-elles réagi à ce double changement ?

Bien souvent, par de la coercition. Celle-ci se traduit par un trio infernal : l'instauration de process, les indicateurs de performance et la systématisation du reporting. Or, tout le monde commence à se rendre compte que cela ne marche pas. Lorsque je me rends dans les entreprises, les cadres partagent généralement ce constat : l'entreprise ne contrôle rien !

Quelle voie faudrait-il emprunter alors ?

Comme la coercition ne fonctionne pas, il faut essayer de chercher une alternative. Certaines entreprises réagissent et tentent des modes d'organisation plus axés sur la confiance et la communauté d'intérêt. C'est par exemple le cas dans de grandes entreprises américaines qui innovent sur la Côte Ouest, comme Cisco ou HP. En France, La Poste, a par exemple réussi à établir une relation de confiance avec ses facteurs, qui bénéficient d'une réelle autonomie dans leur travail tout en offrant à leurs clients un service impeccable. Mais nous ne sommes encore qu'aux balbutiements de cette réflexion.