Moi, l'artiste

Cet article s'interroge sur ce que signifie la présence numérique aujourd'hui d'un individu et sur son potentiel de créativité et d'innovation pour des stratégies de marques actuelles en panne d'inspiration.

Et si notre identité personnelle alliée à ses différents modes d’expression sur Internet communément appelée « identité numérique » constituait un levier d’innovation pour des stratégies de marques qui s’essoufflent face à des cibles de plus en plus saturées de messages publicitaires ?

Vu d’en haut, cette identité numérique constitue une nouvelle facette de l’identité formée d’une pluralité d’identités qui se superposent, mêlant à la fois ce que je suis (sur mon état civil), ce que je déclare (dans mes publications sur Internet) et ce que je fais en ligne (mes achats, mes discussions, mes liens, mes points de vue, etc.). Vu de plus près, cette identité numérique aurait des significations d’ordre sociologique.
En effet, les sociologues contemporains s’accordent à dire que l’individu actuel est en perte de repères. Il est certes affranchi des cadres traditionnels sclérosants (l’Etat, la religion, la famille, l’école ont perdu de leur pouvoir sur l’individu) mais il se voit tenu de trouver seul du sens à sa vie… Plus libre et plus léger mais désenchanté, l’individu connaît ce que Gilles Lipovetsky appelle une forme de « bonheur paradoxal » (Lipovetsky, 2006) qui se matérialise notamment par de l’inquiétude et de l’incertitude vis-à-vis de soi. Afin de combler les cadres perdus, l’individu va rechercher des groupes d’appartenance ou des tribus au sens de Maffesoli, c'est-à-dire souvent fondées sur des centres d’intérêts précis et des affinités communes, autour d’une activité (un sport par exemple), d’une passion ou d’une marque.
La constitution de ces communautés est stimulée aujourd’hui par les TIC et témoigne de bouleversements survenus dans les socialités qui se fondent sur le partage de vécus, d’expériences, l’expression d’émotions, d’humeurs et les manifestations de soi en tout genre. Ce sont toutes ces interactions et ces expériences qui permettent à l’individu d’acquérir et de renouveler ses identités et ses savoirs rendant ses comportements vis-à-vis des médias et des marques si imprévisibles et si complexes pour des marques habituées à une segmentation traditionnelle. Cette pluralité d’identités se retrouve dans la multiplicité des modes de représentation de soi sur les réseaux sociaux à l’instar des profils Facebook ; cette diversité est motivée autant par la multiplicité des supports existants (réseaux sociaux, blogs, forums, communautés de consommateurs, de marques, etc.) que par les options qui y sont proposées et renouvelées fréquemment comme autant d’outils au service d’une présentation de soi personnalisée (nombre d’amis, photos, vidéos, centres d’intérêts, pages Fan, liens, etc.). En étant unique, chaque profil exprime une identité singulière.
Autrefois réservée à un nombre restreint d’individus (les élites, les décideurs, les leaders d’opinion), cette théâtralisation de soi donne aujourd’hui la possibilité aux uns et aux autres de se présenter et de se différencier selon son gré auprès d’une audience illimitée, offrant ainsi un début de réponse aux problématiques identitaires des individus contemporains. Réalisée en temps réel, cette mise en scène de soi est soumise et dépendante du regard et des commentaires des pairs. Ainsi il apparaît que l’identité se construit et se renouvelle sous l’interaction de ceux avec lesquels l’individu a choisi d’échanger : l’individu devient producteur de son profil en ligne, gérant ainsi une partie de son identité numérique par le jeu de l’utilisation de toute la palette des outils proposés par les réseaux et espaces communautaires en ligne. Par goût de l’esthétique et / ou par nécessité de se renouveler au quotidien, certains profils sortent du lot, par leur créativité, leur originalité, l’émotion ou la réflexion qu’ils suscitent au point d’en faire des œuvres uniques d’artistes en herbe maîtrisant une certaine forme de savoir faire inspiré par l’actualité, l’air du temps…
Du statut d’acteur (au sens du consom’acteur), de producteur (en cas de coproduction d’offres de produits ou de services avec la marque), l’individu disposerait ainsi d’un statut supplémentaire, celui d’artiste passé maître dans l’art d’utiliser les signes et les symboles présents dans la société au profit de la création d’une œuvre unique 
: son profil numérique. Un nouveau type de consommateurs à prendre en compte par les marques en quête d’innovation ?