Loi travail : quel impact sur la médecine du travail ?

La loi travail, si elle est votée en l'état, aura un impact sur la santé au travail. Plutôt que de protéger le salarié au sein de l’entreprise en cas de maladie ou d’accident, la loi choisit son exclusion avec un médecin du travail devenu complice malgré lui.

A défaut de lire le Code du travail je me suis polarisé sur son chapitre  "maladie, accident et inaptitude médicale", en essayant d’y décrypter  les "retouches" que la loi travail y introduit à travers son article 44.

Des tripatouillages linguistiques qui en disent beaucoup...

Je dois dans un premier temps faire part de mon admiration devant tant de subtilités grammaticales pour lesquelles  l’âpreté des débats entre adversaires et promoteurs de la dite loi s’expliquent du coup mieux. Comment en effet interpréter la substitution d’un mot par un autre et son poids dans une phrase ? 

Pourquoi par exemple "poste" remplacerait-il "emploi" (article L. 1226-10, premier alinéa), et "déclaré apte" serait-il supprimé pour laisser la place à "n’est pas déclaré inapte" (premier alinéa de l’article L. 1226-21) ! Pourquoi les mots, "destinée à lui proposer" sont remplacés par les mots, "le préparant à occuper" (article L. 1226-10 deuxième alinéa). 

Que cachent ces tripatouillages linguistiques ?  On pourrait penser à du Molière si cela n’était pas si mal écrit. Remplacer le mot "aptitude" par "capacité" demandera surement beaucoup de réflexion de la part de ceux qui se sont prêtés à l’exercice. Surtout que parmi les définitions de "capacité" du Larousse, on trouve "aptitude de quelqu’un dans tel ou tel domaine" ! Comment ne pas se méfier alors d’emblée d’arrières pensées en embuscade! 

Et la santé dans tout ça ?

Et la santé dans tout cela !! L’article 44 de la loi El Khomri, prétend réformer le suivi des salariés par la médecine du travail. Mais qu’est-elle devenue cette médecine du travail ? Diluée dans l’équipe pluridisciplinaire en santé elle a perdu au fil du temps beaucoup de ses prérogatives. 

Il y a un an je posais déjà la question dans le JDN "La pluridisciplinarité en santé au travail a-t-elledéjà eu raison de la médecine du travail ?"

L’alinéa 2 de l’article L1226-2 de la loi El Khomri s’inscrit bien dans cette nouvelle organisation puisque l’avis des délégués du personnel a été ajouté à l’avis du médecin du travail dans l’aptitude, pardon la "capacité", du salarié, "à exercer une des tâches existantes dans l’entreprise". 

De même l’article L4624-1  dans lequel "Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs…" est remplacé par plusieurs articles dont le premier stipule que "Tout travailleur bénéficie, au titre de la surveillance de l’état de santé des travailleurs prévue à l’article L. 4622-2, d’un suivi individuel de son état de santé assuré par le médecin du travail et, sous l’autorité de celui-ci, par les autres professionnels de santé membres de l’équipe pluridisciplinaire".

Cette "collectivisation" de la santé en entreprise revisite bien évidemment la relation singulière entre le médecin et le salarié. Ainsi dans l’Art. L. 4624-4 de la loi on peut lire : "Après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l’équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l’employeur, le médecin du travail qui constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste, déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d’indications relatives au reclassement du travailleur". 

Vers la fin du secret médical ? 

Le médecin du travail ne peut donc plus "protéger" le salarié à au moins deux titres. Sur le plan déontologique il ne le protège plus car le secret médical n’est plus respecté du fait de cette pluridisciplinarité. Nous ne sommes plus en effet dans la confidence.  Sur le plan relationnel, la protection du salarié n’existe plus non plus : la confiance est rompue puisque de ce que lui dira le patient, le médecin pourra le décréter inapte à son travail. Le médecin devient donc celui qui peut faire perdre l’emploi ; on ne peut donc plus avoir confiance en lui. Et si le  poste n’est ni évolutif, ni adaptable à la nouvelle situation du travailleur celui-ci n’a plus comme choix que de  le quitter.

Le lieu de travail est hélas souvent le lieu où on tombe malade. On aurait pu espérer qu’un jour  il devienne un lieu de récupération ou de retour à la santé. Mais non, le législateur préfère graver dans le marbre le coté presque incontournable de la maladie au travail ! 

Et enfin dans le cas d’une contestation "du salarié ou de l’employeur portant sur les éléments  de nature médicale justifiant l’avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail, l’employeur ou le salarié peut saisir le conseilde prud’hommes, statuant en la forme des référés, d’une demande de désignation d’un médecin-expert dont l’avis à terme se substitue à celui du médecin du travail" Art. L. 4624-7. 

Ce dernier est donc totalement dépouillé. Dans le code du travail, le médecin du travail, en cas de désaccord avec l’employeur pouvait avoir recours à l’inspection du travail et le dossier médical était protégé  (Article L4624-1). Avec la nouvelle loi, l’avis du médecin est dilué dans celui de commission et d’intervenants ayant tous plus ou moins accès au dossier médical.

Enfin que dire de ces "postes présentant des risques particuliers" pour la santé ou la sécurité du travailleur, "celles de ses collègues ou des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail" Art. L. 4624-2. Comment à notre époque peut-on laisser des hommes ou des femmes travailler sur de tels postes ? Plutôt que de mettre des robots aux caisses des grandes surfaces quitte à les déshumaniser encore un peu plus, ne pourrait-on pas les affecter sur ces "postes à risques particuliers" ?

La maladie au travail banalisée

Cette "banalisation" du risque professionnel alors que l’entreprise au contraire devrait faire bénéficier le salarié  d’un maximum de bien être au travail est extrêmement choquante. 

Rappelons que le stress au travail (qui peut être à l'origine du burnout) qu’il soit physique ou psychique, est responsable de la plus part des dépenses de santé des sociétés industrialisées. L’être humain devient un rouage du système de production au même titre qu’une machine ou un outil et son risque maladie au travail est acté.

L’entreprise devrait être un lieu d’épanouissement ou l’Homme, en plus d’y gagner sa vie devrait pouvoir y entretenir sa santé, voir la récupérer si il était malade auparavant. Nous faisons tout l’inverse. Non seulement nous ne faisons rien pour supprimer les postes à risques mais pire, nous les intégrons dans les textes de lois. Où cela va-t-il nous mener ? A rien de bon en ai-je bien peur.