Journal du Net > Management > "L'insolence des Français et la rigueur des Coréens se marient bien"
Dossier
 
03/04/2007

Eric Surdej : "L'insolence des Français et la rigueur des Coréens se marient bien"

Directeur de LG France et premier occidental à intégrer le management exécutif du géant coréen, Eric Surdej est un pont entre deux cultures très différentes. Il décrit les disparités entre Français et Coréens au travail et la manière de prendre le meilleur des deux mondes.
  Envoyer Imprimer  

 


 
Sommaire
 
 
 

Après treize années au service des Japonais Sony puis Toshiba, Eric Surdej prend, en octobre 2003, les rênes de la filiale France du Coréen LG Electronics. Au-delà du challenge commercial que constituait l'implantation de la marque sur le marché hexagonal, un second défi s'annonçait : faire cohabiter deux cultures managériales radicalement différentes. Mission réussie puisque Eric Surdej est, entre temps, devenu le premier non-Coréen à intégrer le management exécutif du groupe. Rencontre.

 

Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire de travailler dans la filiale française d'un groupe coréen ?

 
Eric Surdej, Vice-président exécutif de LG Electronics.
 
 

Eric Surdej. Le fonctionnement de LG France, comme celui de beaucoup de filiales de groupes étrangers, est très marqué par la culture managériale de la maison mère. Nos objectifs sont fixés, de façon millimétrée, par notre siège et les lancements de nos produits sont mondiaux. Nous comptons par ailleurs quatorze expatriés coréens dans notre structure et, plus anecdotique, nous marquons généralement les fêtes coréennes par un repas avec les équipes. Je ne suis donc pas, en tant que directeur de filiale, le seul point d'échange entre la France et la Corée.

 

En quoi la façon de travailler des Coréens diffère-t-elle de celle des Français ?

"Les Coréens ont une confiance presque aveugle dans leur hiérarchie et dans les choix qu'elle impose"

Les Coréens manifestent généralement un grand engagement dans leur travail. Ils ont une semaine et demie de congés par an, travaillent neuf ou dix heures par jour et parfois le samedi. Ce dévouement est un peu déstabilisant au pays des 35 heures. Il faut néanmoins souligner que la proportion de femmes au foyer est plus élevée en Corée qu'en France. Les hommes sont donc plus disponibles pour leur travail.

 

Les Coréens ont également une conscience aiguë de leur position dans la structure hiérarchique et dans le processus de travail. Ils identifient fortement leur intérêt personnel à l'intérêt collectif. Avec eux, les réunions sont généralement assez courtes, directes et efficaces. En France, au contraire, c'est plutôt l'occasion de contester les décisions et de donner son avis un peu sur tout. Quitte à ce que cela s'éternise...

 

Enfin, les Coréens ont une confiance presque aveugle dans leur hiérarchie et dans les choix que cette dernière impose. A titre d'exemple, nous avons suivi ensemble le match de football France-Corée (1-1) et le contraste entre l'attitude des supporters des deux camps fut tout à fait édifiant. Alors que les Français remettaient sans cesse en cause les choix du sélectionneur, critiquaient les joueurs et se désolidarisaient finalement de leur équipe, les Coréens sont restés soudés du début à la fin. Ils sont parfois dubitatifs, mais font toujours confiance aux responsables jusqu'au bout.

 

Qu'est-ce qui est le plus difficile à gérer, en tant que manager ?

Les Coréens sont très énergiques et, en raison de la pression qu'ils subissent, se laissent facilement emporter. Ils peuvent, en l'espace d'une heure, passer d'une forte colère à une joie très ostensible. Cela est extrêmement déstabilisant, si on ne prend pas le recul nécessaire.

D'une manière générale, je pense que, dans un tel contexte, le rôle du manager consiste à absorber toute la pression générée par ces différences de comportement. Ce type de tension ne doit pas être répercuté sur les équipes françaises et c'est au manager de jouer le rôle de régulateur.

 

Comment faites-vous travailler ensemble des collaborateurs issus de cultures si différentes ?

D'abord, je crois qu'il faut s'efforcer de ne pas juger les autres cultures, ni chercher à les changer. Cela s'avèrerait totalement stérile.

"Lorsque je présente la France aux Coréens, je leur montre des images de grèves et je leur parle des 35 heures."

Lorsque je présente la France aux Coréens, je leur montre des images de grèves et je leur parle des 35 heures. Je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas. En avouant cela, je deviens crédible et mes messages passent mieux. Puis mes interlocuteurs comprennent que nous sommes dans un contexte culturel donné avec lequel il faudra, de toute façon, composer.

 

Dans la gestion des projets et des équipes, lorsque plusieurs cultures travaillent ensemble, il est important, plus que dans d'autres situations, d'expliquer de façon très rigoureuse, à chaque collaborateur, quel sera son rôle. De même, il est nécessaire de fixer des objectifs collectifs, tout en signifiant à chacun quelle sera sa contribution précise à ces objectifs.

 

Enfin, il faut trouver les synergies et les complémentarités qui existent toujours entre deux cultures différentes. Dans notre cas, on peut considérer que la rigueur coréenne apporte beaucoup à l'élaboration et au respect minutieux des processus, tandis que l'insolence des Français contribue, elle, à une confrontation positive des idées et aboutit quand il le faut, à des remises en cause salutaires.

 

Dans ce contexte, quelles sont selon vous les conditions de la réussite ?

Comme toujours, mais peut-être plus encore dans ce type de contexte, il faut savoir se tourner vers l'autre tout en restant soi-même, être pragmatique et factuel tout en étant capable de prendre du recul par rapport aux situations.

Une curiosité naturelle pour les cultures étrangères est aussi un atout essentiel. En étudiant un peu la Corée, son histoire et sa civilisation, j'ai beaucoup appris sur la façon dont ce peuple fonctionne.

 

Vous êtes le premier non-Coréen à avoir été promu au sein du management exécutif de LG. Que cela représente-t-il ?

Comme dans les groupes japonais, il existe chez LG une hiérarchie avec des grades. J'ai reçu le troisième grade sur une échelle de sept, le premier étant celui du chairman. C'est à la fois un grand honneur et le signe d'une reconnaissance. En France, cela n'a rien changé à mes fonctions ni à mon quotidien, mais quand je me déplace en Corée, c'est tout autre chose. La presse a beaucoup parlé de moi et les chauffeurs de taxi me connaissent. Souvent, les Coréens vous témoignent plus de respect du seul fait de votre grade.

Mais il faut certainement aussi y voir un signe de changement de la part des grands groupes coréens, qui comprennent que le top-management doit s'ouvrir aux étrangers.





JDN Management Envoyer Imprimer Haut de page

Sondage

Penserez-vous à votre travail pendant les fêtes de fin d'année ?

Tous les sondages