INTERVIEW 18/05/2005 François
Jolivet (Consultant) |
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Les études et la construction clés en mains des centrales nucléaires d'Afrique du Sud, la construction du tunnel sous la Manche, celle du village du Club Méditerranée à Bali (Indonésie)... Les projets se succèdent sur le CV de François Jolivet, aujourd'hui consultant. L'auteur de Manager l'entreprise par projets : les métarègles du management par projet revient sur le développement de l'organisation de l'entreprise en mode projet.
Qu'est-ce
que la gestion de projet ?
François Jolivet.
Il s'agit d'une organisation temporaire pour atteindre un objectif, menée
par un leader qui ne travaille que sur ce projet. Les projets réussis réunissent
en général des salariés à plein temps, ou au moins
un noyau dur de salariés à plein temps. On peut regrouper plusieurs
petits projets pour les confier à une équipe. Mais, dans tous les
cas, il faut que quelqu'un porte le projet. Pour une entreprise, travailler en
mode projet signifie constituer des organisations temporaires avec des chefs de
projet, au lieu de répartir l'activité dans les services. Dans l'organisation
traditionnelle du travail, on attribue les tâches par service et la direction
générale assure la coordination. C'est encore le cas pour les OPA.
Dans
quels secteurs la gestion de projet est-elle née ?
Au début des années 80, la gestion de projet a débuté
dans l'armement, le pétrole et l'ingénierie, afin de concevoir et
développer de nouveaux produits. Ensuite, elle a été utilisée
pour les projets informatiques. Aujourd'hui, dès que l'on veut faire bouger
quelque chose, on lance un projet. L'Etat et les collectivités locales
commencent à adopter cette organisation. Ils donnent des responsabilités
aux chefs de projet, mais pas assez de pouvoir. L'équipe et la façon
de travailler sont souvent imposés.
Pourquoi le mode projet s'est-il développé ?
La difficulté consiste à les faire travailler ensemble" |
Les entreprises, de plus en plus grandes, sont entrées dans une course contre la montre. La concurrence et les exigences croissantes du client provoquent une multiplication des projets, qui implique une nouvelle organisation. Dans les années 60, le PDG de Renault dirigeait le projet de la Renault 4. Il n'est pas possible de mener cinq à dix projets de cette envergure en même temps. Les chefs de projet, de véritables "poids lourds", permettent de décongestionner le sommet. Pour le dirigeant, c'est aussi une sécurité. Il délègue la responsabilité de la réussite du projet. Les chefs de projet lui sont souvent directement rattachés.
La gestion de projet permet-elle
de vraiment faire la différence par rapport à ses concurrents ?
Les pays développés sont riches en compétences. Ils comptent
de très bons techniciens et ingénieurs. La difficulté consiste
à les faire travailler ensemble. C'est le mode de management qui permet
de faire la différence.
Le mode projet s'est-il
imposé dans toutes les entreprises ?
Toutes les
entreprises sont en train de changer. Les moins avancées ont une organisation
matricielle, dans laquelle les chefs de projet n'ont pas de pouvoir décisionnaire.
En mode projet, on leur donne la philosophie du projet : le positionnement, un
ordre de grandeur pour le prix, etc. Le chef de projet prend ensuite lui-même
de nombreuses décisions.
Carlos Ghosn a complètement remis en cause les fondamentaux du management" |
Comment le mode projet est-il vécu
par les salariés ?
Il représente un stress
de plus. Surtout dans les organisations matricielles, où les salariés
subissent la pression de leur supérieur hiérarchique et du chef
de projet, qui donnent souvent des instructions différentes. Dans le cas
d'équipes autonomes et responsabilisées, le mode projet s'avère
beaucoup plus motivant. Mais il ne faut pas multiplier les projets, au risque
de provoquer un "burn out", de "brûler" la motivation.
La frustration peut aussi venir d'une absence de décision qui bloque le
projet. Un projet réussi créé un fort sentiment de satisfaction.
