Faut-il continuer à écouter ses clients ?

Le monde du digital est si à part qu’il semble échapper aux règles de base, notamment en matière d'étude du consommateur. L’écoute client est loin d’être systématique dans les projets digitaux et c’est regrettable. Et si son rejet n’était qu’un problème de méthode ? 

L’alibi d’Henry Ford et de Steve Jobs

Grand créateur, Henry Ford se méfiait en son temps des études de marché: "Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu : des chevaux plus rapides". Steve Jobs, selon la légende, n’aurait jamais testé son iPhone auprès de consommateurs.

Pour les détracteurs des études, les méthodologies classiques sont peu utiles dans le domaine de l'innovation, car le client, toujours conservateur, est incapable de se projeter dans de nouveaux usages. Des usages trop innovants risquent de l’effrayer ou au contraire de l’exalter hors de mesure.

Un assureur connu a proposé il y a 5 ans une application pour gérer en ligne ses déclarations de sinistres auto : après de nombreux focus group pourtant positifs, le service a connu un échec complet, aucun assuré n’ayant jamais utilisé une seule fois l’application pour gérer un dossier. 

Quelques principes pour écouter efficacement le consommateur

Avec le recul, on aurait tort de jeter le bébé avec l’eau du bain car ce type d’échec provient d’erreurs méthodologiques. Quelques conseils s’imposent.

- Ecouter en amont du processus d’innovation

Ecouter le client est une fantastique source d'inspiration. Le créateur de Nest, le thermostat intelligent racheté par Google, raconte qu’il a passé plusieurs mois à visiter des foyers américains avant de commencer à spécifier son produit. Cette prise de recul a été nécessaire pour écouter en profondeur les attentes du client. Elle évite les a priori de conception sur lesquels il sera difficile de revenir.

- Se concentrer sur les besoins, pas sur les solutions

Tester une solution clé en main est effectivement risqué si les clients du panel sont conservateurs ou peu imaginatifs. Il est intéressant en revanche d’explorer les besoins profonds des clients ainsi que leurs frustrations liées à l’offre actuelle. Pour un constructeur automobile, nous avons ainsi identifié au travers d’une étude un frein important à l’achat : la difficulté de tester une voiture avant d’acheter. L’innovation proposée a consisté à organiser un service d’essai de voiture en peer-to-peer, des acheteurs de la marque étant rémunérés pour faire essayer leur modèle récemment acheté.  

- Valider des éléments concrets

A l’opposé, si l’on souhaite tester un concept précis, il peut être judicieux d’utiliser des éléments concrets de test. Une maquette ou un prototype peuvent permettre aux clients de se mettre en situation. Plus le vécu des utilisateurs testés sera proche de la réalité, plus les enseignements seront riches et fiables.

- Ecouter le client fréquemment

Dans le domaine du digital, trouver un market fit n’est pas simple. Il faut prévoir des points de rencontre du client à chaque étape du projet : validation du concept, des fonctionnalités, des maquettes, du prototype. Une fois le service lancé, le processus d’écoute doit encore s’intensifier en mettant en œuvre une boucle de feed back.

Les sociétés les plus performantes vont plus loin : elles établissent un dialogue continu avec leurs clients pour continuer à faire évoluer leurs offres. Chez Zappos, le e-commerçant américain, l’ensemble des salariés (y compris ceux de la comptabilité) doivent passer plusieurs jours par an à répondre aux clients au téléphone. Une bonne manière de développer une réelle empathie avec son public. 

Les études client façon Lean 

Ecouter ses clients coûte cher et la pingrerie budgétaire est souvent un argument fort contre les études. Dans les faits, il existe cependant des moyens d’écouter ses clients sans se ruiner.

- Privilégier l’approche directe

Nous encourageons les équipes projets à parler directement aux utilisateurs finaux. Les études externes par des organismes sont utiles car elles permettent une objectivité dont sont souvent incapables les équipes internes. Mettre en contact les équipes projets avec les utilisateurs finaux est toujours extrêmement profitable. Dans l’idéal, l’ensemble de l’équipe, y compris développeurs et graphistes, devrait se frotter aux réalités clients. Des méthodologies adaptées comme les clubs utilisateurs sont très efficaces.

- Récupérer les données clients disponibles

Chez tous nos clients, il existe une foule de données clients mal exploitées : focus groups, retours terrains, statistiques d’usages… Nous recommandons systématiquement une méta-analyse de ces données pour identifier les besoins non satisfaits et identifier des sources d’innovation.

- Utiliser les données du web

Le web peut fournir de très nombreuses données. L’analyse de mots clés de recherche ou les données issues des réseaux sociaux fournissent des indices sur les tendances du marché pour peu qu’on sache les analyser.

Dans les faits, il n’existe qu’une dizaine de Steve Jobs et d’Henri Ford par siècle, et ils ont peu de chance d’être à vos côtés. L’écoute du client reste un moyen fantastique de trouver l’inspiration, valider un concept et le porter jusqu’à la perfection.