Repensons le management, misons sur la confiance !

Tribune co-signée par Bernard Gainnier, Président de PwC France et Afrique francophone, Président de la F3P (Fédération Française des Firmes Pluridisciplinaires) et Frédéric Petitbon, associé PwC auteur de "Managers, libérez, délivrez, surveillez ?" aux éditions Cherche Midi.

Qu'elles soient traditionnelles et hiérarchiques ou fonctionnant en mode horizontal et agile, les entreprises doivent miser sur une chose pour maximiser le bonheur et l'efficacité de leurs collaborateurs : la confiance.

De nombreuses entreprises voient coexister différentes formes d’organisation : d’une part, des formes agiles, souvent empruntées aux start-up, qui mobilisent en mode commando des équipes issues de toutes les compétences de l’entreprise sur un temps court. Et d’autre part, une organisation classique, fondée sur une hiérarchie par métier, pays, expertise. Cette organisation connaissant ses rythmes, souvent cadencés sur l’année, ses règles du jeu, notamment sur l’évaluation des performances.

Les collaborateurs sont amenés à passer de l’une à l’autre de ces formes d’organisation. Ou en tout cas, ils sont de plus en plus en contact avec chacun des modèles. Et ceci dans tous les secteurs d’activité.  Y compris dans la sphère publique. Le Conseil d’Etat prône d’ailleurs dans un de ses derniers rapports la mise en place de méthodes agiles dans l’administration …

Il est de plus en plus illusoire dans ces entreprises à "grand écart" de définir un modèle organisationnel et managérial qui s’applique à toutes les activités, à tous les services. Le "livre du maître" expliquant au nouvel entrant comment on fonctionne dans l’entreprise, à qui reporter et quelles sont les règles du jeu devient impossible à écrire.

Et il est de plus en plus difficile pour le manager de faire face : on lui demande d’être caméléon, parfois directif et descendant, respectueux de la culture managériale  historique, de beaucoup d’entreprises ; parfois d’être un manager libérateur, en soutien de ses équipes à qui il fera une très large confiance.
La réponse se situe en grande partie dans l’organisation et le fonctionnement des équipes, bien plus que dans la déclinaison de modèles organisationnels globaux.
A-t-on encore besoin de managers dans cette nouvelle donne ? Certainement non à l’aune d’un modèle managérial daté, systématiquement descendant et hiérarchique. Mais oui à coup sûr, si le manager change fondamentalement de posture et parvient à donner du sens au contexte spécifique que connaît son équipe, à contextualiser son management. Il s’agit de "penser et vivre tribu", et d’adapter sa relation aux autres et sa vision personnelle.

Reprenant à notre compte le parcours de la reconnaissance construit par Paul Ricoeur, nous identifions trois axes de cheminement que nous avons formalisés dans le livre "Managers : libérez, délivrez, surveillez ?", paru début novembre aux éditions du Cherche-Midi.

Tout d’abord il faut "reconnaître l’autre », collègue ou collaborateur, avec qui il faut expliciter les termes de l’échange, et à court terme. Un CDI flou ne suffit plus, ni au collaborateur avec ses attentes propres à court terme, ni au management avec les exigences d’agilité.

Nous formulons deux  propositions ici : C2D2 – À chacun son Contrat de Confiance à Durée Déterminée ; et aider à grandir, apprendre à partir. Y compris en CDI, au regard de la notion d'employabilité, le temps est compté. Même si le poste est intéressant pour le collaborateur et que le manager souhaite le garder jalousement dans son équipe, sur le moyen et long terme il faut anticiper le coup d'après. Il s'agit d’éviter que les collaborateurs ne s’ankylosent dans un faux confort professionnel, dangereux pour eux comme pour l’entreprise. Au manager de montrer les parcours possibles, de rendre concrets les postes potentiels, et de jouer son rôle de pédagogue, de pousser chaque équipier à de nouveaux apprentissages.

Le deuxième axe est de construire une "reconnaissance mutuelle", dans l’élaboration et le respect de règles du jeu qui permettent de conduire les nécessaires confrontations professionnelles, et de les dépasser pour obtenir des résultats collectifs. Nous avons une formule : ritualiser l’espace de sa tribu. A quoi servent les bureaux ? Comment a-t-on le droit, le devoir de se parler ? Comment communique-t-on, en management visuel comme par écrit, en mode physique ou à distance ? Tout est possible maintenant : il faut le choisir collectivement.
Un bon indicateur de turn-over d’une entreprise : la manière dont l’espace est occupé ! Un open space sans rites, sans interactions, sans couleur, sans lieux d’échange et de convivialité : danger ! Un espace cloisonné où une équipe regarde trois fois avant d’occuper le bureau du chef pour faire une réunion, parce qu’elle a peur de ne pas avoir le droit : danger ! A l’inverse quel bonheur et quelle gage d’efficacité que des lieux ritualisés, signifiants pour les équipes.

Le troisième axe est d’inviter le manager à "se reconnaître soi- même", c’est-à-dire à se reconnaître comme sujet de sa vie, dans l’entreprise comme ailleurs, s’accepter et accepter le regard de l’autre ; et être au clair sur le pacte implicite passé avec l’entreprise, et sur respect de celui- ci par les deux parties prenantes – soi- même et l’entreprise. Pas facile, parce que le modèle n’est plus unique, et que ce qui marchait ici hier ne fonctionnera pas là demain : il faut construire son parcours de résilience, et expliciter ce que l’on veut vivre et partager comme transparence, comme apprentissage personnel.

De ce fait, c’est en grande partie au niveau du manager et non pas (et non plus) du dirigeant, que doivent se résoudre les tensions au sein de l’organisation. Ce dernier doit faire en sorte que les tribus fonctionnent efficacement dans son entreprise au lieu de décliner un modèle descendant obsolète
Les dirigeants doivent raconter l’histoire. Non pas seulement celle de l’entreprise, mais aussi celle de ses modes de fonctionnement, de ses modèles organisationnels : pourquoi on accepte voire demande un comportement créatif décalé ici, pourquoi le héros d’hier ne sera pas celui d’aujourd’hui.  Cela demande aussi de trouver des modes de management qui font coexister le monde ancien et le monde nouveau : "l’agilité à l’échelle" par exemple, c’est-à-dire la reproduction coordonnée des modes de fonctionnement des projets agiles…
Et cela demande aussi de faire le "job sur sa tribu", sur son équipe de direction pour appliquer les pratiques de management à son niveau. Vous avez dit "exemplarité" ? C’est bien de cela aussi qu’il s’agit, et c’est une des clés du leadership. Ne surtout pas l’égarer ou la perdre de vue !

Tribune co-signée par Bernard Gainnier Président de PwC France et Afrique francophone et Président de la F3P (Fédération Française des Firmes Pluridisciplinaires) et Frédéric Petitbon, associé PwC auteur de "Managers, libérez, délivrez, surveillez ?" aux éditions du Cherche Midi.