Claude
Lévy-Leboyer (Université Paris V)
"La motivation n'est pas un
trait de caractère"
Spécialisée en psychologie du travail, Claude
Lévy-Leboyer étudie depuis plusieurs dizaines d'années
la motivation en entreprise.
"Du pain et des jeux, et le peuple est content", c'est bien connu.
Mais peut-on satisfaire de la même manière ses salariés ?
Et comment motiver ses collaborateurs en période de crise, alors
que le levier de la rémunération est plus difficile à activer ?
Pour entretenir la motivation de ses troupes, l'entreprise doit
aujourd'hui être capable de prendre en compte et d'agir sur
de multiples facteurs. Une stratégie qui requiert une meilleure
connaissance de ce qu'est la motivation professionnelle. Les explications
de Claude Lévy-Leboyer, professeur émérite de psychologie du travail
à l'Université René-Descartes Paris V et auteur de "La
motivation dans l'entreprise" (voir notre sélection
d'ouvrages).
Qu'est-ce
que la motivation ?
Claude Lévy-Leboyer. En regardant les offres d'emploi,
je constate que les entreprises cherchent des gens "motivés". Mais
la motivation n'est pas un trait de caractère. C'est un processus
qui permet de faire des efforts importants pour une activité précise.
Cette notion, très pointue, est différente du dynamisme, de l'énergie
ou du fait d'être actif. Nous sommes motivés pour certaines choses,
mais pas pour tout.
Quels sont les facteurs
de motivation ?
Pour être motivé, il faut avoir des objectifs clairs. Le traditionnel
"peut mieux faire" n'est absolument pas efficace. L'individu doit
aussi se sentir capable d'atteindre les objectifs fixés. Enfin,
la récompense potentielle doit être à la hauteur de l'effort fourni.
La perception de cette récompense est subjective. Elle dépend notamment
de l'image de soi et du contexte. Par exemple, un jeune ménage sera
plus motivé pour faire des heures supplémentaires qu'un couple ayant
des enfants.
Pourquoi certaines organisations sont-elles
plus motivantes que d'autres ?
Les entreprises qui valorisent les ressources humaines sont plus
motivantes que les autres. Pour motiver les salariés, il faut communiquer
en interne, définir des objectifs précis et donner un retour grâce
à l'évaluation. Les valeurs et la culture d'une organisation peuvent
aussi être des facteurs de motivation. Par exemple, certains chercheurs
sont prêts à travailler sur des maladies orphelines, même si la
rémunération n'est pas intéressante.
Un leader charismatique peut-il être
source de motivation ?
Le leader incarne des valeurs auxquelles les autres adhèrent. Ces
valeurs peuvent être motivantes. De plus, l'effort se justifie par
l'estime des autres. Le leader est un modèle auquel on cherche à
ressembler, ce qui peut motiver. Mais cette forme de motivation
est proche de la manipulation.
La peur est une mauvaise source
de motivation"
|
La perspective d'une sanction peut-elle
motiver les individus ?
Certains agissent pour échapper à une sanction et gagner la tranquillité.
Aujourd'hui, les entreprises ont tendance à utiliser ce mode de
management, souvent inconsciemment. Le contexte actuel du marché
du travail réduit la mobilité. Les salariés sont souvent insatisfaits
et démotivés. Mais la peur du chômage les motive pour travailler.
Le management par la peur est à la portée de tous. Il suffit d'informer
la personne concernée des conséquences de son action. Mais, pour
qu'il soit efficace, l'individu doit croire à la menace.
Et cette motivation par la peur est-elle
efficace ?
La peur est une mauvaise source de motivation. Par exemple, les
politiques de lutte contre le tabac qui affichent des statistiques
claires sont peu efficaces car chacun imagine que les chiffres ne
le concernent pas. A Paris V, nous avions établi des statistiques
prouvant que les étudiants de médecine ayant eu moins de 4 sur 20
à leur première tentative de passage en deuxième année n'avaient
aucune chance de réussire en cas de redoublement. Nous avons décidé
de leur envoyer une lettre pour les dissuader de retenter leur chance
et les inciter à s'orienter vers d'autres formations. Ces étudiants
ne se sont pas sentis concernés et n'ont pas accepté la prédiction
du résultat. Notre démarche ne les a pas démotivés mais, au contraire,
les a "sur-motivés" : ils ont été plus nombreux à choisir de redoubler.
Une fois la récompense obtenue, perd-elle
toute valeur ?
La récompense peut renforcer l'image de soi. Elle conduit à se fixer
de nouveaux objectifs, elle "re-motive". Elle ne perd pas sa valeur,
au contraire.
Les facteurs de motivation varient-ils
selon les pays ?
Je pense qu'il existe effectivement des différences selon les pays.
Les mécanismes de motivation sont les mêmes pour tous, mais les
sources dépendent des valeurs, des conditions de vie ou encore des
peurs, autant d'éléments propres à chaque région ou pays. De plus,
les cultures individualistes valorisent des récompenses distinctes
de celles des cultures collectivistes. Dans ces dernières, les personnes
cherchent à être appréciées du groupe. Le système scolaire français
utilise le classement des élèves pour les motiver. C'est impensable
pour un pays ayant une culture collectiviste.
PARCOURS
|
Claude Lévy-Leboyer est professeur émérite
de psychologie du travail à l'Université René-Descartes
Paris V. Elle a été présidente de l'Association
internationale de psychologie appliquée. Elle est consultante
auprès de grandes entreprises et poursuit des recherches
dans le cadre de l'Institut de recherches et d'applications
en psychologie du travail. Elle est notamment l'auteur de La
motivation dans l'entreprise et Le 360°, outil de
développement personnel. |
Un
témoignage, une question, un commentaire sur ce dossier ?
Réagissez
|
|