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INTERVIEW
05/01/05
Michel
Crozier, "L'acteur et le système"
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des ouvrages cités |
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Plus de vingt-cinq ans après sa parution, L'acteur et le système reste une référence, au milieu d'une offre surabondante de livres de management. En analysant l'interaction entre les individus (les employés) et l'organisation (l'entreprise), Erhard Friedberg et Michel Crozier ont apporté des clés pour mieux comprendre l'entreprise. Ce dernier revient sur le succès de son ouvrage et l'utilité de la sociologie pour le management.
Votre ouvrage "L'acteur et le
système" a été spontanément cité par de nombreux lecteurs dans
le cadre d'une enquête en ligne du Journal du Management. Plus de
vingt-cinq ans après la sortie de votre livre, cela vous surprend-il
?
Michel Crozier. Lorsque l'on écrit un livre, on est satisfait
de son travail et pas trop surpris qu'il se vende bien ! Mais ce
succès constitue tout de même un fait intéressant et étonnant. En
livres de poche, L'acteur et le système a atteint les 150.000
exemplaires vendus, ce qui est considérable. Ce n'est pas un livre
de management, mais il est utile pour le management. Il intéresse
les lecteurs car il propose un travail plus en profondeur, et non
quelques recettes rapides, comme beaucoup de livres. Il s'agit de
comprendre comment fonctionnent les organisations pour mieux les
gérer.
Votre
livre donne également des clés pour mieux se positionner dans l'organisation.
Il n'est pas dirigé vers cet objectif mais chacun peut prendre ce
qui lui est utile. En se situant mieux dans l'organisation, un syndicaliste
ou un manager, voire un employé, peuvent en effet chercher à améliorer
leur place.
Si vous deviez écrire "L'acteur
et le système aujourd'hui", serait-il le même ?
Le livre serait différent car nous avons beaucoup appris depuis.
Mais les fondamentaux resteraient identiques. Cet ouvrage explique
comment écouter au sens large. On n'écoute pas parce que les gens
ne parlent pas. Et ils ne parlent pas parce que l'on n'écoute pas.
Mais, en réalité, si l'on écoute bien quelqu'un, il parle. Le problème
réside dans la tête de l'écouteur, et non dans le manque de parole.
La sociologie donne ensuite les capacités d'analyser. Elle offre
des représentations imparfaites de l'ensemble des rapports humains,
mais des représentations tout de même. Lorsque l'on a découvert
comment fonctionne l'ensemble, l'action a alors un sens. Le management
est important, il permet de développer le changement.
Le manager doit concilier des temps différents" |
En termes de management, quelle évolution
majeure observez-vous depuis la sortie de "L'acteur et le système"
?
Le financier ne jouait pas un rôle déterminant. Il s'est aujourd'hui
ajouté à l'analyse du fonctionnement. Le livre comprendrait donc
toute une réflexion nouvelle sur la financiarisation.
Quels changements implique cette financiarisation
?
Le rôle du manager s'est étendu. Il doit faire beaucoup plus attention
à l'image qu'il donne de son entreprise car elle conditionne sa
situation sur le marché boursier. Il doit gérer un système ayant
les mêmes fondements, mais avec une rapidité et une subtilité extraordinaires.
Le manager doit concilier des temps différents, par exemple le temps
du cycle des investissements et celui du cycle boursier. Les entreprises
périclitent rapidement en fonction d'impondérables. Des réussites
spectaculaires sont suivies de désastres. L'exemple de Jean-Marie
Messier constitue une exception en France, mais pas aux Etats-Unis.
Lisez-vous des ouvrages de management
?
J'en lisais, principalement des classiques de l'organisation. Mais,
comme beaucoup de retraités, je n'ai plus le temps ! Dans les années
50, 60 et 70, de nombreux livres abordaient la question des rapports
humains dans les organisations, principalement aux Etats-Unis. Lorsque
nous avons écrit L'acteur et le système en 1977, Erhard Friedberg
et moi étions presque les seuls à travailler sur ce sujet en France.
Aider à la réflexion, à l'écoute et à l'analyse" |
Les sociologues ont-ils un rôle à jouer
dans l'entreprise ?
