Michel
Bon (Institut de l'Entreprise)
"Irriguer le débat économique et social"
L'ancien PDG de France
Télécom, préside depuis deux ans l'Institut de l'Entreprise. Il
revient sur le rôle, les missions et les méthodes de travail de
cette structure de réflexion. (avril
2004)
Actif depuis bientôt trente ans, l'Institut de l'Entreprise
(voir la fiche)
compte une centaine d'adhérents qui génèrent, à
eux seuls, un chiffre d'affaire cumulé représentant
plus de 20% du PIB marchand de la France. Michel Bon, ancien PDG
de France Télécom, préside aujourd'hui l'Institut de l'Entreprise, qui se veut être un lieu d'échanges "indépendant de tout mandat syndical ou politique". Rencontre.
A partir de quel constat l'Institut
de l'Entreprise a-t-il été créé ?
Michel Bon. A l'origine de la création de l'Institut de l'Entreprise,
en 1975, il y a le constat que les chefs d'entreprises, en France,
manquaient d'un lieu où se réunir pour échanger librement sur des
sujets d'intérêt commun. Ce lieu ne pouvait être le CNPF, l'ancêtre
du Medef, pour des raisons évidentes : une organisation patronale
a pour vocation de négocier et de représenter ses adhérents, non
de développer une réflexion prospective sur des sujets transversaux.
Cette analyse a conduit plusieurs dirigeants réunis autour de François
Dalle (NDRL : ancien PDG de l'Oréal), de Jean Chenevier
(ancien PDG de BP, décédé en 1998) et
de François Ceyrac (ancien président du CNPF, Conseil
national du patronat français) à se doter d'une structure indépendante,
légère mais dotée de moyens suffisants pour peser sur le débat :
l'Institut de l'Entreprise.
Quel
est le but de l'Institut de l'Entreprise ?
L'Institut de l'Entreprise poursuit deux objectifs : il s'agit,
d'une part, de contribuer à alimenter la réflexion des chefs d'entreprises
sur les enjeux économiques et sociaux d'aujourd'hui et de demain
; il s'agit, d'autre part, de promouvoir auprès du plus grand nombre
l'idée selon laquelle l'entreprise joue un rôle fondamentalement
positif dans la société, dans la mesure où c'est elle qui est au
centre du processus de création de richesses.
L'Institut de l'Entreprise est-il un
think tank ?
Au sens anglo-saxon du terme, certainement pas. L'Institut de l'Entreprise
dispose d'une direction d'études, mais pas d'une équipe d'experts
permanents : par choix et à vrai dire aussi par nécessité, nous
préférons avoir recours à un réseau d'experts, issus de l'université,
du monde de l'entreprise ou du monde du conseil, que nous choisissons
en fonction des thèmes que notre Conseil d'orientation a inscrits
à son ordre du jour. Ceci étant, l'Institut de l'Entreprise remplit,
à sa mesure, la fonction assignée, Outre-Atlantique, aux think tanks
: l'irrigation du débat économique et social par des analyses et
des propositions nouvelles, issues d'une expertise indépendante
des pouvoirs publics comme des organisations professionnelles.
L'analyse
des politiques publiques"
|
Qui sont les membres de l'Institut
de l'Entreprise ?
L'Institut de l'Entreprise compte environ cent vingt adhérents.
La très grande majorité d'entre eux sont des grandes entreprises
de dimension européenne ou mondiale. A titre d'illustration, plus
des deux tiers des entreprises qui composent l'indice CAC sont membres
de l'Institut. Mais nous comptons également, parmi nos adhérents,
quelques fédérations professionnelles, et une demi-douzaine d'établissements
d'enseignement supérieur.
Les membres de l'Institut de l'Entreprise
ont-ils globalement les mêmes opinions ? Est-ce un lieu de débats,
voire de confrontations ?
Emanant pour la très grande majorité d'entre eux du monde des entreprises,
les membres de l'Institut ont, sinon des opinions communes, du moins
des préoccupations communes. Représentées par leur président, les
entreprises participent, à l'Institut, à des débats d'autant plus
libres qu'ils ne donnent généralement lieu à aucun compte rendu
public. Par ailleurs, l'une des richesses de l'Institut est de faire
se croiser les approches académiques et entrepreneuriales. Or l'on
sait bien que ce sont là deux mondes qui, par le passé, se sont
trop souvent ignorés.
