Le bien-être au travail, réel moteur pour l’entreprise ou simple utopie ?

Après l’ère de la consommation de masse, la tendance est au bien-être. Soucieux de préserver leur environnement et leur santé, de plus en plus d’individus s’engagent dans une consommation responsable pour une vie plus saine. Qu’en est-il au travail ?

Désormais, la qualité prime sur la quantité. C’est ainsi que la tendance "healthy food" s’invite dans nos assiettes créant de nouveaux amateurs de bio, sans gluten, végétariens, végétaliens ou encore végans. Si le "manger mieux pour vivre mieux" s’avère être un principe qui a fait ses preuves, qu’en est-il du "travailler mieux pour vivre mieux" ? A-t-on réussi à faire autant de place au bien-être là où nous passons le plus clair de notre temps ? C’est en tout cas la mission confiée aux nouveaux managers du bonheur en entreprise, plus connus sous le nom de Chief Hapiness Officers (CHO). Cette nouvelle fonction arrivée tout droit des Etats-Unis depuis plus de 2 ans a pour objectif d’améliorer l’environnement de travail en faveur du bienêtre du salarié. Les CHO peuvent avoir des profils différents : anciens DRH, managers en marketing, en communication interne ou encore directeurs juridiques. Ils ont cependant tous une démarche commune : utiliser la bonne connaissance de l’entreprise et de son fonctionnement pour placer l’humain au cœur de la stratégie. 

Les CHO : ambassadeurs du bien-être au travail pour une meilleure performance 

Etant une notion relativement subjective, le bien-être en tant que tel n’est généralement pas mesuré au sein des entreprises, contrairement aux indices de performance classiques tels que le chiffre d’affaire annuel ou le taux de croissance. Et pourtant, il s’agit d’une notion fondamentale se trouvant justement à la source de la performance. Comment réaliser un bon chiffre d’affaire si les employés ne se sentent pas bien au sein de leur entreprise ? Comment garantir l’adhésion aux projets et obtenir des résultats constants sans développer un investissement naturel des salariés et non contraint ? La réponse à ces questions se trouve dans la reconnaissance et la valorisation du salarié qui, au-delà d’être financières, doivent avant tout être humaines. S’intéresser au bien-être du salarié et le cultiver représente donc un réel levier de croissance. 

C’est pour ces raisons que des entreprises avant-gardistes font appel aux Chief Happiness Officers. Actuellement, 80% des entreprises du CAC 40 s'intéressent à cette nouvelle fonction. Afin d’atteindre leurs objectifs bien-être, ces derniers doivent faire preuve d’une grande adaptabilité. En effet, l’erreur serait de mettre en œuvre des pratiques prédéfinies, d’emblée considérées comme porteuses de succès. Une approche réussie consiste plutôt à comprendre l’environnement dans lequel évolue le salarié, sonder et analyser les ressentis individuels et collectifs, identifier les dysfonctionnements qui mettent à mal la bonne atmosphère et qui ont un impact négatif sur la santé du salarié en créant stress, anxiété, nervosité et fatigue. Il est également primordial de détecter les personnes qui, de par leur leadership et positivité, peuvent devenir les relais de cette stratégie. Veiller au bien-être des collaborateurs, notamment grâce à l’intervention du Chief Hapiness Officer, présente bien des avantages. En effet, cela permet d’améliorer l’engagement du salarié, sa créativité, sa santé donc sa productivité

Les chiffres le prouvent : les salariés heureux sont deux fois moins malades, six fois moins absents, neuf fois plus loyaux et 55% plus créatifs. Il est aussi question de les fidéliser sur un marché du travail de plus en plus concurrentiel, où les jeunes générations prennent très au sérieux le critère bien-être qui, d’une simple aspiration devient une réelle exigence. La Sécurité Sociale belge a su montrer que l’impact du bien-être sur la performance de l’entreprise est bien réel. L’intervention d’une "directrice du bonheur" a engendré une baisse de 26% du taux d'absentéisme et de 75% du taux de démission. La productivité a augmenté de 20% et les candidatures de 500% alors que la Sécurité sociale avait des difficultés à attirer de nouveaux candidats. 

Une notion encore difficilement intégrée au monde de l’entreprise 

Malgré les avantages qu’elle présente, la fonction de CHO ne provoque pas encore un engouement majeur auprès des entreprises. Ces dernières s’y intéressent sans forcément passer à l’action en créant de nouveaux postes. Depuis juin 2015, seulement une trentaine d’offres d’emploi de ce type ont vu le jour. Quant aux candidats, ils ne sont également pas nombreux à rechercher des postes de CHO. Au premier semestre 2017, seulement 276 recherches ont été effectuées sur le site Monster. Cependant, cela pourrait s’expliquer par le recrutement interne sur ces fonctions qui nécessitent souvent une bonne connaissance de l’entreprise. De plus, l’importance des CHO et leur impact sur l’organisation sont souvent remis en cause. 

En effet, afin de placer le bien-être au cœur de la stratégie et influencer les décisions pour opérer un changement profond et durable, il est nécessaire de représenter cette valeur au niveau le plus haut de la hiérarchie, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas. L’ensemble des dirigeants doivent être impliqués dans ce processus alors que cette fonction, lorsqu’elle existe, est trop souvent résumée à la simple mise en place d’animations. L’importance accordée à ce sujet n’est pas toujours en accord avec les enjeux économiques et sociaux qui en découlent. De plus, comme l’auront compris certaines entreprises, faire la promotion du bien-être au travail permet d’attirer les talents. Attention cependant à ne pas détourner cette valeur comme un argument de vente plutôt qu’une réelle préoccupation de l’entreprise. Le "happywashing" devient alors un atout marketing. Dans ce cas, l’image de l’entreprise est plus mise en valeur que le salarié lui-même. Enfin, malgré les efforts déployés par le CHO pour améliorer la qualité de vie au travail, il s’avère qu’en termes de priorités, son intervention n’est pas jugée essentielle. D’après un sondage Monster, seulement 12% des salariés demandent le recrutement d’un CHO. On trouvera plutôt en tête de liste l’octroi de plus de jours de congés, une plus grande flexibilité dans les horaires de travail ou encore le soutien de l’employeur à une cause sociale. Alors, que penser de ces nouvelles fées du bonheur ? 

Même si l’intervention des CHO reste encore marginale aujourd’hui, les atouts de cette nouvelle approche nous permettent de rester optimistes quant à son intégration durable. De plus, même si les CHO n’ont pas encore le poids nécessaire à un changement à grande échelle, les entreprises sont déjà significativement engagées dans une démarche globale du bien-être. C’est notamment le cas de Décathlon, Kiabi ou encore Leroy Merlin France que l’on retrouve au top 3 du palmarès Best Place to Work, l’institut américain qui distingue les entreprises "où il fait bon travailler".