La transformation digitale passe par l'intelligence collective du capital humain

Uber, Airbnb, Tripadvisor, face à la crainte de la disruption les entreprises sont de plus en plus en quête de leur transformation digitale. Celle ci suffira-t-elle à les mettre à l'abri de nouveaux entrants souvent venus de l'extérieur ?

Comment les entreprises peuvent elles se préparer à cette concurrence qui sape les fondements de leur business model jusqu'à les rendre obsolètes ? Confrontés à la transformation de plus en plus rapide de l’économie mondialisée, chefs d’entreprise et dirigeants sont sujet depuis quelques années à une nouvelle angoisse, celle de se faire disrupter. Nouveau buzzword épouvantail , cette disruption n’a en réalité de nouveau que le fait qu’elle touche désormais le secteur des services, bien davantage que celui de l’industrie, habitué depuis fort longtemps à être impacté par les innovations de rupture.

La disruption : un phénomène pas si nouveau

Déjà au 15è siècle, les moines copistes furent en leur temps disruptés par l’imprimerie, il fallut tout de même près d’une centaine d’années avant que le livre imprimé ne remplace définitivement son ancêtre manuscrit. A l’ère industrielle de grandes entreprises qui n’ont pas su anticiper ou pas réussi à s’adapter ont elles aussi été victimes du phénomène de l’innovation qui vient saper les fondements de leur business model.

Kodak en est un bon exemple, après avoir raté l’opportunité de développer le photocopieur que lui proposait l’ingénieur Chester Carlson (lequel fonda ensuite Xerox), la firme américaine se trouva être l’inventeur de la photographie numérique, qu’elle renonça à développer car trop éloignée de son métier de base, celui de produire, commercialiser et développer des pellicules.

Plus tard, cela n’a pas empêché la firme Xerox, qui fut si prompte à saisir l’opportunité du photocopieur, de rater celle de l’interface graphique dont elle ne savait que faire. Cela permit à Steve Jobs de lancer le McIntosh et de révolutionner l’ordinateur personnel.

Les services : plus vite impactés que l'industrie

Déjà, les nouvelles technologies issues de l’informatique trouvaient la part belle dans les innovations qui venaient bouleverser l’ordre établi. Aujourd’hui la disruption dans les services vient la plupart du temps de l’extérieur du secteur, elle est le fait de start up qui ont eu l’intuition d’une nouvelle manière de penser la relation avec le client en s’appuyant sur les technologies d’internet. Ainsi d’Uber, dont il est peu probable qu’il eut pu être inventé par le syndicat des chauffeurs de taxi, quand bien même celui-ci aurait fait appel au meilleur des cabinets de conseil en organisation. De même pour Airbnb ou Tripadvisor, qui n’ont pas été fondés par des professionnels de l’hôtellerie et qui pourtant mènent la vie dure aux géants du secteur.

Tout cela va plus vite que dans l’industrie, les services ne connaissent pas l’inertie des usines à construire ou des procédés de fabrication à éprouver. Les disrupteurs ne sont pas les concurrents habituels, les entreprises établies ne les voient pas venir. La peur s’installe chez les actionnaires et les dirigeants, qui, sous le coup de l’émotion, toujours mauvaise conseillère, n’ont plus qu’une hâte, celle d’opérer avant qu’il ne soit trop tard, leur transformation digitale.

La transformation digitale à elle seule est elle à la hauteur du risque? 

Face à cette crainte et la demande qu’elle suscite, le secteur du conseil en organisation a de son côté vite trouvé un relais de croissance à sa mesure. Après la mode des ERP ou celle du lean, honteusement décliné à toutes les sauces, arrive aujourd’hui celle de la transformation digitale. Le numérique à ceci de pratique qu’il intègre d’emblée une forte dimension technologique, propice à susciter l’adhésion des décideurs et à justifier l'investissement de sommes parfois déraisonnables. Et cette transformation amène son lot de concepts, méthodes et autres recettes toutes faites. Il faudrait commencer par acculturer les collaborateurs, travailler en mode agile ou encore adopter une posture managériale cool. Peu importe que ces modes de fonctionnement aient ou non des avantages, la disruption va bien au-delà, il ne s’agit pas d’une simple transformation, imaginer que l’on peut y échapper en se transformant à partir de l’existant relève la plupart du temps du mythe.