Mais s'il échoue, l'humiliation est tout aussi forte. Il faut donc des
leaders pour protéger l'équipe. Ces derniers jouent le même
rôle qu'un capitaine dans une équipe de sport. Au cours des réunions,
Carlos Ghosn demande à collaborateurs comment les aider. Il ne leur tape
pas sur les doigts.
Quelles sont les entreprises
modèles ?
En innovation produit, 3M et L'Oréal
s'illustrent. L'A380 d'Airbus a été construit en mode projet. La
Twingo de Renault aussi. Mais l'avancée la plus spectaculaire se trouve
chez Nissan. Avec des équipes multi-métiers, Carlos Ghosn a complètement
remis en cause les fondamentaux du management.
Comment
la France se situe-t-elle par rapport aux autres pays ?
Le management de projet est né aux Etats-Unis, puis a été
adpoté par le Japon et enfin l'Europe. La France s'en sort bien. De grandes
entreprises comme Essilor et L'Oreal ont mis en place des systèmes de management
très performants, centrés sur les nouveaux produits.
On anticipe bien mieux, ce qui permet de lever le risque plus tôt." |
Les projets réussissent-ils ?
En informatique, les deux tiers des projets dépassent les délais
et les budgets. Par ailleurs, seulement deux nouveaux produits sur trois rapportent
de l'argent. Dans les BTP, s'il s'agit de travaux courants comme une autoroute
ou une HLM, cela se passe bien. Mais dès que l'on construit un ouvrage
singulier comme la Bibliothèque nationale de France (BNF) François
Mitterrand ou l'Arche de la Défense, cela se complique. Le viaduc de Millau
constitue en cela une exception. Cette réussite s'explique par l'existence
d'un seul leader, la société Eiffage.
Réussit-on
mieux les projets qu'avant ?
On sait les arrêter
en cours de route. On anticipe bien mieux, ce qui permet de lever le risque plus
tôt. C'est ce qui a fait le succès de Dassault Systemes, qui permet
de travailler sur ordinateur, sans fabriquer de prototype.
Quel
sera le prochain mode d'organisation ?
Il répondra à
la nécessité d'articuler l'organisation permanente et les projets
de l'entreprise. L'organisation était trop stable. Elle est aujourd'hui
trop en mouvement. Il faut donc inventer un système de management pour
agir vite, mais dans la continuité. Carlos Ghosn s'est inspiré de
systèmes existants, notamment japonais, et en a inventé d'autres
comme les équipes multi-fonctionnelles, le plan triennal de progrès
ou encore le "commitment". Ce mode de management interactif consiste
à ne lancer un projet que lorsque l'on a trouvé des salariés
convaincus, prêts à l'appliquer. Avant d'annoncer son plan de redressement
de Nissan, Carlos Goshn a travaillé avec dix équipes projets pendant
trois mois. Il a ainsi pu proposer des solutions concrètes. Pour Renault,
il se donne six mois de préparation, pendant lesquels il se rend sur le
terrain.
Quelles sont les conséquences
de cette organisation pour l'encadrement ?
Les chefs de
service perdent une partie de leur pouvoir. Les chefs de projet constituent les
nouveaux leaders, les futurs chefs d'entreprises. Ils acceptent le mouvement permanent,
une situation moins confortable.
Parcours |
Durant les années 80 et 90, François Jolivet a exercé les fonctions de chef de projet puis de directeur des projets dans le domaine de la construction pour le compte de Spie-Batignolles. Il a par exemple eu la responsabilité de la construction de sections d'autoroute et de nombreux ponts en France, des études et de la construction clés en mains des centrales nucléaires d'Afrique du Sud et de la construction du tunnel sous la Manche (en tant que directeur général de TML). Il a poursuivi son analyse par la confrontation des expériences de conduite de projets dans l'industrie, à travers différents clubs comme le Club de Montréal. Il mène actuellement des actions d'expertise et de formation - action dans des PME. Il est l'auteur du livre "Manager l'entreprise par projets : les métarègles du management par projet" Editions EMS. |
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