La solitude des leaders

Réflexions de fond sur la position singulière du leader dans l'organisation : S'il doit évidemment compter "avec" les autres, peut-il se payer le luxe de compter "sur" les autres ?

Comment partager le lead en équipe de Direction, tout en assumant d'être "le" leader, et finalement seul à décider, malgré l'appui et l'engagement solidaire des autres, dans le meilleur des cas ? Comment assumer cette position fondamentalement solitaire, pour pouvoir créer la rupture au sein même du quotidien ?

Le leader n'est pas isolé, mais il est quand même seul...

Évidemment un leader a une vie privée, une famille et des amis. D'ailleurs, il n'y a pas de champions sans un réseau d'alliances actif qui conduit à la performance individuelle. Il en va donc de même pour un leader, qui n'est rien sans ses appuis, son équipe, ses sponsors, etc...
Toutefois, comme tout manager, le leader est une personne qui décide seul du choix de déléguer ou non, et du type de processus de décision. Même s'il choisit de décider avec son équipe (voire de laisser l'équipe décider par elle-même), c'est tout de même lui, et lui tout seul qui peut prendre cette décision.

Le leader influence

Mais surtout, par nature le leader doit avoir une longueur d'avance sur son environnement. C'est une sorte de premier de cordée, à défaut d'être un "visionnaire", il doit au minimum penser en rupture et créer de la valeur par ses innovations. Après, il va aussi "embarquer" ses collaborateurs par son enthousiasme, son désir intense de réussir et sa conviction chevillée au corps que c'est possible d'y arriver. 
Le leader a probablement des doutes comme tout le monde, et il peut même les montrer, mais il a par ailleurs une confiance de fond qu'on finira toujours par s'en sortir. C'est une confiance ontologique, une confiance sans objet, une confiance de nature. On se dit qu'avec lui on ne peut que réussir : c'est une impression diffuse qui vous gagne, pas un raisonnement objectif. Sa foi est communicative, elle s'impose et gagne du terrain par "contamination virale".

Un leader existe "par et pour" lui-même

On explique parfois la différence entre un manager et un leader par le fait qu'un manager se fixe des objectifs en fonction des moyens qu'on lui donne, tandis qu'un leader se donne les moyens en fonction des objectifs qu'il se fixe ! Se donner les moyens, se fixer des objectifs, c'est très en amont des négociations avec les autres que cela se passe. Cela démarre avec l'émergence d'une énergie, d'une intuition, d'un désir qui pointe à l'intérieur même du leader, avant tout partage avec les autres.
De même qu'on est toujours tout nu sous nos vêtements, le leader est conscient d'être seul même au milieu des autres. Il n'en est pas malheureux pour autant, mais il a compris qu'il n'attendra pas les autres la permission d'exister "par et pour" lui-même.

Le leader a une longueur d'avance
Bien sûr il est heureux que les gens apprécient ce qu'il fait et en profitent. Mais ce n'est pas forcément sa motivation première. Comme le soleil, qui brille toujours par dessus les nuages, ou comme l'artiste de génie, qui réalise son chef d’œuvre par fidélité à son inspiration plus que pour séduire le public, le leader prend appui sur lui-même et agit "pour" lui-même, sans égoïsme. Tant pis si les autres n'apprécient pas. Tant pis s'ils ne suivent pas...

En effet, un leader n'a pas besoin d'être suivi pour se lancer. Dans son dynamisme intrinsèque, le leader y va de toutes façons, avec ou sans vous. Il prend appui d'abord sur lui-même. Après, vous le rejoindrez probablement, mais vous ne vous en êtes peut-être pas encore rendu compte : il est déjà parti, en avance, en pionnier.
Son idée n'est pas d'être le premier ou le plus fort, ou de vous étonner ou de se démarquer. Son idée est simplement : d'y aller, maintenant, de lancer le truc, de se jeter à l'eau... A la fois parce qu'il le faut, pour le plaisir, et aussi parfois par compulsion... Alors, il y va, créant ainsi un "précédent", initiant un mouvement.
Et ces "remous dans la Force" provoquent un sillage qui en entraîne d'autres à sa suite, en les inspirant... 

Le partage est une autre aventure, cela procède d'une autre logique, qu'il peut adopter ou non, cela n'a plus à voir avec le leadership mais avec la générosité et l'altruisme.
Le leader est une centralité qui satellise les autres. S'il est intègre, il respecte leur orbite propre. Si en revanche, c'est un gourou ou un manipulateur (ouh le vilain !), il estime que la fin justifie les moyens. Dans ce cas, n'ayons pas peur des caricatures : c'est un leader qui prend appui sur le "côté noir de la Force", pour continuer dans notre référence à la guerre des étoiles...
Un leader positif pense exactement à l'inverse : Il a compris que les moyens doivent être alignés avec l'objectif.

Un leader pense en rupture

Le leader ne reste pas dans le problème, il est centré sur les solutions et les ressources, qui sont toujours "hors de la boite"(out of the box). 
Un leader est fondamentalement seul, au moins au départ. Tel un explorateur ou un navigateur, il a capté un appel de la route et c'est à cet appel qu'il est d'abord fidèle. Cela ne l'empêche toutefois pas de s'entourer, aussi bien de conseillers en amont que d'adjoints en aval. Mais il y a une personne qui porte le projet à sa source, et c'est le leader. 
Si ce leader attend des autres, il sera forcément déçu (la sagesse populaire ne dit-elle pas : "qui est déçu mérite de l'être" ?). S'il fait sans les autres, il n'ira pas bien loin, tout seul... Alors il fait "avec" les autres, mais sans compter "sur" les autres. N'ayant pas d'attente, il n'est pas déçu. Ne cherchant ni le résultat ni la reconnaissance, il se concentre sur les gestes qu'il pose, et il les réussit. Et quand il les rate, il recommence, jusqu'à les réussir. Pour un véritable leader, le but du chemin est, dans une certaine mesure : le chemin lui-même. Une vision mais pas d'attente par rapport au futur. Tout se joue toujours maintenant. Après ? On verra après...

Pour se détendre : Un extrait de vidéo (un classique du genre) qui illustre avec humour la compétence des chefs :-)