Stéphane Kasriel (UpWork) "Dans dix ans, la moitié des travailleurs américains seront freelances"

Le français Stéphane Kasriel est à la tête d'Upwork, une plateforme américaine de recrutement de travailleurs indépendants. Et pour le moment, le succès est plus qu'au rendez-vous.

JDN. Upwork met en relation travailleurs indépendants et entreprises. Avez-vous quelques données à partager sur votre business ?

Stéphane Kasriel est le CEO de UpWork. © Upwork

Stéphane Kasriel (Upwork). Opérant dans 180 pays, notre site connecte près de 12 millions de travailleurs freelances avec plus de 5 millions d'entreprises. Ces dernières sont souvent à la recherche de spécialistes dans des domaines tels que le design, le développement informatique, le droit, la comptabilité ou encore le marketing. Notons que parmi les 1 000 personnes qui travaillent pour Upwork, près de 700 ont un statut de freelance.

Comment fonctionne la plateforme ?

Upwork permet à une entreprise de publier une annonce pour un job et de rechercher des profils dans notre base de données. Notre algorithme va présélectionner entre 5 et 10 candidats parmi les plus compétents dans leur domaine, en se basant notamment sur leurs évaluations précédentes. Ce système permet de faire gagner un temps précieux aux entreprises comme aux travailleurs.

En effet, aucun freelance n'a envie de passer des heures à consulter les 250 000 jobs que nous proposons actuellement sur la plateforme. Enfin, notre système gère la facturation ainsi que les paiements et intègre un outil de collaboration qui gère les conversations en format texte, vidéo et audio.

Tout le monde est donc libre de s'inscrire ?

Oui, mais cette inscription ne donne pas un droit d'accès systématique à notre plateforme. Pour être référencé sur Upwork, il faut d'abord déposer une candidature pour que notre système puisse vérifier (au travers différents tests de compétences) si le candidat est suffisamment qualifié pour effectuer le type de travail qu'il veut réaliser.

"Nous comptons 10 000 inscrits par jour"

Nous avons entièrement automatisé ce système car avec 10 000 nouveaux inscrits par jour, cette sélection aurait été difficile à réaliser par des humains. Notre système va également déterminer pour quelles catégories Upwork recherche des travailleurs. Car, quand bien même toutes ces personnes seraient compétentes, nous ne pourrions pas accepter tout le monde car nous n'avons pas suffisamment de jobs à proposer.

Est-il possible pour un particulier d'utiliser Upwork pour recruter un freelance ou la plateforme est-elle exclusivement réservée aux entreprises ?

"Près de 20% des entreprises du Fortune 500 font appel à nous"

Bien sûr. Certains font par exemple appel à un comptable pour s'occuper de leurs impôts en fin d'année. Pour autant, la très large majorité de nos clients sont des entreprises,  dont beaucoup de PME. Nous avons aussi de plus en plus de grands comptes qui, pour certains, dépensent plusieurs dizaines de millions de dollars sur notre site. Près de 20% des entreprises du classement Fortune 500 comptent parmi nos clients. Ces entreprises font le plus souvent appel à des freelances pour répondre à un pic de demande ou pour rechercher des compétences dont elles ne disposent pas en interne.

Quel est votre business model ? L'entreprise est-elle rentable ?

Nous prélevons une commission de 2.75% sur les transactions du côté des travailleurs, ainsi qu'une commission variable du côté des entreprises. Celle-ci s'élève à 20% sur un montant allant jusqu'à 500 dollars, 10% entre 500 et 10 000 et enfin 5% au-dessus. L'entreprise est effectivement bénéficiaire. Nous réalisons plus d'un milliard de dollars de volume de transaction sur la plateforme.

Quels sont vos plus gros marchés ?

Le plus gros marché reste encore les Etats-Unis, où nous réalisons plus de la moitié de notre business. Le site est d'ailleurs pour l'instant uniquement disponible en anglais et sa devise est le dollar. Le développement informatique est la catégorie historique d'Upwork et représente encore aujourd'hui 45% de notre activité. Quatre autres catégories génèrent plus de 100 millions de dollars chacune par an pour nos freelances, à savoir le design (retouche d'image, montage vidéo), l'écriture (content marketing), les services administratifs (call centers) et enfin tous les autres différents services dédiés aux professionnels (consulting, comptabilité).

Pensez-vous que le travail indépendant va devenir la norme dans les années à venir ?

Le travail en freelance est effectivement en train de devenir la norme dans les métiers de la connaissance. L'étude Freelancing in America réalisée par Upwork montre que la population de freelances croît trois fois plus vite que celle des autres travailleurs.

"La population des freelances croît trois fois plus vite que celle des autres travailleurs"

Pour autant, certains jobs resteront très locaux et nécessiteront toujours une présence sur le lieu de travail. Aussi, pour être un bon freelance, il faut avoir un esprit d'entrepreneur, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Lorsque vous êtes indépendant, votre produit est votre cerveau. Il faut donc savoir se différencier pour se positionner face à la concurrence tout en continuant à progresser pour développer de nouvelles compétences.

Devenir freelance est-il une réelle volonté pour la majorité des personnes ou un choix par défaut ?

D'après plusieurs études plus des deux tiers des freelances le sont par choix personnel. Dans dix ans, il y aura d'ailleurs plus de travailleurs indépendants que d'employés. aux Etats-Unis. Si autant font ce choix, c'est parce que, en plus d'être indépendant, ces derniers gagnent souvent plus d'argent. Et même si ce statut s'accompagne aussi une plus grande volatilité des revenus, beaucoup apprécient également la flexibilité offerte par ce mode de travail. Des retraités ou des jeunes parents peuvent ainsi conserver une activité. Plus de 50% des millennials sont des freelances.

Upwork n'est pour le moment disponible qu'en anglais, une version française est-elle prévue ?

Nous le ferons mais cela n'est pas à l'ordre du jour pour 2018. Comme beaucoup de sociétés en forte croissance, nous avons davantage d'opportunités que de ressources pour les exécuter. Il ne s'agit pas simplement de traduire le site mais aussi de mettre en place des profils disponibles dans deux langues différentes ou encore de rendre notre plateforme multidevices.

"Plus de deux tiers des freelances le sont par choix personnel"

Nous devrons donc forcément aller à l'international pour nous développer, mais nous avons encore beaucoup à faire sur le marché américain où nous n'en sommes qu'au tout début.  Pour vous donner une idée, les freelances aux US ont apporté l'an dernier 1,4 trillion de dollars à l'économie américaine. 

Quels sont vos projets pour la suite ?

Nous souhaitons travailler davantage avec les grands comptes pour aider ces grandes sociétés à réaliser leur transformation digitale en collaborant davantage avec des spécialistes du numérique. Nous allons continuer à développer les autres catégories de notre site en dehors du développement informatique. Enfin, nous voulons progressivement développer des places de marché domestiques, comme nous l'avons fait aux Etats-Unis où nos membres peuvent s'inscrire sur une plateforme locale dédiée uniquement au marché américain.

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