Ces mythes technologiques qui mitent notre intelligence

L'avenir numérique n'est pas indépendant de l'état de l'économie. Il en découle et propose souvent de mauvaises solutions à de mauvais problèmes. Et l'Europe, la France vit la situation en bon perdant, au lieu de rêver à une victoire, basée sur de nouveaux modèles économiques.

L’Ubérisation a vécu. Vive l’hyperventilation. Si il est quelque chose dont notre économie va manquer, c’est d’air frais, en grande quantité et nous n’y sommes pas encore. La vague de la compréhension est peut être passée, mais à ce jour elle a laissé l’action sur la plage. Un peu excitée, mais insatisfaite. On ne voit pas le changement. Il ne semble pas être pour maintenant. A la décharge des concernés, c’est coton, et le coton mouillé, c’est lourd. Donc séchons vite et courrons. Gouvernement, entreprises et nous, société civile. Il va falloir, pour nous en sortir, jouer la stratégie des coudes. Serrés.

La soi-disant révolution que nous vivons, qu'est-elle vraiment ?

Technologique ? Oui et non. Cette technologie est véritablement un outil et non un objectif. Ce n’est pas l’oméga de ceux qui y investissent et les développent. Auparavant, quand on ne rêvait pas encore à dessiner l’humain, ou le remplacer, la technologie était une guerre quotidienne destinée à acquérir ou maintenir une domination économique. Elle est désormais au service d’une vision de l’humanité, et c’est cela qui change tout. Car pendant que certains ont une stratégie bien définie (et très différente) en Chine et aux USA, les Européens ne pensent qu’en "suiveurs". Nous suivons la petite lumière que les artificiers chinois et américains ont allumé, ce qui nous rend aveugle au "grand dessein" du timonier numérique, qui cherche tout à fait autre chose.

Une révolution d’usage ? Oui, car pour la première fois ce sont les individus comme vous et moi, les "lambda", qui dictent la transformation de l’être humain par l’utilisation sans raison des téléphones portables, dits smartphones, ce qui reste étrange pour un instrument qui rend souvent stupide. Prisonnier du temps présent, voyageur immobile, qui confond la répétition et le mouvement. Prisonnier de l’instant, qui perd toute perspective passée et future, et tend à faire du futur une répétition du passé, pour le bonheur des stratégies marketing des fournisseurs d’applications.

Un outil qui permet de considérer que le bonheur consiste à avoir tout de suite et moins cher des biens toujours aussi inutiles, plutôt que de profiter de cette opportunité magnifique pour inventer une autre distribution, un autre commerce, un autre capitalisme. Donc l’usage dessine le monde. Le digital et sa notation remplacera certainement les normes, et au final, quand on prend l’exemple du Glyphosate, et des atermoiements à l’interdire malgré l’évidence, le pouvoir accru du consommateur tendrait à me rassurer.

Les premières études commencent à associer la détresse des ados, et leur taux de suicide en pleine explosion, à l’utilisation excessive (au delà de 5h par jour notamment), du smartphone, qui atteint la matière grise, dont la réduction empêche le cerveau de fabriquer ce qui lutte contre la dépression.

Néanmoins, je ne vois pas encore, dans cette stupidité qui devient la norme, se dégager une intelligence collective. Une armée d’ânes accrochés à un portable, devient rarement intelligente par la seule magie du regroupement. Mais certains travaillent à changer les choses. Dont certaines universités prestigieuses au USA, ce qui prouve que l’esprit critique reste notre ressource la plus précieuse.

Il y a une part de fantasme dans ce que l’on nous décrit. L’intelligence artificielle, le transhumanisme, l’homme augmenté. Ce serait pour demain. C’est faux. Néanmoins, tout le monde y investit. Ce qui signifie que cela arrivera. Après demain. Pour le moment Watson a terrassé les joueurs de Go. OK. Impressionnant. Un lutteur de sumo a terrassé un adversaire de 70kg son cadet. Symboliquement cela a fait frémir nombre de commentateurs qui se sont extasiés qu’une puissance de calcul digne d’une artillerie nucléaire puisse écraser une puce. En réalité, quoi d’impressionnant dans cet "exploit"? Pas grand chose. C’est le symbole.

Si 40 années de Loi Moore ont été nécessaires pour remplacer le joueur de Go par la machine, il va falloir qu’elle continue à doubler encore un moment pour impressionner. Et puis quoi ? Si la machine nous bat à plate couture, pas grave ! Nous continuerons à jouer, entre hommes. Car c’est la leçon que la société devrait retenir. Si la machine devient meilleure que nous, qu’elle se batte avec ses copines machines et qu’elle nous fiche la paix.

