Interview
 
07/11/2007

Corinne Maillet (Le marketing adulescent) : "Les gens ont besoin de recréer du lien émotionnel"

Ils ont entre 20 et 35 ans, un pouvoir d'achat conséquent et aiment ce qui leur rappelle leur enfance. L'auteur du livre "Le marketing adulescent" décrypte ce phénomène générationnel.
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Ils ont entre 20 et 35 ans, ont fait des études supérieures, ont un pouvoir d'achat supérieur à la moyenne et ne veulent surtout pas qu'on les traite comme des consommateurs moyens. Les kidults ou adulescents, comme les nomme Corinne Maillet dans son livre Le marketing adulescent, n'ont pas fini de faire couler de l'encre et les marques de s'y intéresser. D'où vient ce phénomène ? Quel est son avenir ? Que veulent ces consommateurs et comment le marketing y répond ? L'analyse de Corinne Maillet.

 

Le marketing adulescent
 

Le marketing adulescent, par Corinne Maillet (Village Mondial 2007)

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Quelle évolution avez-vous remarquée depuis la première édition de votre livre en octobre 2005 ?

Corinne Maillet. En 2005, nous observions le début du phénomène adulescent, en terme de marketing, avec des produits au design proche de celui du jouet, très simple. Et de produits adulescents éparses, nous sommes passés à une consommation de masse en 2007. Les grandes marques s'y mettent. Danone a lancé ses yaourts "Les deux vaches", à un prix assez élevé et au design enfantin, en misant sur le buzz et en évitant la publicité traditionnelle. Un marketing alternatif permet ainsi aux consommateurs de parrainer une vache sur le site web de la marque pour cinq euros et de recevoir des nouvelles de sa part.

 

Qui sont les adulescents ?

Je pense que le terme adulescent qualifie mieux une attitude qu'une appartenance sociologique. Il s'agit de jeunes entre vingt et trente-cinq ans qui sont pris entre les obligations de l'âge adulte et la nostalgie de l'enfance. Dès les années 1980, le psychanalyste Dan Kiley les décrivait dans le syndrome de Peter Pan. Nés en partie de la crise économique et de l'éclatement de la cellule familiale, les adulescents ont besoin d'oublier les tensions qui pèsent sur eux. Dans les années 1990, une communauté se forme et s'identifie par ses achats (consoles de jeux, etc.).

 

Que cherchent-ils ?

Aujourd'hui, le phénomène se concentre dans les milieux urbains. Les adulescents ont des revenus supérieurs à la moyenne et ne veulent pas être considérés comme des consommateurs moyens. Au contraire, ils prennent plaisir à se penser comme des trend setters - créateurs de tendances -, veulent rester dans le coup, affectionnent la mode, les produits de marque et les séries limitées dessinées par de grands noms. Ils achètent des produits pour leur valeur émotionnelle, leur touche ludique ou encore le côté détourné des objets pour enfant. Comme l'a dit Robert Ebguy, avec qui j'ai travaillé pour ce livre, "Les adultes cherchent à s'offrir une récrée dans leur quotidien".

 

"Leur statut de trend setters les pousse à faire de la publicité autour d'eux"

Comment les marques s'y prennent-elles pour les aborder ?

En terme de communication, l'accent est mis sur l'événementiel. On a vu se développer spontanément les Flash mob, événements organisés au dernier moment et sans but réel. Les gens se retrouvent par exemple un dimanche après-midi sur les Champs Elysées, tous habillés d'un pull vert, font la ola et s'en vont. Voilà ce que les jeunes aiment.

D'un autre côté, les personnages de bandes dessinées ou du genre Hello Kitty ont la cote. En 2005, la campagne de publicité de Bourgeois reprenait les Potatoes people au dessin rudimentaire, personnages amusants créés par Geneviève Gauckler. Ce qui va à contre courant de ce que fait L'Oréal qui affiche des mannequins ou des actrices. Depuis leur création en 2001, les Gloobiboulga nights, dont la mascotte est le fameux Casimir, réunissent à chaque fois 20.000 personnes. Diffusion d'extraits de dessins animés, clips où tout le monde se met à chanter et distribution de Nuts animent la soirée.

Les marques proposent aussi des produits qui font appel aux souvenirs d'enfance. L'un des modèles de la collection Smart Fortwo en série limitée a été habillé par Jean-Charles de Castelbajac comme un bébé, avec nounours, sac et porte-clés assortis. Sans parler du best seller de cet été : le cahier de vacances pour adulte.

 

Quel est l'intérêt des marques à cibler cette population ?

Leur pouvoir d'achat certainement. Néanmoins il s'agit d'une véritable niche de consommateurs, aux achats encore ponctuels. Bien que les produits leur soient vendus plus chers que la moyenne, cela reste une cible restreinte. Leur statut de trend setters les pousse cependant à faire de la publicité autour d'eux pour les produits qu'ils aiment. Une publicité gratuite ! Et un moyen de se différencier, ce qui est important pour les marques. Un autre intérêt est de toucher deux générations en même temps : adultes et enfants. C'est le marché du cross over, comme en témoignent les livres de Harry Potter ou le film Shrek qui plaisent autant aux deux générations. L'éditeur de Harry Potter, qui avait prévu deux couvertures aux dessins différents et adaptés à chaque génération, s'est finalement rendu compte que seule celle destinée aux enfants plaisait aux deux générations.

 

"Un autre intérêt est de toucher deux générations en même temps, adultes et enfants"

Quels sont les erreurs à ne pas commettre quand on s'adresse aux adulescents ?

D'abord, ne pas s'adresser à eux comme à des enfants. Ensuite, communiquer avec un mode adulescent sur des produits qui n'évoquent pas un souvenir d'enfance. Ainsi, Renault a fait pour sa Modus une campagne sur le thème "Grandir, pour quoi faire ?" avec un petit personnage qui éclaboussait l'affiche. Mais cela n'a pas fonctionné car le produit ne s'adresse pas aux adulescents et n'a pas la valeur émotionnelle que pourrait avoir peut-être la Beetle.

 

Ce phénomène a-t-il de l'avenir ?

Au début, dans les années 1980, nous avons pensé à un phénomène de mode et nous nous sommes rapidement rendus compte du contraire. La preuve en est, qu'aujourd'hui, des produits conçus spécialement pour les adultes apparaissent sur le marché. Bien sûr, le phénomène évoluera mais sera toujours présent car l'évolution de la société fait que les gens ont de plus en plus besoin de recréer du lien émotionnel. Et l'enjeu des marques est d'adapter leurs produits dans ce sens.

 

 
Le parcours de Corinne Maillet
 
  Diplômée de l'ESCP-EAP avec une spécialisation en marketing et finance, Corinne Maillet est actuellement analyste financière chez Lehman Brothers à Londres, sur le secteur des biens de grande consommation.  


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