Innovation sociétale : un Atout Achats ?

L'innovation sociétale est à la mode. Qui dans une entreprise est le mieux placé pour la développer ? Quels en sont les critères et enjeux ?

L’innovation sociétale, le « social business », ou encore l’intégration sociale de l’écosystème font aujourd’hui partie de l’image d’une entreprise. Au-delà d’un effet de mode qui génère nombre d’initiatives sans lendemain et d’actions caritatives s’interrompant au moindre souci de rentabilité, comment appréhender l’impact réel de ce sujet dans la stratégie d’une entreprise ?  Comment mettre en œuvre des solutions qui satisferont les critères économiques et sociaux indispensables à la pérennité et au sens de ces actions ?
Lors de l’implantation ou du développement d’entreprises multinationales dans des pays émergents beaucoup ont été et seront la cible d’organisations de consommateurs, de partis politiques, d’ONG ou de villageois les accusant de piller les ressources locales afin de les transformer en profits échappant au pays concerné. Les déboires d’un grand producteur de sodas en Inde, l’exploitation de mines en Afrique, l’huile de palme, pour ne citer qu’eux, en sont des exemples marquants qui ont abimé pour longtemps l’image des sociétés concernées et donc leur relation avec le consommateur. Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, un impact négatif, justifié ou non, s’étend au-delà de toutes les frontières.
Une entreprise doit rendre à la société civile dans laquelle elle opère une partie des bénéfices qu’elle en tire. C’est ce que veut le consommateur ou le client, et c’est aussi un formidable pare-feu en cas d’attaques déloyales ou partisanes. Cela devient donc un enjeu pour l’entreprise.
Ce type d’approche semble réservé aux grands groupes internationaux. Erreur ! Tout est question de taille de projet et de terrain d’action. Rien n’empêche une entreprise de taille plus modeste de s’associer à une démarche sociétale de l’un de ses clients ou fournisseurs.
Alors comment structurer cette démarche et s’assurer qu’elle génère des résultats pérennes et visibles ?

Le joker de la Direction des Achats

  • La DRH possède les compétences humaines  mais manque d’impacts économiques sur le monde extérieur.
  • La Direction commerciale développe l’activité de l’entreprise mais reste trop dépendante de ses clients et de leurs impératifs.
  • La Direction Marketing  définit l’offre, les produits et la communication. Elle ne peut gérer l’exécution de projets industriels.
  • Une Direction indépendante aurait l’avantage de se dédier exclusivement au développement du sujet mais risquerait de se focaliser sur des thématiques déconnectées du cœur de cible.
En revanche, la Direction des Achats dispose de bien meilleurs atouts. Selon son secteur d’activité, elle gère un flux financier représentant 30 à 70 % du C.A. Elle côtoie aussi le monde fournisseurs, gigantesque réservoir d’idées provenant d’environnements différents.
En outre, son pouvoir d’affectation des commandes lui offre flexibilité et autonomie dans ses décisions. Enfin, les composants et matières achetés sont essentiels à l’élaboration du produit final. De ce fait, la relation entre l’entreprise et le projet sociétal apparaitra facilement au consommateur.

Règle du jeu : Rigueur et opportunités

La méthodologie de génération d’idées et de développement nécessite une extrême rigueur et se doit de suivre le même type de processus qu’une innovation classique.
L’étape génération d’idées permet de balayer le portefeuille achats et de sélectionner les sphères d’activité autorisant une action sociétale. Citons quelques alliances manifestes : matières premières et augmentation du revenu des mineurs et de leur famille, agro-alimentaire et amélioration des conditions de vie des agriculteurs,  récupération des matières plastiques ou métaux et amélioration de collecte ou de travail dans les décharges , systèmes de distribution et emploi de catégories de populations vulnérables etc.
Une fois l’idée sélectionnée et validée, reste à fixer les critères de sa réussite afin de démarrer l’étude, ces critères devant être impérativement mesurables.
Le produit résultant fera partie des approvisionnements de l’entreprise ou de son réseau fournisseur.
Il sera compétitif vis-à-vis du marché tout en assurant la rentabilité du projet.
La direction des Achats contrôlera les parts de marché de ce produit dans ses approvisionnements afin d’en assurer la pérennité. L’impact social se mesurera en termes d’augmentation de revenus et du nombre de personnes impactées.
Le projet passera par une phase pilote qui validera les objectifs fixés, sera dé multipliable et adaptable dans d’autres pays.
Le véritable succès n’interviendra à long terme que si d’autres entreprises, concurrentes ou non, acceptent de faire partie de l’aventure (au final il s’agit de transformer la vie d’un maximum de personnes et de leur famille et d’impacter l’écosystème)

Jouer la carte du partenariat

Arrive maintenant la phase développement qui s’ouvre sur trois points clé. La participation d’une ONG s’avère indispensable à la définition des besoins des populations concernées ainsi qu’à la mise en œuvre des actions sociales. Une entreprise ne dispose ni de la compétence ni de la légitimité nécessaires. Il s’agit donc de bâtir les bases d’un véritable partenariat.
Le marketing de l’entreprise devra avoir intégré dans son développement le projet sociétal afin de le rendre visible au moment opportun (jamais trop tôt, méfions-nous des effets d’annonce).
Le financement des coûts de démarrage et des premiers investissements demeure problématique : il faut avancer des fonds avant de voir des résultats !
Sur ce point la Direction des Achats détient un formidable levier, sous forme de la mise en place et de l’animation des plans de productivité de l’entreprise.
Le jeu consiste à fixer entre Directions des objectifs de productivité supérieurs au budget ou au plan interne. Selon une clé de répartition, une partie sera affectée au financement du projet sociétal.
La motivation des équipes n’en sera que renforcée.
Si cette solution est insuffisante, pourquoi ne pas envisager une participation de l’entreprise ou de faire appel à des donateurs extérieurs souhaitant participer au projet (les fournisseurs feront toujours preuve de solidarité active si le projet est bien défini et partagé) ?
Les financements étant trouvés, la phase exécution démarrera avec une équipe composée de l’entreprise, des fournisseurs, des ONG et des populations impactées.
Ce n’est qu’à l’issue du pilote que sera validée la montée en puissance du projet sociétal.

Prenez la main

L’innovation sociétale apparait comme un formidable enjeu d’intégration d’une entreprise dans son écosystème qui se traduit par une vision positive des consommateurs, une motivation de tous les salariés pour une cause qui génère de la fierté personnelle et collective.
La Direction des Achats joue un rôle nouveau et central dans ce domaine. Elle se doit d’être le catalyseur entre les besoins internes, l’écosystème, le monde fournisseurs partenaires et les ONG. Elle dispose des outils, des ouvertures, des contacts externes, ainsi que des moyens pour devenir le leader de cet axe de développement.
Elle a toutes les cartes en main.