L’homme aime les paradoxes, c’est d’ailleurs le fondement même de l’humanité. Elle avance grâce au combat permanent entre des forces contraires. Parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Et l’on voudrait augmenter l’homme afin qu’il soit parfait, insubmersible, et que nous soyons tous parfaits. La seule chose certaine (et excusez-moi du terme) : qu’est ce qu’on va "s’emmerder" ! Un humanité faite d’hommes augmentés, quel ennui crasse! C’est la différence qui nous enrichit et la diversité qui en fait la beauté.  Une course de 100 mètres entre hommes augmentés qui franchiront tous la ligne en même temps, cela va légèrement gâcher l’intérêt de la course. Si notre talent se trouve réduit à manipuler des machines qui commandent des hommes, on ne fait que rajouter un intermédiaire. Ce n’est peut être pas grave. Si la machine devient la référence, quelle tristesse.

L’autre paradoxe c’est de créer des machines qui nous dépassent et de s’inquiéter de nous augmenter pour les rattraper ! J’apprécie la compétition et les challenges, mais franchement on évoque le paroxysme du crétinisme. De plus, s’inquiéter de cette option, de la disparition de l’homme ou de sa domination, alors que nous avons le pouvoir d’en décider, paraît vraiment totalement et désespérément navrant.

Nous devrions nous soumettre à d’autres challenges, qui devraient bien plus exciter nos grands cerveaux. La pauvreté, l’écart de richesse, l’apologie du retour au passé que la peur du lendemain provoque dans tous les pays, la faim dans le monde, les 60% de moins de 25 ans sans éducation en Afrique qui ne trouveront pas un emploi industriel non robotisé à se mettre sous le compte en banque, le paludisme et la malaria, la résistance bactérienne hospitalière, une alimentation à réinventer, des adolescents coréens qui se suicident toutes les 10 minutes. Les sujets ne manquent pas. Mais ils rapportent moins.

Moins que l’immense défi qui nous étrangle, insidieusement, un peu plus chaque jour. Celui d’une population mondiale qui vieillit et ne sait plus comment faire les chèques de fin de mois. Celui d’Etats endettés, quand ce ne sont pas aussi les individus qui les composent, qui sont prisonniers d’une spirale infernale les obligeant à des politiques, qui rapportent à court terme et creuse la tombe de notre long terme. Une automatisation qui menace l’emploi, afin de compenser par des bénéfices court-terme, une productivité qui s’effondre et une richesse nationale, qui s’effondre. Partout. Une classe moyenne qui sombre, des jeunes sans qualification qui ne trouveront rien. Des seniors écartés sans espoir de retrouver un emploi, mais que l’on cherche à faire vivre plus de 85 ans. Au chômage.

J’aimerais vous dire que je vois une solution. Mais désolé, pour le moment, votre frère en bon âne, ne voit rien venir. L’automatisation des services poussera inéluctablement à la disparition des emplois créés aujourd’hui par les plateformes. Le véhicule autonome mettra fin aux rêves des chauffeurs sortis du chômage, ce qui permettra aux syndicats de se réjouir de la fin de cet esclavage moderne et de rendre leurs bénéficiaires au RSA. Amazon, Fedex investissent dans le transport aérien autonome pour délivrer leurs paquets, sans compter sur nos gentils drones, esclaves électroniques qui débarrasseront nos hommes de ce travail si pénible et nous fera découvrir le côté très pénible de ne pas avoir d’emploi !

La seule solution c’est de reprendre la maîtrise du temps, de l’espace et de la vision de la société. Cesser de courir après ceux qui ont une stratégie à eux, une méthodologie à eux, une vision à eux, différente mais respectable (éventuellement), et nous doter de la nôtre. Une stratégie destinée à l’Europe une vision, des moyens pour l’accomplir et des valeurs exposerait l’homme au milieu de la cible au lieu d’en faire un spectateur.

Il n’est pas trop tard. Pour le moment les milliards investis dans l’IA ont accouché de traducteurs simultanés, et d’une intelligence au mieux, moyenne. Donc avant l’Armageddon et le Watson universel, nous avons un peu de temps et de place, pour distiller la petite musique des modèles alternatifs.

Des circuits courts pour une alimentation retrouvée, qui règlera définitivement le débat sur les glyphosate pour les reléguer au rang de pêché de l’histoire économique. Des plateformes qui ne fassent plus du prix un graal, mais de lamarge une obsession et qui méritent leurs valorisations grâce à leurs résultats plutôt qu’à leurs promesses. Une association à l’Afrique, qui permettrait de mettre une épaisse tranche de jambon entre les "buns" américains et chinois et permettre aux citoyens du monde, connectés par une intelligence encore naturelle et une conscience parfois éveillée, voire même soyons fou, par une forme d’intelligence collective spontanée, de s’offrir un test concurrentiel, en se payant le modèle Européen. Pour le meilleur plutôt que le pire.

Les technologies peuvent nous offrir un vrai sursaut. Tout dépend des mains qui le manipulent ce petit sursaut. Tout dépend de savoir si l’Europe veut subir et jouer "défensif" en taxant les Gafa ou jouer attaquant et faire mieux qu’eux !