L'acteur et le système a contribué à développer le prestige
de la sociologie. Cette science a connu une certaine influence au
milieu et à la fin des années 80. L'Institut de l'entreprise s'est
par exemple servi de L'entreprise à l'écoute paru en 1989.
Il s'agissait d'une réflexion sur les possibilités de changement
du mode de management à la française.
Le sociologue a-t-il sa place dans
un cabinet de conseil ?
Les sociologues constituent un apport intéressant pour les consultants.
J'ai travaillé pour un DEA de Sciences-Po dont les étudiants menaient
des expériences qui les plaçaient au cur de la sociologie. Environ
un tiers des étudiants allaient dans des cabinets de conseil. Cela
a contribué à changer l'orientation des cabinets en France.
Dans les écoles de management, l'enseignement
en sociologie vous paraît-il suffisant ?
Il reste insuffisant, même si de nets progrès ont été faits. On
s'imagine que l'on a besoin de tellement de choses que l'on n'a
pas le temps de travailler sur les fondamentaux. Les écoles restent
prisonnières d'un modèle de connaissances qu'elles croient indispensable.
Il vaut pourtant mieux aider à la réflexion, à l'écoute et à l'analyse.
Nous ne savons pas écouter. Tout a été dit mais nous ne l'avons
pas écouté. L'étude de la sociologie, c'est avant tout la capacité
à écouter et comprendre les rapports humains, ce qui peut ensuite
permettre de mener une action dans une autre perspective.
La transformation de la société française ne s'est pas accomplie" |
Comment la relation entre l'entreprise
et le salarié évolue-t-elle ?
Autrefois, les rapports étaient plus stables et plus catégoriels.
Ils sont de plus en plus individualistes. Mais cela touche pour
le moment moins la France, qui s'attache aux formes anciennes. Dans
notre pays, les syndicats sont peu puissants mais disposent paradoxalement
d'une capacité de blocage politico-syndical plus forte qu'ailleurs.
Le succès de livres comme "Bonjour
paresse" semble prouver un certain désenchantement des cadres.
L'observez-vous ?
Les cadres ont connu une montée de passion pour l'entreprise au
milieu des années 80. Ensuite, ils ont subi une forte crise en 1993.
Après l'explosion de la bulle Internet, ils ont vécu un grand découragement.
Que s'est-il ensuite passé avec les 35 heures ? Elles ont été bien
accueillies par les cadres, mais pas par les employés, ni par les
ouvriers. Les cadres se sont en effet vu protégés alors qu'ils subissaient
une forte pression de leur travail. Les cadres découragés ont-ils
ainsi tiré leur parti et établi un équilibre ? Cela mériterait une
étude très approfondie.
Avez-vous perdu des illusions ? Lesquelles
?
Je suis moins optimiste. Mais mon optimisme n'était pas une illusion.
La transformation de la société française ne s'est pas accomplie.
Je pense qu'elle s'accomplira, même si les résistances au changement
s'avèrent beaucoup plus fortes que ce que je croyais. Cela tient
à beaucoup de décisions politiques prises à tort et à travers, dont
la loi sur les 35 heures.
Liste
des ouvrages cités |
Parcours
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Né en 1922, Michel Crozier a passé la plus grande partie de sa carrière professionnelle au CNRS où il a fondé et animé pendant 30 ans le Centre de sociologie des organisations (CSO). Il a dirigé de nombreuses recherches empiriques, d'abord dans l'administration publique, puis dans les grandes entreprises, enfin dans les institutions les plus diverses : petites entreprises, éducation, hôpitaux Professeur à Nanterre en 1967-68 puis à l'université de Harvard (1967-70) et à l'université de Californie (1982-1990), il a fondé avec un groupe de sociologues et dirigé le DEA de sociologie de Sciences Po. Il est l'auteur de "Le phénomène bureaucratique" (1964), "La société bloquée" (1970), "L'acteur et le système" (1977) et "L'entreprise à l'écoute : apprendre le management post-industriel" (1989). En 2002, le premier tome de ses mémoires, "Ma belle Epoque", est sorti aux éditions Fayard. Le deuxième tome , "A contre-courant", vient de paraître. Depuis 1999, Michel Crozier est membre de l'Académie des sciences morales et politiques. |
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