Sur quels grands thèmes l'Institut
de l'Entreprise réfléchit-il ?
L'Institut de l'Entreprise privilégie l'analyse des politiques publiques
: c'est là, en effet, que le manque d'une expertise indépendante se
fait le plus sentir, et c'est là aussi que se situent les enjeux
majeurs pour l'attractivité du "site France". Trois commissions
de travail permanentes, portant pour la première sur la modernisation
du droit du travail, pour la deuxième sur la modernisation de la
fiscalité et pour la troisième sur la maîtrise de la dépense publique,
fonctionnent ainsi depuis 2001, et publient régulièrement le résultat
de leurs réflexions. Néanmoins, l'Institut ne s'interdit pas de
se saisir de problématiques internes au monde de l'entreprise. Il
l'a fait récemment à travers une enquête sur les attentes des jeunes
cadres vis-à-vis de leur entreprise, et il le fera à l'avenir
sur d'autres sujets, comme par exemple la gestion des risques dans
l'entreprise.
L'implication personnelle des
chefs d'entreprise"
|
Parmi ces thèmes, quel est selon vous
le plus urgent aujourd'hui en France ?
La réforme de l'Etat constitue, à l'évidence, un des enjeux les
plus éminents des années à venir. Le vote de la loi organique relative
aux lois de finances, en août 2001, a ouvert des perspectives intéressantes
pour une gestion plus efficace de la dépense publique. Il est capital
que la mise en uvre de cette réforme, qui doit commencer à partir
de 2006, ne déçoive pas les espoirs qui ont été placés en elle.
L'Observatoire de la dépense publique de l'Institut de l'Entreprise,
que préside Yves Cannac (NDLR : ancien président de la Cegos),
organisera d'ailleurs un colloque sur ce sujet le 9 juin prochain
à l'Assemblée Nationale.
Menez-vous une réflexion au niveau
européen ? Au niveau international ?
La dimension internationale est, depuis l'origine, au cur de la
réflexion conduite par l'Institut de l'Entreprise. La plupart de
nos adhérents conduisent leur stratégie à l'échelle de l'Europe,
et beaucoup d'entre eux sont des leaders mondiaux. Pour cette raison,
il serait aberrant de cantonner nos analyses et nos propositions
au niveau national. Forts de cette analyse, nous avons publié depuis
le début de l'année 2002 une quinzaine de notes dites de "benchmarking
international", dont l'objectif est de suggérer, par l'analyse des
politiques conduites par nos principaux partenaires, les réformes
qui seraient susceptibles de supprimer les obstacles au relèvement
de notre potentiel de croissance.
Quelles sont les méthodes de travail
au sein de l'Institut de l'Entreprise ?
L'activité de réflexion conduite à l'Institut repose sur deux principes
clés. En premier lieu, l'implication personnelle des chefs d'entreprise
: ce sont eux qui définissent notre programme de travail et supervisent
la conduite des études. Ce sont eux également qui président nos
commissions : Gérard Mestrallet (PDG de Suez) et Michel Taly
(Avocat associé chez Landwell & associés) pour la commission
Modernisation de la fiscalité ; Gérard Worms (associé gérant
de Rothschild et Cie) pour la commission Modernisation du droit
du travail ; Yves Cannac pour l'Observatoire de la dépense publique
et Thierry Desmarest (PDG de Total) pour la commission Entreprises
dans la mondialisation. Le second principe clé, c'est la fertilisation
croisée des approches académique et entrepreneuriale, qui se reflète
en particulier dans la composition de nos commissions.
Le lobbying ne figure pas parmi
les objectifs"
|
Vos réflexions se traduisent-elles
par des actions ?
Ce qui est essentiel pour une organisation comme la nôtre, c'est
tout le travail qui se situe en aval de la production d'idées proprement
dite. Promouvoir nos analyses et nos propositions implique de les
diffuser largement mais avec discernement, auprès des principaux
relais d'opinion, et d'organiser régulièrement des manifestations
qui se placent
à mi-chemin entre le travail de fond et la communication d'influence.
