Journal du Net > Management >  Nicolas Riou (Brain Value) : "Les messages publicitaires ne peuvent plus tourner à vide"
INTERVIEW
 
mars 2005

Nicolas Riou (Brain Value)
Les messages publicitaires ne peuvent plus tourner à vide

Pour séduire un consommateur désabusé, la publicité doit à la fois redevenir attractive, divertissante et constructive. Mais attention, le client n'est plus dupe.
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Jean-Noël
Kapferer

Tout, tout de suite
Georges Chetochine
J.-N. Kapferer (HEC)
N. Riou (Brain Value)
Les tops et les flops

Le marché publicitaire se redresse doucement après une période morose. Mais au-delà de la reprise, la publicité doit apprendre à intégrer la nouvelle donne en matière d'éthique des marques. Le marché publicitaire doit également apprendre à soigner sa propre image auprès d'un consommateur saturé de spots et d'affiches. Et les enjeux sont importants puisque le secteur y joue sa liberté de création. Explications de Nicolas Riou, publicitaire et auteur de "Peur sur la pub".

Quels sont les grands phénomènes qui influencent aujourd'hui la communication des marques ?
Nicolas Riou. Il y a deux grands phénomènes. D'une part, un bon nombre de marques sur le plan de la grande consommation font face aux marques premier prix. Le hard discount, créé en 1989, atteint 13 % de part du marché en France et 35 % en Allemagne. D'autre part, on voit naître le mouvement des alterconsommateurs qui porte beaucoup d'importance à l'éthique. Par conséquent, la pression s'alourdit sur les directeurs marketing des grandes maqrues. Cette pression, ils la transmettent sur la publicité.

Comment cette pression se traduit-elle concrètement ?
En ce moment, il y a peu de compétition et de vitalité sur le marché publicitaire. Les acteurs développent les mêmes tendances, quasiment à l'unisson. La peur qui règne parmi les marques a tendance à orienter la publicité vers une culture du résultat, essentielle bien sûr, mais qui éloigne la publicité de la créativité. Or c'est cette créativité qui véhicule des idées qui créent, elles-mêmes, de la valeur pour la marque. La prise de risque est aujourd'hui nulle et l'on revient à une recette fort à la mode dans les années 50 : la répétition engendre la persuasion des consommateurs. A la différence près qu'à cette époque il y avait de vraies innovations produits. Aujourd'hui, la publicité se contente de favoriser ce qui peut permettre d'améliorer les ventes à court terme pour soutenir la concurrence des acteurs low cost.

Y a-t-il d'autres vieilles méthodes qui refont surface ?
Oui, nous revenons à des formules basiques. Les publicités mettent en avant les témoignages d'utilisateurs, ou bien la formule "satisfait ou remboursé". On note également le retour du "torture test", avec lequel il s'agit d'éprouver la qualité du produit. Par exemple pour une lessive, un linge est volontairement tâché et noué pour compliquer l'exercice, puis soumis à la dite lessive.


La répétition néglige la créativité source de séduction"

Ce formatage de la publicité représente-t-il un risque pour les marques ?
La tendance à la répétition des messages limite sérieusement la construction des marques. Le risque est de se retrouver avec des marques vides, sans création de contenu, avec un produit qui perd tout son sens. Du coup, avec cette absence de prise de risque, les grandes marques se différencient peu des marques distributeurs. La répétition néglige la créativité source de séduction et de divertissement. Les bonnes vieilles méthodes génèrent en outre une inflation des dépenses, mais la répétition des messages publicitaire lasse le public. A terme, la tendance sera contre-productive.

Le consommateur prend-il ses distances avec la publicité ?
Le consommateur a atteint une certaine maturité médiatique et devient même un expert sur le marché par sa manière d'analyser et de décortiquer les discours et les produits. Il n'est pas dupe et la publicité sur les marques ne peut pas tourner à vide. Aujourd'hui, et les actions anti-pub le prouvent, il est clair que certaines formes publicitaires commencent à ennuyer le consommateur.

L'ennui n'est-il pas le pire risque pour la publicité ?
Evidemment. Le défi crucial pour les publicitaires est de réinjecter et réinventer le désir, de créer de la préférence pour les marques, ce qui constitue en soit son métier. Cette mission est d'autant plus importante qu'aujourd'hui, les gens n'ont soit pas besoin, soit pas les moyens, d'acheter les marques.


