L’innovation, la nouvelle incantation?

Le terme ‘innovation’ est devenu un ‘buzz word’ pour dirigeants en recherche de renouvellement de leurs produits, de leurs marchés, de leur stratégie, mais aussi de leur management. Bref, le mot devant chasser les maux actuels de nos entreprises. Mais attention aux recettes toutes faites et à l'effet stigmatisant.

La France est considérée comme un pays ayant peu  d’entreprises innovantes, en comparaison de plusieurs autres grands pays européens. Parallèlement, c’est aussi un pays dans lequel les salariés sont très peu concertés pour les décisions d’organisation du travail et une représentativité syndicale particulièrement faible, notamment en comparaison de nos voisins. De là à y voir une corrélation…

Aujourd’hui les mots fleurissent pour parler d’innovation et les méthodes  explosent. Signe des temps, cet enthousiasme et cet engouement pour l’innovation que l’on retrouve dans nombreux discours de dirigeants tend paradoxalement à minimiser la dimension créative du travail, tel qu’il se réalise au quotidien et vit tant dans les usines que les entreprises de services. Comme si le travail de tous était au mieux strictement routinier, et au pire devenu invisible.

Ce discours de et sur l’innovation symbolise le sentiment des directions d’entreprise conscientes de ne pas réussir à suffisamment mobiliser l’engagement et le potentiel de créativité de leurs salariés. Une réponse se trouve dans l’intérêt que ces dirigeants et leurs managers peuvent porté sur ce que les ergonomes nomment le travail réel des salariés et de son management. Dans ce travail quotidien, de plus en plus invisible selon PY Gomez (Le travail invisible: enquête sur une disparition. F. Bourin, 2013), se trouvent très certainement les graines de l’innovation. Aux dirigeants et leurs équipes de les arroser de leur management.

Les grands discours des dirigeants d’entreprises traduisent deux éléments : 1- faisant face à des environnements tellement turbulents qu’ils ne savent plus où regarder, ils s’en remettent à l’incantation de l’innovation pour survivre et se développer ; 2- cela traduit également, à certains égards,  une forme de méconnaissance de ce qui se passe dans le quotidien du travail de leurs salariés, aux niveaux les plus opérationnels. C’est sur ce second point qu’il est important d’insister. En effet, l’innovation n’a pas toujours besoin d’être extraordinaire, ou pour le moins n’est pas toujours bien visible de tous. Mais qu’une pratique ou une décision, individuelle ou collective, ne soit pas visible ne signifie pas qu’elle  n’est pas innovante. Elle est juste un peu plus "ordinaire" (Norbert Alter) a priori … mais pas nécessairement a posteriori. Autrement dit, il faut s’intéresser au travail réel, celui qui se fait et se vit au quotidien dans nos entreprises. Loin d’un frein à l’innovation quelle qu’elle soit, le travail réel en constitue la ressource fondamentale, à condition qu’on s’y intéresse tout autant qu’on accepte de le manager.

Travailler, c’est pas nature créer. Des produits et de services, certes. De la richesse, oui bien sûr. Mais également des connaissances, des savoirs et compétences, tant au niveau individuel que collectif. Donc, travailler, c’est par nature innover. Lorsqu’on échange avec les managers de premiers niveaux et leurs collaborateurs, voire qu’on les observe travailler, on se rend vite compte à quel point leurs pratiques ne sont pas standards et routinières. Bien au contraire. Leur travail est constitué d’événements déclenchant des situations collectives problématiques qu’ils souhaitent résoudre au nom d’une certaine idée du travail bien fait. Le problème c’est que ces compétences restent souvent invisibles par les directions, et des freins ou des "empêcheurs" apparaissent quand par exemple les managers de proximité sont accaparés par d’autres tâches (accroissement des activités reporting, réunions à l’extérieur, pilotage à distance, etc.) que l’animation de leurs équipes et le coaching de leurs collaborateurs. Ces deux dimensions participent directement à réduire la motivation et l’engagement, génèrent parfois des problèmes de santé au travail, et réduisent systématiquement le potentiel de performance des entreprises.

Les dirigeants d’entreprises ayant compris cela doivent alors s’engager et engager leurs équipes dans un réel management du travail. Innovons par le management du travail réel.