Objet social de l’entreprise : si on osait aller plus loin !

Nos parlementaires discutent actuellement du projet de loi Pacte, notamment de son volet objet social. Et si c’était le moment d’oser aller encore plus loin pour initier une véritable transformation qui concilie performance, pérennité, équité et harmonie sociale ?

Rappel sur les incontournables de l’entreprise

Toute entreprise, quelque soit sa forme juridique (y compris mutuelles, coopératives et associations) doit satisfaire de manière incontournable à deux utilités si elle veut se pérenniser :

Une utilité économique : non seulement couvrir ses charges, mais dégager un surplus (cash-flow) pour financer son développement, innover… bref, avoir les moyens de maintenir sa compétitivité par rapport à ses concurrents et challengers.

Une utilité sociale : proposer des produits et des services qui intéressent des clients.

La légitime rétribution des actionnaires

L’actionnaire, est soit le patron qui a investi ses propres deniers ou un investisseur financier, prend un risque. Il peut perdre sa mise et parfois davantage quand il apporte des garanties personnelles. Il est donc logique et je dirais éthique, que ceux qui prennent ce risque touchent sous une forme ou sous une autre des dividendes. Sans investisseurs pas d’entreprises. Le seul bémol à apporter, c’est que cette rémunération des actionnaires ne doit être pas être excessive, ni constituer l’unique objectif.

La légitime rétribution des dirigeants

Un dirigeant de qualité doit légitimement être rémunéré. Il vaut mieux payer largement un Carlos Ghosn qui a eu les résultats que nous savons avec l’alliance Renault Nissan à laquelle il faut ajouter aujourd’hui Mitsubishi, que payer plus chichement un dirigeant incompétent. Si en 2017, Carlos Ghosn avait travaillé gratuitement et redistribué sa rémunération aux salariés, ça aurait fait une maigre augmentation pour chacun des 470 000 collaborateurs : 16 euros par an. Le bémol à apporter, ce sont les indemnités de départ faramineuses quand une entreprise va mal et/ou licencie de manière importante.

Elargir l’objet social de l’entreprise

Une entreprise ne saurait limiter son objet social à dégager une rentabilité et à rémunérer ses propriétaires/actionnaires, ses dirigeants et ses salariés.Rappelons que depuis la rédaction du code Napoléon de 1804, l’objet social de l’entreprise était resté inchangé : Engendrer des profits, pour ses salariés, ses actionnaires et ses dirigeants. Elargir l’objet social de l’entreprise doit revêtir plusieurs domaines.

·    A l’égard des clients, une éthique de l’offre : proposer des produits et des services qui n’altèrent pas la sécurité, la santé. A l’égard des fournisseurs, une éthique comportementale : payer dans les délais convenus. A l’égard de la société : payer ses impôts, respecter la législation. A l’égard de l’environnement : absence de pollutions, préservation des ressources…. 

    La nouvelle loi Pacte devrait consacrer la notion d’un intérêt social dépassant celui des actionnaires, en affirmant la nécessité que toute entreprise intègre les enjeux écologiques et sociaux. A l’égard des salariés, non seulement assurer leur sécurité, protéger leur santé, contribuer au maintien de leur employabilité mais partager le pouvoir et les résultats. Nous allons revenir sur ces deux points.

Trop souvent, l’entreprise est présentée et vécue comme un lieu de tension et d’affrontement. Chacun sur ses positions dans un rapport de méfiance partagé. On se positionne alors dans un jeu perdant-perdant. Tant du côté actionnaire, que du côté employeur, salarié et syndicat. Il convient de dépasser ces vieux paradigmes de fonctionnement.

Il faut concevoir l’entreprise comme un lieu du vivre et du travailler ensemble, pour concourir à la réalisation d’une œuvre commune, dans une dynamique de leadership partagé et de croissance partagée. L’entreprise doit donc être vécue comme une communauté de "concourance", terme que nous empruntons à Roger Nifle. Pour ce dernier, le lien de concourance implique deux choses : Chacun est entrepreneur de sa mission propre et cette mission concoure à la marche en avant de l'entreprise commune.

Cette approche permet de renforcer l’engagement de chacun. Les actionnaires, l’entreprise et les salariés sont bénéficiaires de cet engagement partagé.

Elle permet également un partage du pouvoir. Se sentir entrepreneur de sa mission propre, implique la possibilité, la capacité et la nécessité de prendre à son niveau des décisions, donc d’exercer un pouvoir. Une véritable délégation doit être accordée, le principe de subsidiarité doit jouer à plein. Pour reprendre Roger Nifle : "On articule ainsi les relations de chaque personne et de chaque service avec les autres dans toute l’originalité de l’autonomie responsable de chacun". Ce partage du pouvoir peut également se traduire par l’association de chacun directement ou indirectement par l’intermédiaire de groupe de travail à des dimensions plus stratégiques. Nous l’avons personnellement accompagné dans des entreprises privées et des structures publiques, le résultat a toujours été très positif. Cela, dans le contenu des productions et ensuite bien évidemment dans l’adhésion aux orientations retenues. On réduit alors fortement la résistance au changement.

Une telle approche implique croissance et partage. Tout d’abord la croissance des compétences individuelles et collectives. Dans une économie de la connaissance, c’est une dimension stratégique essentielle. Ensuite une croissance en termes d’innovation ; chacun dans une structure peut être source d’innovation. 

Enfin, une croissance en termes économiques. Sur ce dernier volet, ça suppose que les collaborateurs soient mieux intéressés aux fruits de cette croissance. Ce n’est pas une amputation du profit pour l’entreprise et ses actionnaires. Au contraire, dans la durée, cela favorise la croissance du profit. Il vaut mieux se partager plus équitablement un gros gâteau, qu’inéquitablement un gâteau plus modeste. Ce sentiment de meilleure équité, aidera les collaborateurs à mieux consentir des efforts lorsque l’entreprise traversera des zones de turbulence.

Oui, l’audace doit être au rendez-vous. Créer une communauté de concourance, c’est construire un lien dynamique entre des partenaires responsables, qui choisissent de concourir ensemble à la réalisation d’une œuvre commune. Chacun acceptant (et ayant les moyens) d’être responsable de son action, de sa mission et coresponsable de la l’action et de la mission collective.

Ça suppose que de part et d’autre (employeurs et salariés) on fasse le choix du partenariat. Ça implique que dirigeants et managers acceptent de partager (pour de vrai) le pouvoir. Partager le pouvoir, ce n’est pas perdre du pouvoir, c’est l’exercer autrement et gagner en autorité reconnue et en légitimité.

Comme nous l’avons vu, il s’agit de se mettre dans une dynamique de croissance partagée, où chacun doit gagner et grandir. Le développement de l’entreprise, fruit du développement de l’entreprise de chacun, doit équitablement profiter à tous : actionnaires, dirigeants, collaborateurs sans oublier l’entreprise qui en tant qu’organisation a besoin de pouvoir autofinancer au mieux son développement.