Mais alors chaque entreprise est-elle irrémédiablement condamnée à se faire disrupter ? Heureusement non, il n’y a pas de fatalité mais une approche erronée de la réalité qui peut laisser penser qu’il suffirait de se "digitaliser" pour s’adapter. On l’a vu avec les exemples cités plus haut, la disruption rend dépassé, obsolète ; aussi bien la pellicule photo que le chauffeur de taxi. Les entreprises qui veulent éviter ce risque doivent faire davantage que se transformer, elles doivent se repenser, se réinventer, "s’obsolètiser", avant qu’un autre, qu’elles n’auront pas vu arriver, ne le fasse.

Le capital humain : principal atout pourtant trop peu utilisé

Elles ont pour cela une ressource qu’elles utilisent trop peu souvent. Leur capital humain, les femmes et les hommes qui font l’entreprise et qui peuvent être tout aussi bien son principal handicap et son principal atout. Handicap lorsque la rupture, pensée par quelques-uns se trouvera rejetée par tous les autres. Habituelle résistance au changement, la pièce de théâtre qu’est souvent la prise de décision stratégique dans les grandes organisations n’est jouée que par quelques acteurs que l’on compte souvent sur les doigts d’une main ; vue que par quelques spectateurs à peine plus nombreux ; et seulement racontée à tous les autres qui doivent s'en contenter et sont priés de s'aligner. Comment dès lors imaginer qu’il y ait ne serait ce que le minimum de compréhension nécessaire à l'adhésion et indispensable à la mise en action de ce nouveau futur, rêvé par quelques décideurs, dénué de sens pour tous les autres.

A contrario ces mêmes femmes et hommes peuvent être un atout lorsque l’entreprise misera sur la contribution du plus grand nombre et l’intelligence collective qui pourra s’en dégager. Certes, cette intelligence collective est plus difficile à déclencher qu’une bonne décision bien autocratique prise en conseil d’administration. Mais elle a l’avantage de permettre la réalisation de la valeur promise par la nouvelle stratégie en dépassant le simple stade de l’idée, du concept ou du plan d’actions, souvent incompréhensible pour ceux qui devraient le mettre en oeuvre.

L’intelligence collective répond à des interactions plus complexes entre les individus qui composent l’organisation et requiert un certain nombre de conditions si l’on veut véritablement réinventer l’entreprise :

Refonder une communauté d'intérêt

C’est le propre des start up, mais aussi celui de la période faste qu’ont connues toutes les entreprises à leurs débuts, la phase pionnière au cours de laquelle les buts communs partagés par tous et la confiance mutuelle qui régnait entre les membres suffisaient à provoquer l’engagement des collaborateurs et le dépassement des objectifs.

De petite taille à ses débuts, l’entreprise a naturellement mis en place des structures plates, horizontales, ou les règles sont les mêmes pour tous et ou la répartition des rôles est fondée sur la complémentarité des compétences. Chacun est responsable de ses actions, les décisions stratégiques sont basées sur le consensus qui facilite l’acceptation et l’adhésion active de tous.

Retrouver un espace de travail collaboratif

Ce qui était simplement évident à quelques-uns devient complexe avec le nombre, l’entreprise qui veut se réinventer en misant sur l’intelligence collective doit se doter d’un réseau de communication qui permette l'interaction entre tous ses membres de manière à faciliter l’anticipation et la coordination des actions. Son système d'information doit assurer un accès large et en temps réel à l'information pour l'ensemble des collaborateurs. Chacun doit disposer d’une vue détaillée et contextuelle de la situation à son niveau, dans son périmètre d’action, et plus synthétique pour le reste de l’entreprise. Enfin la coopération entre les membres doit permettre de mettre en place un processus d'apprentissage basé tout autant sur un système de régulation organisé, qui associera évaluation, contrôle et correction des erreurs, que sur le partage d'expériences et de pratiques qui favoriseront l’émergence d'une conscience collective commune.

Retrouver l'esprit pionnier qui a fait les succès passé 

La plupart des entreprises ont connu à leurs débuts ce mode de fonctionnement, spontané, intuitif, inconscient, c’est celui qui leur a permis de croître, de se structurer, de gagner des parts de marché, de se diversifier parfois. C’est souvent grâce à ce mode de fonctionnement, qu’elles n’ont pas su adapter de l’époque où elles comptaient 10, 20 ou 30 collaborateurs, qu’elles en dénombrent aujourd’hui 500, 1 000 ou 10 000. Pour s’auto-disrupter les entreprises, plutôt que de miser sur une hypothétique transformation digitale, doivent aujourd’hui avant tout effectuer ce retour aux sources, miser à nouveau sur leur capital humain et son potentiel d’intelligence collective, de manière consciente, structurée, organisée, pour remettre en place ce qui a fait leurs succès à leurs débuts en l’adaptant à leurs tailles d’aujourd’hui.