Ne pas prendre les chiffres au pied de la lettre : voilà ce que
préconise Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision
à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Cet économiste tempère la hausse des créations d'entreprise
et met en garde contre des effets pervers de la loi Dutreil, comme la baisse
de durée de vie des entreprises ou du nombre moyen de salariés
par entité.
Quels facteurs expliquent la croissance
des créations ex-nihilo de 12 % par rapport à 2002 (lire
l'article)
?
Eric Heyer. Il faut être très prudent pour étudier ce chiffre et le mettre
en parallèle avec les faillites d'entreprise (Ndlr : croissance des faillites
de 11,7 % d'après Euler-SFAC). Les créations nettes sont un meilleur indicateur.
Or, à mon avis, cet indicateur n'affiche pas une telle croissance. Par ailleurs,
il faut raisonner en terme d'emploi. Quelle est la taille des entreprises créées
en 2003 ?
Ce chiffre traduit néanmoins
une hausse. S'explique-t-elle par la loi Dutreil ?
La loi Dutreil n'a réellement pris effet qu'en janvier 2004. Elle ne saurait
justifier la croissance. Une période de chômage pousse les personnes sans emploi
à créer des entreprises, c'est-à-dire à créer leur emploi. A mon sens, le chômage
explique avant tout la croissance des créations en 2003.
Selon un sondage Ifop (lire
l'article),
de moins en moins de Français ont envie de créer une entreprise. Comment
expliquez-vous ce phénomène ?
Un autre effet est à prendre en considération : le taux de chômage actuel très
élevé décourage les salariés à quitter leur poste pour entreprendre. Ce deuxième
effet, négatif, explique donc une baisse des intentions de création d'entreprise.
Les deux effets en sens inverse jouent sur la création d'entreprise. Le chômage
pousse à la création, grâce aux chômeurs qui lancent leur entreprise, mais
en même temps décourage l'envie de création chez les salariés en poste. Pour
eux, la prise de risque semble trop importante.

La loi va favoriser les entreprises mono-salariales"
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A votre avis, quelles vont être les conséquences
de la loi Dutreil ?
La loi pour l'initiative économique va avoir un fort impact sur les créations.
Elle devrait notamment réduire l'effet négatif de la notion de prise de
risque, en encourageant les salariés à se lancer dans la création
grâce à la non-exclusivité de l'employeur.
Et quels peuvent être les effets pervers
?
La loi Dutreil risque surtout de favoriser les entreprises mono-salariales, car
seul le patron sera exonéré de charges patronales. Dans certains cas, des associés
risquent même de se dispatcher en créant plusieurs entreprises mono-salariales
pour payer moins de charges sociales. La durée de vie des entreprises pourrait
également baisser. Je crois que le nombre de créations va augmenter en
2004, mais que beaucoup d'entreprises ne passeront pas l'année. C'est d'autant
plus probable qu'une partie des avantages fiscaux ne durent qu'un an. Deux associés
peuvent, par exemple, créer tour à tour une entreprise. Enfin, avec de telles
mesures incitatives, beaucoup de chômeurs risquent de se lancer sans disposer
d'un projet qui tienne la route. Il y aura donc une forte défaillance d'ici un
an.
Une étude mondiale (lire
l'article) place
la France dans le groupe des pays les plus faibles en matière de création d'entreprise.
Comment expliquez-vous cette situation ?
Je suis étonné. La création d'entreprise est tout de même en hausse en France.
En matière de R&D, nous ne sommes pas très bien placés mais nous avons une économie
de pointe reconnue et très spécialisée. J'imaginais que la France se situerait
dans la moyenne européenne, ce qui n'est apparemment pas le cas. C'est inquiétant
pour l'avenir.
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