De quelle action de l'Institut de l'Entreprise
êtes-vous le plus fier ?
En octobre dernier, l'Institut a organisé au lycée Louis-le-Grand,
à Paris, la première Université d'automne enseignants-entreprises,
en partenariat avec l'Education Nationale. Cette manifestation,
qui a constitué le point d'orgue de la réflexion engagée par la
commission présidée par Thierry Desmarest sur le thème "Les entreprises
dans la mondialisation", a rassemblée deux cents cinquante enseignants
de sciences économiques et sociale issus de la France entière
et cent soixante cadres et dirigeants d'entreprise. Que l'Institut
ait été à l'origine de ce dialogue entre deux mondes qui trop souvent
s'ignorent et parfois se dénigrent, que ce dialogue se soit noué
sur "un sujet qui fâche", et qu'il ait été fructueux, c'est bien
!
L'Institut de l'Entreprise mène-t-il
des actions de lobbying ? Si oui, auprès de qui ?
Au sens propre du terme, le lobbying ne figure pas parmi les objectifs
de l'Institut de l'Entreprise. D'autres organisations, à commencer
par l'Afep (Association française des entreprises privées),
jouent ce rôle au service des entreprises. Néanmoins, comme je l'indiquais
précédemment, notre souci est de mettre en évidence le rôle fondamentalement
positif que joue l'entreprise dans notre société. Il s'agit là,
sans doute, d'une vérité d'évidence, mais il m'arrive parfois de
constater avec regret que tous ne l'admettent pas comme telle.
Eviter la personnalisation excessive
des dirigeants"
|
L'Institut de l'Entreprise échange-t-il
avec d'autres cercles, clubs, instituts, think tanks
?
Au niveau national, l'Institut entretient des relations suivies
avec les organisations syndicales, les organisations professionnelles,
et un grand nombre de centres de recherches dans les questions économiques
et sociales. Mais nous attachons une importance toute particulière
à notre insertion dans un cadre international, à travers notamment
notre appartenance à un réseau d'organisations comparables à la
nôtre au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis et dans plusieurs autres
pays de l'OCDE.
Quel regard portez-vous sur la nouvelle
génération de dirigeants d'entreprise ? Vous semble-t-il que leurs
valeurs sont différentes ?
Il me paraît bien hasardeux de généraliser sur un tel sujet. Peut-être
rencontre-t-on plus fréquemment dans cette génération une ouverture
internationale, une plus grande variété des origines et des parcours,
plus de simplicité, plus d'attrait pour l'argent, aussi.
Quels sont les PDG, en France et à
l'étranger, qui vous impressionnent le plus ?
L'entreprise n'a pas grand chose à gagner de la personnalisation
excessive de ses dirigeants. C'est la réussite de certaines entreprises
qui devrait nous impressionner et nous inspirer.
Comment définiriez-vous un bon manager
?
Comme quelqu'un qui fait progresser ceux avec qui il travaille.
PARCOURS
|
Diplômé de l'Essec, Sciences-Po, l'ENA et la
Stanford Business School, Michel Bon a débuté sa carrière dans
le secteur bancaire. En 1985, il rejoint Carrefour, dont il
a été président directeur général. Puis, de 1993 à 1995, il
fut appelé par le gouvernement français à diriger l'Agence nationale
pour l'emploi. Il a ensuite été PDG de France Telecom de 1995
à 2002. Pendant cette période, l'opérateur a construit
des positions clefs dans le secteur de la téléphonie mobile
(Orange), des réseaux de données (Equant) et de l'Internet (Wanadoo,
Freeserve). Michel Bon est aujourd'hui Président de l'Institut
Pasteur et de l'Institut de l'Entreprise (voir la fiche).
Il est senior adviser de la banque Dôme-Close Brother et président
du conseil de surveillance des éditions du Cer. Il est aussi
administrateur de plusieurs entreprises, parmi lesquelles Lafarge
et Air Liquide. |
Un
témoignage, une question, un commentaire ?
Réagissez
|
|