Penser un bon contrat de travail, c’est repenser la société

Le CDI est-il has-been ? Nous défendons la création d'un contrat de travail unique dans l'intérêt des demandeurs d'emploi autant que des entreprises.

Nous souhaitons formuler des propositions concrètes tout en alertant sur l'étroitesse actuelle du débat : le système dans son ensemble devra être repensé. Et la question de l’évolution du contrat de travail se posera concrètement aux Français dès lors que les conséquences sur leur quotidien seront décryptées.
Le 10 décembre 2014, Jean Tirolle, fervent défendeur du contrat de travail unique, recevra son Nobel d’économie. Le débat est lancé. Les entreprises ont d’abord mis le sujet sur la table et les politiques y ont timidement goûté. Progressivement, le sujet revient à la une des médias au gré des déclarations et interviews. Quant aux sociologues, ils nous apprennent que les jeunes, la génération Y, ne veulent plus d’un ‘CDI à la papa’ qui les enfermerait à vie dans une entreprise. Leurs idéaux professionnels seraient la liberté et la flexibilité… Et pendant ce temps, les syndicats s’affolent en criant à la destruction d’un pilier de notre modèle social.

Le CDI est-il ‘has been’ ? Faut-il l’abolir ? Reste-t-il le Graal ou est-il une relique poussiéreuse ?

En interrogeant les demandeurs d’emploi*, on comprend vite que leurs attentes sont moins « avant-gardistes » que ce que certains croient savoir. Interrogés sur les critères qui priment dans leur recherche d’emploi, 77 % des répondants déclarent rechercher la stabilité. Une valeur qui reste primordiale et qui arrive en tête des réponses avec la sécurité (58 %) et la durabilité (55 %).
Mais malgré leur besoin de stabilité, les candidats se tournent vers… Les CDD, qui reçoivent plus de candidatures que les CDI !** Pourquoi ? Par défaut. Parce qu’ils n’ont pas d’autre choix***.
Ce constat est symptomatique du recours abusif au CDD pratiqué par les entreprises, par crainte de se retrouver enfermés dans des contrats difficiles à gérer et souvent coûteux dans les cas où le recrutement se passe mal. Mais abattons dès à présent une idée reçue : l’entreprise, autant que le salarié, a tout intérêt à préférer les contrats longs. En effet, la durée moyenne de rentabilité d’un recrutement est de deux ans !****
La réalité ne correspond donc ni aux attentes des candidats, ni à celles des entreprises. Et met en évidence l’urgence de la création d’un nouveau modèle de contrat.
La logique voudrait qu’en élaborant un contrat unique plus souple pour les entreprises, on le rendrait plus attractif. Cela permettrait donc de faire baisser le nombre de CDD, qui sont souvent des abus, au profit d’une relation plus stable pour les deux parties. C’est en effet en donnant plus de flexibilité aux entreprises, que les candidats pourront accéder à leur besoin de stabilité.
Mais le contrat unique… concrètement, qu’est-ce que c’est ? Quelles garanties, quelles nouveautés, quelles ambitions ? Tout a été dit et à la fois… Si peu. Le débat, très limité, semble tourner autour de deux points très précis : la période d’essai et la sortie du contrat.
La question de l’évolution du contrat de travail vers un contrat unique se posera concrètement aux Français dès lors que les conséquences sur leur quotidien seront décryptées. Car in fine les réponses attendues par les actifs sont très pragmatiques et concernent l’achat d’un véhicule ou d’un logement. Banques, assurances, propriétaires ... Ainsi que le montant des indemnités de licenciements et de l’allocation chômage. C’est ici que sont les préoccupations des salariés et pour l’instant, le CDI est le seul moyen d'accéder à un minimum de confort social.
C’est pourquoi les Français attendent des mesures simples et claires relatives à la manière dont les banques, par exemple, vont s’adapter à la création d’un contrat unique.
Autrement dit, nous devons élargir la focale. Le débat sur le contrat de travail est un débat sociétal.
Que se passe-t-il si le CDI disparaît? Quelles seront les nouvelles garanties exigées pour obtenir un prêt, acheter une voiture, louer un appartement ? Et comment s’assurer qu’un nouveau contrat de travail rassure les prêteurs et les bailleurs ?
C’est l’étroitesse de ce débat qui est la cause de l’inquiétude des partenaires sociaux. Ça ne marchera que si tout le système change.

