LE CPF (Compte Personnel de Formation) : de Dédale à Cassandre ?

La mise en œuvre du CPF depuis le 1er janvier dernier devait constituer le cœur de la réforme de la formation professionnelle. 5 mois après son déploiement, ce dispositif peut être interrogé dans son caractère "universel". Il s'apparente plus à un dispositif réservé à quelques "agiles" de la formation.

Un droit universel en trompe l’œil
 

Depuis le 1er janvier 2015, le CPF est ouvert à l’ensemble des actifs – qu’ils soient occupés ou non – soit plus de 28 millions de bénéficiaires potentiels, et ce, dès l’âge de 16 ans, voire 15 ans pour les jeunes en apprentissage. Ayant vocation à accompagner l’individu tout au long de sa vie professionnelle, ce compte n’est fermé que lorsque la personne est admise à faire valoir ses droits à la retraite. Petite révolution dans l’affirmation de droits individuels : le CPF est directement rattaché à la personne, et non plus au contrat de travail, comme cela était en partie le cas avec le DIF.

Depuis janvier 2015, le CPF peut être alimenté des heures de DIF non consommées au 31 décembre 2014 et le sera automatiquement à compter de mars 2016 à hauteur de 24 heures par an jusqu’à 120 heures puis 12 heures par an dans la limite d’un plafond de 150 heures.

Si les 28 millions d’actifs peuvent ouvrir leur compte depuis le 5 janvier 2015 à partir du portail www.moncompteformation.gouv.fr, en revanche, tous ne peuvent en pratique l’alimenter. En effet, ont été exclus dans l’immédiat du champ d’alimentation du CPF les agents des 3 fonctions publiques – Etat, territoriale, hospitalière – ainsi que l’ensemble des actifs non salariés.

Sachant que la fonction publique compte environ 5,6 millions d’agents et que les travailleurs non salariés représentent de leur côté 3 millions de personnes, ce sont au total 8,6 millions d’actifs qui ne peuvent effectivement mobiliser leur CPF à ce jour. Au principe universel du dispositif s’oppose donc la réalité des faits, à savoir l’impossibilité pour plus de 30% des actifs à mobiliser ce droit.


  Un dispositif « élitiste » ?  

Les inégalités d’accès à la formation, dénoncées à l’occasion des deux précédentes réformes de la formation professionnelle, sont – elles effacées par celle de 2014 ? Le CPF peut – il contribuer à les corriger, en permettant aux moins qualifiés, aux plus fragilisés par les mutations économiques en cours, de se former relativement plus que précédemment ?

Afin que le CPF puisse être effectivement mobilisé par les salariés et demandeurs d’emploi, la loi du 5 mars 2014 a prévu son articulation avec le CEP (conseil en évolution professionnelle). Le CEP consiste à accompagner les projets d’évolution professionnelle et à faciliter, en lien avec les besoins économiques des territoires, l’accès à la formation, notamment au compte personnel de formation. Il est en principe accessible à toute personne, à titre gratuit, dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à son départ en retraite, quel que soit son statut. Sa mise en œuvre peut être assurée par les organismes gestionnaires du CIF (congé individuel de formation) pour les salariés, ainsi que par Pôle emploi, l’Apec, les Cap emploi ou encore les missions locales, en charge respectivement de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, des publics handicapées ou encore des jeunes éloignés du marché du travail.

Dans quelle mesure ces cinq acteurs sont – ils en capacité de remplir aujourd’hui cette nouvelle mission sur le plan opérationnel ? La question mérite d’être posée, au regard des moyens supplémentaires nécessaires pour l’assurer, et de la formation des agents à cette prestation d’accompagnement.

De ce fait, alors que la réforme, et notammentle CPF, visait à sécuriser les parcours professionnels des actifs les plus exposés sur le marché du travail, il risque de n’apparaître que comme un dispositif « réservé » dont seuls les catégories socio-professionnelles les plus autonomes se saisiront véritablement.

 

Dédale roi

Hormis l’accompagnement, que reste t – il ? Un site portail www.moncompteformation.gouv.fr opérationnel depuis le 5 janvier 2015, sur lequel chacun des 28 millions d’actifs est invité à activer son compte à partir d’un espace personnel. Qu’en est – il aujourd’hui ? A fin mai, seul 1,42 million de comptes personnels de formation a été activé, selon la Direction générale à l’emploi et à la formation professionnelle…

Quand bien même un individu a créé son compte, voire inscrit ses heures de DIF non consommées au 31/12/2014, pour lesquelles il aurait dû être informé par son employeur au plus tard le 31/01/2015, le parcours du combattant pour identifier une formation s’engage : en effet, seules les certifications reconnues par les partenaires sociaux au niveau national et régional (38 listes régionales au total), ainsi que par les branches professionnelles (pas moins de 117 listes) sont éligibles au CPF. La seule liste nationale interprofessionnelle comprenait fin mai près de 2 400 certifications éligibles au compte personnel de formation. Dans ce maquis des certifications, bienheureux sont les « agiles » de la navigation sur le web, en capacité effective d’identifier sur le site moncompteformation.gouv.fr une formation en relation avec leur projet professionnel.

Lorsque la certification est identifiée, le titulaire du compte doit constituer son dossier de formation. Les données saisies pour le dossier de formation doivent ensuite être validées par l’organisme collecteur des fonds de la formation professionnelle (OPCA) de la branche dont dépend l’entreprise du salarié s’il effectue la demande de formation hors temps de travail. L’OPCA instruit le dossier et le financement de la formation selon des règles de validation et dans des délais variables selon chacun d’entre eux. Résultat : dans sa lettre ouverte au ministre du Travail et de l’emploi publiée fin avril, le Mouvement des Hiboux[1] annonçait entre 600 et 1 000 le nombre de dossiers de formation validés depuis le 1er janvier 2015.

Le CPF serait – il condamné au même destin que le DIF ? Deux chiffres rendent compte de l’échec relatif de ce dernier entre 2004 et 2014 : son taux d’accès était de moins de 5% en 2011 ; seules 66 000 demandeurs d’emploi avaient pu mobiliser leur DIF portable en 2012.

De Dédale à Cassandre, il n’y a qu’un pas. Espérons que l’avenir démentira ces sombres constats, tant les logiques de certification que le CPF porte peuvent représenter un réel instrument de sécurisation des parcours professionnels des plus fragilisés.


[1] Le Mouvement des Hiboux a été créé le 27 avril 2015 par Arnaud Portanelli et Guillaume le Dieu de Ville, fondateurs de l'organisme de formation LINGUEO et à l'origine du site cpformation.com.