La marque doit donner des preuves de son engagement"

Obésité, OGM, équilibre nutritionnel : les marques sont de plus en plus attaquées sur la notion de risque. Comment la publicité doit-elle répondre à cette tendance ?
Les publicitaires doivent suivre des règles précises de déontologie pour ne pas perturber ou choquer l'opinion. La loi du 8 août 2004 impose des contraintes de communication strictes pour les produits à fortes contenance en sucre qui pourraient être source d'obésité. Jusqu'à maintenant la publicité avait toute liberté de création. Désormais, si les professionnels de la publicité ne s'autolimitent pas eux-mêmes sur certains discours, ils le seront à terme par la loi.

Les consommateurs recherchent également de l'authenticité, de l'éthique, des marques responsables et citoyennes…
On observe également le développement de l'éthique dans la communication. Les critiques de l'opinion publique peuvent effectivement faire mal à l'image de la marque, et la facture peut être très importante. La marque doit donner des preuves de son engagement éthique et pas uniquement discourir sur le sujet. La tendance du consommateur est de rechercher la proximité, les racines, l'histoire. Les marques peuvent reprendre à leur compte ses valeurs, à condition qu'elles s'engagent réellement dans une démarche. Sinon tout s'écroule.

Il faut donc de la cohérence...
Tout à fait et le secteur de la publicité planche actuellement sur la notion de publicité intégrée. Cette solution met différents moyens au service d'une seule idée, d'une prise de parole homogène, usant de la presse, de la télévision, du packaging, du Web… La publicité intégrée touche le consommateur par différents canaux suivant l'idée que chaque marque est différente, chaque marché est différent, et qu'il faut chercher des points de contact entre les produits, les marques et les clients.


On observe un retour vers le local"

D'autres tendances vous paraissent-elles significatives aujourd'hui dans le monde publicitaire ?
Sans aucun doute. On observe un retour vers le local en réponse à la globalisation et surtout à la suite de l'événement du 11 septembre qui a généré un état d'esprit anti-mondialisation prônant le respect de la culture, de la différence. La publicité propose des campagnes de proximité pour que les consommateurs puissent s'approprier les messages. On est souvent plus visible lorsqu'on tisse des affinités locales. Nescafé, qui avait lancé sa campagne mondiale Open Up en 1999, revient aujourd'hui vers une logique de différenciation des produits et de la publicité suivant les pays. Ce qui concourt à donner plus d'authenticité à la marque qui doit raconter son histoire avec ses valeurs et sa mission sur le marché, le tout de manière pertinente et cohérente.

Tout, tout de suite
Georges Chetochine
J.-N. Kapferer (HEC)
N. Riou (Brain Value)
Les tops et les flops

Pour un publicitaire, qu'est-ce qui différencie au juste une grande marque d'une marque distributeur ?
Les marques distributeurs ne communiquent pas beaucoup, notamment en raison de la législation, mais sont fortement présentent dans les linéaires. Ces marques de distribution ne peuvent généralement pas s'aligner sur la communication des grandes marques car elles n'ont ni les moyens, ni l'historique, et représentent trop de produits dans des secteurs diversifiés. A l'inverse, les grandes marques associent leur nom à l'imaginaire et construisent une relation durable avec le consommateur.

Parcours

Diplômé de Sciences Po en 1988 et d'HEC en 1990, Nicolas Riou débute en 1991 en agence de publicité dans différentes fonctions. Tout d'abord commercial chez CLM/BBDO, BDDP et Lintas, il gère des budgets comme Omo, Nestlé, Itineris, Crédit Mutuel, puis devient planneur stratégique chez Publicis sur le budget Renault. Entre 2000 et 2001 Nicolas Riou crée une start-up internet : unhomme.com et publie dans la foulée " Comment j'ai foiré ma start-up". Il devient ensuite directeur international chez Euro RSCG entre 2002. En 2003, il créé Brain Value, société de formation aux métiers de la publicité et de conseil en stratégie de communication. Parallèlement, il enseigne depuis 1999 la publicité à HEC et a publié Pub Fiction (Editions d'Organisation, 1999), particpe au Publicitor en 2004,a vant de sortir Peur sur la pub (Editions Eyrolles, 2004 >>> Consulter les libraires).


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