Le CTU ne devra pas être un CDI amputé

Il faudra aussi mettre fin à cette vision tellement française qui consiste à opposer les entreprises et les salariés. On s’accroche au CDI car l’idée est acceptée par tous que les entreprises veulent le détruire pour proposer un contrat moins protecteur et intéressant pour le salarié. Il faudra travailler ensemble et non dans la confrontation, et arrêter de diaboliser les entreprises et les recruteurs. Un contrat doit être équitable.
Prenons l’exemple d’un contrat entre entreprises : il fait l’objet d’allers-retours et les clauses de sortie sont non seulement négociées, mais aussi sur-mesure et équitables pour les deux parties ! La relation ici n’est pas dans le conflit. On cherche à prévoir à l’avance les différents cas de figures, dont les clauses de sorties, comme par exemple les indemnités de départ
Comment faire alors pour que les échanges entre entreprises et salariés soient moins conflictuels ? L’exemple de la sortie de contrat montre parfaitement à quel point il est important de considérer le système dans son ensemble, et non pas juste les termes du contrat de travail. Les ruptures conventionnelles explosent, preuve d’un besoin de flexibilité de part et d’autre.
Alors, faciliter le départ, OUI, mais le système dans son ensemble devra être repensé, notamment les conditions de prise en charge du Pôle emploi, qui devra s’adapter. Qui a droit aux allocations dans le cadre d’un contrat de travail repensé ? Pour quel montant, pendant combien de temps ?
Enfin, la fameuse question de la période d’essai. Certains parlent de l’allonger de deux à trois ans…
Les conséquences en seraient désastreuses ! Imaginez les prêteurs, les bailleurs demander à des millions de personnes de revenir dans trois ans à la fin de leur période d’essai, et la précarité que cela signifie pour les salariés ! Et après, quoi ? Que se passe-t-il au bout de ces trois ans ? Entreprises et salariés seront liés à vie ? Quelle idée poussiéreuse. Pourquoi après une période donnée serions-nous liés à vie ? Nous pensons qu’il faut abolir complètement la période d’essai. On se rencontre, on se plait, on collabore, et quand la relation ne fonctionne plus (quelle que soit sa durée !) on se sépare. Ça, c’est une relation humaine.
Nous pressons les décideurs politiques à prendre en main le chantier du contrat de travail unique.
Mais surtout, de ne pas voir les choses par le petit bout de la lorgnette.
Penser un bon contrat de travail, c’est repenser la société. C’est faire mieux pour tout le monde, et il faudra donc mettre tout le monde autour de la table. Entreprises, salariés, banques, Pôle Emploi… Et ensemble nous pourrons nous débarrasser des démons du passé et écrire cette nouvelle page.
Notre proposition : élaborons un contrat unique concret, sans période d’essai, mais plus flexible sur les conditions de ruptures, et moins rigide administrativement parlant, en prenant en compte tous les tenants et aboutissants indirectement liés (banques, Pole Emploi...). Puis testons le  dans les entreprises de moins de 50 salariés car ce sont elles qui ont le plus peur de recruter et c’est là que le potentiel d’embauche est le plus grand.
 
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* Enquête sur les attentes de demandeurs d’emploi menée par Beepjob du 14 au 27 octobre 2014 auprès de 1508 personnes.
** Source Beepjob. Sur les site, les CDD surperforment les CDI de 33 %.
***L’enquête Beepjob révèle que 42 % des candidats qui se tournent vers un CDD le font par défaut.
**** Source APEC 2014