Le secret médical est un masque à plusieurs visages

Rien ne semblait pouvoir rapprocher une collaboratrice comptable et un co-pilote d'A320 si ce n’est leur état dépressif réciproque. Rien ne pouvait mieux les éloigner non plus l’un de l’autre si ce n’est la manière paradoxale avec laquelle leurs dossiers médicaux furent gérés.

Marie-Thérèse est comptable dans une grande entreprise de travaux publics. Elle gère toutes les feuilles de paie du personnel. Il y a 6 ans elle a fait une dépression nerveuse et a été mise sous anti dépresseurs par son médecin traitant. Marie-Thérèse soufre d’une « maladie »  que l’on rencontre souvent chez ce type de collaboratrice, elle « souffre » de la « non reconnaissance ». Elle qui fait les feuilles de paie de toute l’entreprise et constate les augmentations régulières de salaires ou de primes des différents échelons de sa hiérarchie, ne peut obtenir depuis des années et ce, malgré ses demandes répétées, la moindre augmentation. Avec beaucoup de courage et l’aide de son médecin, Marie -Thérèse  a réussi à se sortir de son traitement anti dépresseur. Mais l’année dernière elle a failli « craquer » de nouveau. Pour éviter une nouvelle mise sous médicaments, elle a du s’arrêter trois fois dans l’année. Trois arrêts de travail de 8 jours, 5 jours et 7 jours. Il faut préciser que Marie –Thérèse n’a jamais pris plus de trois semaines  de congés depuis qu’elle travaille car le fonctionnement  comptable de l’entreprise le lui interdit.

Mais cette année  Marie-Thérèse a reçu de sa caisse  de sécurité sociale une lettre signée du directeur l’informant que les arrêts de travail de l’année passée ne semblaient pas justifiés et qu’au prochain arrêt son dossier serait particulièrement examiné, avant tout règlement des indemnités journalières.

En plus de cela elle s’entendit dire quelques jours plus tard par son médecin du travail lors de la visite annuelle qu’elle n’avait qu’à se remettre sous anti dépresseurs pour ne plus s’arrêter ou bien démissionner si elle ne supportait pas son travail !

Dans le cas de Marie-Thérèse nous pouvons faire trois remarques. Tout d’abord c’était bien la non reconnaissance professionnelle qui était la cause principale de sa dépression il y a 6 ans  et de ses trois arrêts de travail l’an dernier; c’est donc un problème de management qui touche directement Marie-Thérèse. Ensuite la lettre reçue et signée du directeur sans que le médecin traitant de Marie-Thérèse ne soit contacté par son confrère de la caisse maladie traduit une dérive du secret médicale accaparé par l’administratif qui passe ainsi par-dessus le médecin de Marie-Thérèse et même peut être aussi par-dessus le médecin de la caisse.

Enfin il est difficile de ne pas rebondir sur la suggestion du médecin du travail qui propose à Marie Thérèse de se remettre sous antidépresseur ou de démissionner. Cela revient à dire à cette collaboratrice de travailler coute que coute au détriment de sa santé avec des médicaments dont on connaît les effets secondaires parfois délétères ou bien de quitter tout bonnement son emploi. Est-ce le rôle de l’entreprise ?  Cela semble surtout contraire aux plans santé au travail de 2005-2009 et de 2010-2014 qui encouragent les entreprises a être actrice de la santé de leurs salariés.

 

La tragédie de l’A320 vient de bouleverser le monde entier.  Le copilote responsable aurait du être ce jour là en arrêt de travail selon les premiers résultats de l’enquête et, ne l’ayant pas lui-même déclaré, ses médecins traitants se retranchent derrière le secret médical pour ne pas l’avoir fait non plus. La compagnie aérienne après avoir déclaré être au courant des antécédents dépressifs de son pilote est ensuite revenue sur ses déclarations pour dire qu’elle n’avait pas été informée.

 

Tous les médecins sont attachés au  secret  médical, leurs patients aussi. C’est une règle absolue. L’article 4 (article R.4127-4 du code de la santé publique) du code de déontologie de l’Ordre des Médecins est on ne peu plus clair à ce sujet. Seulement, entre les deux exemples de cette chronique tout diffère.

 

Pour Marie-Thérèse, le secret médical semble assez relatif ou « élastique » puisque c’est le directeur (qui n’est pas médecin)  de la caisse  qui lui écrit au sujet de ses arrêts de l’an dernier, selon lui non justifiés. Par ailleurs le médecin du travail sans chercher non plus à rentrer en relation avec le médecin traitant lui conseille de se mettre sous traitement (c'est-à-dire sous antidépresseur) pour « tenir le coup » et ne plus s’arrêter à l’avenir ou alors ………..de démissionner.

 

Pour le copilote de l’A320 c’est tout le contraire. On ne saura jamais si le jour de l’accident il était réellement sous médicament mais il semblait bien être suivi pour dépression et en tout cas aurait du être en arrêt le jour du drame. Les hésitations de la compagnie dans ses déclarations traduisent une faute évidente de management. Quand aux médecins du jeune homme, ils semblent n’avoir prévenu personne, secret médical oblige.

 

D’un coté on harcèle une collaboratrice pour vingt jours d’arrêt de travail dans l’année, c'est-à-dire rien,  au mépris du secret médical sans chercher à comprendre les raisons de ses arrêts en fait liés à sa non reconnaissance dans l’entreprise par erreur de management, de l’autre coté on a 149 morts par respect de ce même secret médical, un co pilote peut être lui insuffisamment « harcelé » par la aussi erreur de management. D’un coté on « propose » fortement un traitement antidépresseur au travail au mépris des plans santé  et alors que rien ne le justifie vraiment, de l’autre ce traitement qui aurait pourtant été institué depuis longtemps ne permet pas d’éviter la catastrophe. Cherchez l’erreur. Le secret médical est bien un masque à plusieurs visages qui mériterait d’être clarifié  à défaut de le redéfinir profondément surtout face à l’article 47 du projet de loi santé en cours de discussion.