"Le jeu
de la concurrence est comparable à la hiérarchie en
entreprise. Certains acteurs dominent, d'autres subissent et quelques-uns
ont des carrières fulgurantes." Pierre Bourdellon, directeur
général du cabinet Insep Consulting-Exponentiel, accompagne depuis
plus de dix ans les entreprises qui se lancent dans une stratégie
de changement. Des opérations qui n'ont rien à voir
avec un lifting superficiel. Ici, la stratégie de changement
suit un objectif très clair : ces entreprises, challengers
sur leur marché, ont décidé d'en découdre
d'une manière ou d'une autre avec le leader.
"Pour ces challengers, poursuit Pierre
Bourdellon, quatre grandes pistes sont possibles : grignoter
peu à peu des parts de marché, s'arroger des niches,
créer une rupture ou devenir le leader en terme d'image."
Quatre méthodes où certaines entreprises excellent.
Airbus, en gagnant année après année des parts
de marché, fait aujourd'hui jeu égal avec Boeing. American
Express, en ciblant une clientèle haut de gamme, s'est tissé
un empire qui n'a pas à rougir face à Visa. Bouygues
Télécom, en inoculant le concept du forfait mobile et
aujourd'hui celui de la portabilité des numéros, agite
le marché. Apple, en cultivant la différence, s'est
forgé une image de marque planétaire.
Toutes ces entreprises ne sont pas devenues des leaders. Mais en
s'appuyant sur leur position de challenger, elles ont su construire
leur propre périmètre, leur pré carré
commercial. Leur moteur ? Selon les cas, des prix planchers,
de l'innovation, des services cousus sur mesure ou une communication
alternative. "Mais attention à ne pas être en
décalage, prévient Patrick Mercier, président de l'agence
de communication Challenger House (lire son interview).
La stratégie la mieux adaptée pour le challenger est celle qui est
la plus cohérente avec les valeurs de l'entreprise et avec la réalité
commerciale. On ne se remet jamais, par exemple, d'un positionnement
de discounter, qui est très tentant pour attaquer un marché.
L'image de discounter vous colle à la peau très longtemps,
les marques japonaises l'ont bien compris."
La stratégie du challenger comporte
deux risques"
Pierre Bourdellon, Insep Consulting-Exponentiel
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La "challenger attitude" ne conduit pas systématiquement
à détrôner le leader. Son rôle est surtout
de diffuser au sein de l'entreprise une nouvelle dynamique, "d'arrêter
de penser que l'horizon est définitivement bouché
à cause du leader en place", lance Patrick Mercier.
Un domaine dans lequel Pepsi rayonne depuis des décennies.
Cette nouvelle dynamique passe nécessairement par le management
du changement : rares sont les challengers qui passent à
l'offensive en conservant la même équipe dirigeante
et la même structure. "Une entreprise n'évolue
pas de façon vectorielle. Chaque étape de croissance
appelle une autre organisation, de nouvelles expertises et des partenaires
différents."
Cette stratégie du challenger n'est pourtant pas sans écueil.
La recette serait trop simple. Beaucoup d'entreprises, parties le
couteau entre les dents, ont finalement sombré corps et âmes.
"Outre le fait de ne pas réorganiser l'entreprise pour
s'adapter, la stratégie du challenger comporte deux risques
majeurs, estime Pierre Bourdellon. La première est de vouloir
faire, in fine, exactement comme le leader, alors que l'entreprise
n'en a pas les moyens, ni la culture. La seconde, très courante
dans les PME, est la dérive mégalo avec des dirigeants qui
se voient déjà leader à la place du leader.
C'est une posture où la remise en cause, donc la flexibilité,
est perdue. Or cette flexibilité est l'un des grands atouts
du challenger face au leader, généralement plus rigide."
Cette stratégie de la "challenger attitude", dévoyé
par certaines start-ups, devrait rencontrer une véritable
lame de fond dans les vingt années qui viennent. "C'est
inéluctable, juge Pierre Bourdellon. Dans les pays développés,
nous allons de plus en plus vers des marchés de services.
Or c'est une structure de marché propice à la différenciation,
au marketing, et où les notions de taille critique et de
barrière d'entrée, propres aux logiques manufacturières,
ont beaucoup moins d'influence. La porte sera grande ouverte aux
challengers. " Les challengers pourront alors méditer
ce constat : depuis l'avénement du marketing, même
sur un secteur d'activité étroit une entreprise peut
dégager de l'argent.
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