Journal du Net > Management >  Chasseur de têtes : Une "chasse" vue de l'intérieur
DOSSIER 
 
22/09/2004

Se faire chasser
Une "chasse" vue de l'intérieur

C'est l'une des activités les plus secrètes dans le monde de l'entreprise. Un cabinet a pourtant accepté de nous montrer l'envers du décor. Récit.
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Jean-François Roquet (Syntec Recrutement)
Comment intéresser un chasseur
Cinq cabinets à la loupe
La pratique reste des plus discrètes. Et pourtant, chaque année, des dizaines de milliers d'entreprises dans le monde font appel à un chasseur de têtes. Une méthode de recrutement qui regroupe trois protagonistes : l'entreprise, le chasseur et le chassé. Une chasse que l'on pourrait caractériser de chasse gardée, discrétion et confidentialité obligent. Eric Singer, associé fondateur du cabinet de recrutement Singer & Hamilton, a pourtant accepté de raconter l'une de ses missions. Une seule condition : ne dévoiler aucun nom.

L'histoire commence début 2003. Le cabinet, qui réalise environ 70 missions par an, est mandaté pour chercher un responsable de la gestion d'actions Europe pour le compte d'une société d'asset management. Le poste à pourvoir couvre la gestion des fonds pour le compte de grands institutionnels telles que les compagnies d'assurance, les caisses de retraits, la Sécurité sociale. Un poste à très hautes responsabilités financières. "En plus, précise Eric Singer, l'entreprise cliente était un acteur de tout premier plan."

Et ce n'est pas tout. "Ce poste intégrait deux grandes particularités, poursuit Eric Singer. D'un côté, il s'agissait de gérer 30 milliards d'euros d'actifs. De l'autre côté, il s'agissait de prendre la direction d'une équipe d'une vingtaine de personnes. Bref, les caractéristiques du profil recherché additionnaient non seulement des capacités de management, une forte connaissance des cycles des marchés financiers des dernières années, mais également une performance régulière et non volatile." En un mot, le candidat potentiel doit gérer un fonds situé dans le premier décile du classement en terme de performance.

Après avoir défini avec l'entreprise les critères spécifiques au poste, couramment désignés dans la profession "jobspec" (pour job specification), vient alors la phase d'appropriation de la mission par le chasseur. "A ce stade, il faut comprendre l'organisation, la culture et l'environnement de l'entreprise cliente. Ces paramètres sont aussi importants que la définition même du poste et du profil recherché."

Une minute pour convaincre"

Eric Singer,
Singer & Hamilton

Cette découverte de l'entreprise va encore plus loin. Le chasseur mène une véritable enquête sur l'entreprise afin de définir un environnement le plus précis possible. Les questions abordées lors de cette étape sont nombreuses : l'entreprise offre-t-elle un salaire cohérent ? quels candidats l'entreprise a-t-elle déjà rencontrés ? quels sont ses anciens collaborateurs ? qui ne désire-t-elle pas recruter ? qui sont les concurrents directs de l'entreprise ? parmi eux, lesquels ont une avance sur elle ? "A partir de ces éléments, nous avons arrêté une liste de 'cibles' possibles. Puis nous avons croisé cette liste avec la performance des équipes de gestion en nous appuyant sur des bases de données et la presse." Une première liste de "cibles", ayant l'expérience financière nécessaire pour le poste, est alors arrêtée.

Pour effectuer ce travail de repérage, le chasseur de têtes s'appuie sur un directeur de recherche. C'est lui qui identifie les candidats à partir d'un cahier des charges et des informations reccueillies. "Cette fonction est indispensable dans ce travail, affirme Eric Singer. Elle consiste à identifier la concurrence, analyser sa performance, identifier la bonne équipe et le bon candidat."

Reste alors à intégrer les autres paramètres dans la première liste de "cibles" : qui sont les candidats potentiels ayant une expérience de management suffisante ? parmi eux, lesquels sont-ils prêts à changer d'entreprise ? Le chasseur de têtes fait ici son entrée en scène, en contactant directement la "cible" placée en tête de liste. Cette prise de contact se fait généralement par téléphone. "Nous avons trente secondes à une minute pour convaincre la personne que nous sommes sérieux et que ce n'est pas une blague, explique Eric Singer, et aussi obtenir son numéro personnel. Nous lui prouvons très rapidement que nous connaissons son parcours et son palmarès. Dans la majeure partie des cas, la personne contactée n'est pas toujours partante, mais elle est souvent intéressée pour discuter avec un chasseur qui connaît bien son secteur d'activité."

Un salaire 15 à 25 % supérieur"

Pour cette mission de haute voltige, le chasseur va ainsi interviewer dix-huit candidats potentiels en France et en Grande Bretagne. "Nous avons vérifié leurs références, nous les avons classés et nous en avons retenu quatre pour les présenter à notre client." Cette phase de recherche et de sélection a duré en tout cinq semaines. "Le candidat retenu était une personne de 44 ans avec une réelle valeur ajoutée, sept ans d'ancienneté, dont quatre dans la fonction qu'elle occupait", précise Eric Singer, qui ne peut en dévoiler beaucoup plus.

Huit semaines de rendez-vous, de discussions et de négociations ont par la suite été nécessaires pour finaliser l'opération. La volonté de mobilité, la qualité du poste offert, le prestige de l'entreprise, l'environnement et les ressources suffisamment attractifs ont finalement motivé la réponse positive du candidat ciblé. Ce manager s'est vu offrir un salaire 15 à 25 % supérieur, ainsi que la garantie d'un bonus pour le manque à gagner sur la rémunération variable de l'année en cours, un montage fréquent dans les fonctions financières. Après négociation avec son employeur, la "cible" a rejoint son nouveau poste deux mois plus tard.

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En tout, le recrutement aura pris trois mois. Une rapidité d'action rare pour des postes à fortes responsabilités. "Il n'y a que trois ou quatre cas sur dix où tout se passe si rapidement et sans complications, et toutes les offres ne sont pas aussi attractives que celle-ci. Il arrive souvent que personne ne soit retenu dans la première short list que nous établissons. Il faut alors en établir une seconde, voire remodeler la définition du poste à pourvoir, rediscuter le tout avec le donneur d'ordre." Dans ce cas, le recrutement peut s'étaler sur plus d'un semestre. Une véritable campagne de chasse.

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