Kezako ? Il faut bien l'admettre, l'expression anglo-saxonne
"think tank" conserve en France un caractère obscur.
Interrogés sur le sujet, 79 % des lecteurs du Journal
du Management admettent ne pas savoir ce qu'il se cache derrière
cette formule, à la connotation militaire. La traduction
livrée par Le Robert & Collins permet d'en appréhender
quelque peu le sens. Selon le dictionnaire, le think tank est un
"groupe d'experts". Soit. Reste à savoir qui sont
ces experts, et ce qu'ils font.
Le pouvoir d'influence des "think tanks" est... |
Sondage en ligne réalisé en mars
2004 auprès de 149 lecteurs du JdM
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Pour le comprendre, il faut traverser l'Atlantique. Des think tanks, ou "réservoirs à pensées", les Etats-Unis
en comptent aujourd'hui plus de mille cinq cent. Ces institutions
privées, a priori non partisanes, sans but lucratif et indépendantes, jouent
un rôle majeur dans la vie publique, économique et politique américaine. Tour à tour, ces institutions planchent sur l'éthique dans le monde de l'entreprise, la réforme de la sphère publique, la politique énergétique, les rapports Nord-Sud ou encore l'éducation. Financés
par des fonds publics, des entreprises ou des particuliers, les think tanks "regroupent des patrons, des universitaires, des chercheurs qui réfléchissent ensemble sur un point précis
dans le but d'atteindre un objectif", explique Christian Harbulot,
directeur de l'Ecole de guerre économique.
Les think tanks ne se limitent donc pas à la "pensée". Ces clubs de réflexion, où se côtoient des leaders d'opinion, s'appuient en général sur des études, des rapports ou des événements (forums, séminaires...) pour diffuser leurs idées auprès des responsables politiques, avec des visées très claires. "La réflexion débouche sur l'action et doit mener à
des résultats, par exemple un projet de loi", confirme Christian Harbulot. Une forme de lobbying en douceur et en profondeur avec pour principe de base : l'union fait la force. Aux Etats-Unis, chaque grand patron, chaque ponte universitaire, ou presque, est membre d'une telle institution.
L''importance de la production de connaissances"
Christian Harbulot, Ecole de guerre économique
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Les premiers think tanks ont vu le jour aux Etats-Unis au début du siècle dernier.
Puis, à la fin des années 40, est née la Rand
Corporation, le think tank américain le plus connu et
le plus important. Créé en pleine guerre froide, il est spécialisé
en stratégie militaire. "Dans la course à l'armement,
explique Christian Harbulot, les Américains se voyaient distancés
par les Soviétiques après la deuxième guerre
mondiale. Ils ont alors compris l'importance de la production de
connaissances, bien avant la société de l'information,
en créant la Rand Corporation."
En 2000, ce think tank, qui emploie plus de 1 000 personnes, a reçu près
de cent cinquante millions de dollars de financement publics et
privés. Militaires, universitaires, industriels de l'armement
y travaillent main dans la main pour produire des rapports qui sont
lus avec grande attention à Washington, et dans toutes les
capitales occidentales. Des rapports qui conditionnent bien souvent
les choix opérés en matière de politique étrangère
ou de programmes militaires. Des enjeux qui se chiffrent en milliards
de dollars.
Dans le sillage de la Rand Corporation, la formule du "club de réflexion" va faire tache d'huile dans l'univers civil. La Brookings Institution, le Conference Board ou l'American Enterprise Institute sont autant de think tanks qui vont jouer des rôles clefs Outre-Atlantique. Ces "réservoirs à pensées", et plusieurs dizaines d'autres, mèneront des actions pour faire évoluer la fiscalité, pour favoriser la dérégulation de certains marchés, ou développer les échanges commerciaux avec certains pays.
Les think tanks français se créent aussi à partir de figures de proue"
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En France, le phénomène des think tanks est plus récent, mais prend de l'ampleur depuis le début des années 1990. Chefs d'entreprise et experts français
s'associent pour créer leur "club", le plus souvent sous la
forme d'une association loi 1901, la législation française ne permettant
pas l'existence d'institutions privées à l'américaine. Mais si ces
organisations ont un fonctionnement différent
en France, leurs objectifs restent les mêmes que leurs homologues américaines.
Sur le modèle américain, les think tanks français
se créent à partir de figures de proue. C'est le cas
de Confrontations Europe (voir la fiche),
fondé en 1991 par Philippe Herzog (ancien membre influent du Parti
Communiste), Jean Peyrelevade (ancien président du Crédit lyonnais)
et Michel Rocard. Même principe avec l'Ami Public (voir
la fiche), un think
tank fondé par Christian Blanc, l'ancien PDG de la RATP et
d'Air France.
Ces think tanks à la française publient des rapports sur des sujets aussi variés que l'Europe économique, le rôle de la police nationale ou la transparence financière. Mais un thème leur tient aujourd'hui à coeur, un thème sur lequel la plupart de ces clubs s'activent : la réforme de l'Etat. "Le pouvoir des thinks tanks avance par vague, à chaque fois que l'environnement politique et économique est instable, note Christian Harbulot. Ils sont nés pendant la première guerre mondiale, ont pris de l'ampleur après la deuxième guerre puis lors des chocs pétroliers des années 70. Quand le pouvoir politique navigue à vue, les think tanks s'imposent comme des contre-experts."
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