DOSSIER 
(janvier 2004).
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Claude Lévy-Leboyer (Université Paris V)
"La motivation n'est pas un trait de caractère"
Spécialisée en psychologie du travail, Claude Lévy-Leboyer étudie depuis plusieurs dizaines d'années la motivation en entreprise.

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"Du pain et des jeux, et le peuple est content", c'est bien connu. Mais peut-on satisfaire de la même manière ses salariés ? Et comment motiver ses collaborateurs en période de crise, alors que le levier de la rémunération est plus difficile à activer ? Pour entretenir la motivation de ses troupes, l'entreprise doit aujourd'hui être capable de prendre en compte et d'agir sur de multiples facteurs. Une stratégie qui requiert une meilleure connaissance de ce qu'est la motivation professionnelle. Les explications de Claude Lévy-Leboyer, professeur émérite de psychologie du travail à l'Université René-Descartes Paris V et auteur de "La motivation dans l'entreprise" (voir notre sélection d'ouvrages).

Qu'est-ce que la motivation ?
Claude Lévy-Leboyer. En regardant les offres d'emploi, je constate que les entreprises cherchent des gens "motivés". Mais la motivation n'est pas un trait de caractère. C'est un processus qui permet de faire des efforts importants pour une activité précise. Cette notion, très pointue, est différente du dynamisme, de l'énergie ou du fait d'être actif. Nous sommes motivés pour certaines choses, mais pas pour tout.

Quels sont les facteurs de motivation ?
Pour être motivé, il faut avoir des objectifs clairs. Le traditionnel "peut mieux faire" n'est absolument pas efficace. L'individu doit aussi se sentir capable d'atteindre les objectifs fixés. Enfin, la récompense potentielle doit être à la hauteur de l'effort fourni. La perception de cette récompense est subjective. Elle dépend notamment de l'image de soi et du contexte. Par exemple, un jeune ménage sera plus motivé pour faire des heures supplémentaires qu'un couple ayant des enfants.

Pourquoi certaines organisations sont-elles plus motivantes que d'autres ?
Les entreprises qui valorisent les ressources humaines sont plus motivantes que les autres. Pour motiver les salariés, il faut communiquer en interne, définir des objectifs précis et donner un retour grâce à l'évaluation. Les valeurs et la culture d'une organisation peuvent aussi être des facteurs de motivation. Par exemple, certains chercheurs sont prêts à travailler sur des maladies orphelines, même si la rémunération n'est pas intéressante.

Un leader charismatique peut-il être source de motivation ?
Le leader incarne des valeurs auxquelles les autres adhèrent. Ces valeurs peuvent être motivantes. De plus, l'effort se justifie par l'estime des autres. Le leader est un modèle auquel on cherche à ressembler, ce qui peut motiver. Mais cette forme de motivation est proche de la manipulation.


La peur est une mauvaise source de motivation"

La perspective d'une sanction peut-elle motiver les individus ?
Certains agissent pour échapper à une sanction et gagner la tranquillité. Aujourd'hui, les entreprises ont tendance à utiliser ce mode de management, souvent inconsciemment. Le contexte actuel du marché du travail réduit la mobilité. Les salariés sont souvent insatisfaits et démotivés. Mais la peur du chômage les motive pour travailler. Le management par la peur est à la portée de tous. Il suffit d'informer la personne concernée des conséquences de son action. Mais, pour qu'il soit efficace, l'individu doit croire à la menace.

Et cette motivation par la peur est-elle efficace ?
La peur est une mauvaise source de motivation. Par exemple, les politiques de lutte contre le tabac qui affichent des statistiques claires sont peu efficaces car chacun imagine que les chiffres ne le concernent pas. A Paris V, nous avions établi des statistiques prouvant que les étudiants de médecine ayant eu moins de 4 sur 20 à leur première tentative de passage en deuxième année n'avaient aucune chance de réussire en cas de redoublement. Nous avons décidé de leur envoyer une lettre pour les dissuader de retenter leur chance et les inciter à s'orienter vers d'autres formations. Ces étudiants ne se sont pas sentis concernés et n'ont pas accepté la prédiction du résultat. Notre démarche ne les a pas démotivés mais, au contraire, les a "sur-motivés" : ils ont été plus nombreux à choisir de redoubler.

Une fois la récompense obtenue, perd-elle toute valeur ?
La récompense peut renforcer l'image de soi. Elle conduit à se fixer de nouveaux objectifs, elle "re-motive". Elle ne perd pas sa valeur, au contraire.

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Les facteurs de motivation varient-ils selon les pays ?
Je pense qu'il existe effectivement des différences selon les pays. Les mécanismes de motivation sont les mêmes pour tous, mais les sources dépendent des valeurs, des conditions de vie ou encore des peurs, autant d'éléments propres à chaque région ou pays. De plus, les cultures individualistes valorisent des récompenses distinctes de celles des cultures collectivistes. Dans ces dernières, les personnes cherchent à être appréciées du groupe. Le système scolaire français utilise le classement des élèves pour les motiver. C'est impensable pour un pays ayant une culture collectiviste.

PARCOURS
Claude Lévy-Leboyer est professeur émérite de psychologie du travail à l'Université René-Descartes Paris V. Elle a été présidente de l'Association internationale de psychologie appliquée. Elle est consultante auprès de grandes entreprises et poursuit des recherches dans le cadre de l'Institut de recherches et d'applications en psychologie du travail. Elle est notamment l'auteur de La motivation dans l'entreprise et Le 360°, outil de développement personnel.

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Rédaction, Le Journal du Management


   
 
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