Interview
 
30/01/2008

Eric Singler (In Vivo) : "Le défi pour que le packaging soit performant est de plus en plus compliqué"

Forme, couleur... Qu'est-ce qui fait qu'un packaging est efficace ? Qu'est-ce qui dicte l'acte d'achat chez le consommateur ? Les réponses du fondateur d'In Vivo.
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Quel sera le packaging de demain ? Comment se différencier auprès des consommateurs de plus en plus sollicités ? Récompensé en décembre 2007 par l'Académie des sciences commerciales pour son ouvrage Le packaging des produits de grande consommation, Eric Singler, co-fondateur d'In Vivo et spécialiste du packaging des produits de grande consommation, a répondu à une douzaine de questions sur le sujet lors d'un chat.

 

Qu'est-ce qui distingue un packaging de produit de grande conso et un autre ?

Eric Singler. Un packaging de produit de grande consommation doit convaincre très rapidement l'acheteur potentiel : les informations doivent donc être très simples. Au contraire, un produit qui est acheté avec plus d'attention peut être plus complexe et présenter de nombreuses informations.

 

Le packaging des produits de grande consommation (Dunod 2006)
 
 

Comment optimiser un packaging ? En termes de coût et d'efficacité ?

En terme d'efficacité, il faut chercher à répondre à trois objectifs majeurs : être vu, être compris instantanément et proposer un bénéfice convaincant par rapport à la concurrence. En terme de coût, un packaging doit être considéré comme un investissement et donc jugé sur sa capacité à répondre aux objectifs assignés, au meilleur coût. Pour être compris instantanément, il faut chercher à utiliser peu de signes et d'informations, mais que ceux-ci soient très forts visuellement et soient instantanément et facilement décodés par un shopper très pressé. Tous les grands packagings sont simples mais très forts : Ariel, Carte Noire, Milka, Bonne Maman, Activia…

 

Auriez-vous des idées ou conseils pour être aujourd'hui visible dans l'univers soft drinks malgré la forte présence de Coca-Cola ? Comment innover à l'intérieur de ce linéaire ?

D'une manière générale, pour capter l'attention des consommateurs très rapides dans leur process de décision, il faut chercher à être en rupture visuelle par rapport à l'environnement concurrentiel dans lequel on se situe : une couleur inutilisée, un nouveau matériau, une nouvelle forme... C'est plus facile à dire qu'à faire et c'est pourquoi de nombreux produits ont très peu d'impact visuel en linéaire. Là encore, certains produits leaders y sont parvenus : Nestlé Dessert en chocolat ou le Café Les origines de Jacques Vabre avec leur papier kraft ; Actimel avec sa forme de bouteille ou Fructis avec sa couleur verte dans l'univers des shampoings.

 

 
Eric Singler, fondateur d'In Vivo. Photo © Marie Bruggeman / JDN
 

Quelles sont les tendances en France et à l'étranger ? Y a-t-il des entreprises ou des pays pionniers en matière de packaging ? Lesquels ?

La mondialisation est là aussi à l'oeuvre puisque les grands fabricants de produits de consommation courante sont tous des acteurs mondiaux : Procter, Nestlé, Danone, Unilever, L'Oréal, Kraft... Il y a donc plus de proximité d'un pays à l'autre que de différences. Il en est de même des grandes agences de design comme Landor qui intervient dans tous les principaux pays. Il en résulte beaucoup de similitudes même si des pays comme l'Angleterre, les Etats-Unis et le Japon sont considérés comme étant à la pointe en matière de design. Mais en grande consommation, l'innovation est difficile car les consommateurs sont souvent conservateurs et les contraintes financières importantes. Par exemple, une forme vraiment nouvelle va souvent à l'encontre des contraintes des distributeurs qui cherchent à mettre un maximum de produits dans l'espace limité du rayon. Les contraintes logistiques, qui exigent un transport le moins coûteux possible sur des palettes très standardisées, rendent également difficile une innovation véritablement de rupture.

 

Je souhaite exporter des produits à l'étranger. Faut-il forcément adapter le packaging aux cultures existantes en dehors, bien sûr, de la traduction ? Y a-t-il un moyen de réduire les frais même si je multiplie les pays ?

L'adaptation est nécessaire si l'environnement concurrentiel est très différent d'un produit à l'autre. Par exemple, si la majorité de vos concurrents en France présente un code couleur bleu et que vous êtes rouge, l'impact visuel sera sans doute élevé. En revanche, si le code dominant dans un pays étranger est le rouge, votre produit risque de passer inaperçu. L'adaptation a un coût qu'il faut savoir payer si l'on veut être performant dans chaque pays.

 

"Les Français sont peu prêts à faire des concessions sur les avantages même si c'est au bénéfice de l'environnement"

Sur quoi se base la décision d'achat du consommateur pour tel ou tel produit ?

Pour les produits de grande consommation, les acheteurs ne veulent pas se prendre la tête et perdre du temps alors qu'ils considèrent que les produits se valent tous de plus en plus. Ils automatisent donc beaucoup leur processus de décision en achetant par exemple leur produit habituel, ou les produits en promotion, ou les produits de marques de distributeurs... Mais dans chaque catégorie de produit, les critères de choix pour un même consommateur peuvent être différents : par exemple je peux choisir uniquement en fonction du prix pour les essuie-tout et en fonction de la marque pour les produits coiffants. D'une manière générale, plus on perçoit un risque dans le produit acheté et plus on choisira une grande marque. Dans le cas inverse, on choisira en fonction du prix.

 

 
Photo © Marie Bruggeman / JDN
 

Comment évoluent les comportements d'achat ces dernières années ?

Le plus frappant, c'est la rapidité croissante du processus de décision. Les consommateurs ne veulent pas perdre un temps qu'ils perçoivent comme limité à faire des tâches qu'ils considèrent comme des corvées. Les acheteurs sont donc de plus en plus rapides alors que le nombre de produits dans les grandes surfaces est de plus en plus important : le défi pour que le packaging soit performant est de plus en plus compliqué.

 

Va-t-on vers du zéro emballage ?

Pour le zéro emballage, c'est compliqué car les consommateurs se disent à la fois très favorables à l'environnement d'une manière générale, et donc à la suppression des emballages, mais ils veulent aussi avoir des produits bien protégés pour qu'ils soient les meilleurs possibles. Pour l'instant les Français sont peu prêts à faire des concessions sur les avantages même si c'est au bénéfice de l'environnement.

 

"Le vrac renvoie à une image d'authenticité et de prix bas, mais c'est également la non marque et l'absence de différenciation"

Faut-il exploiter la veine écolo ?

Ce qui est clair, c'est que la préoccupation environnementale se développe très fortement. Il peut donc être intéressant pour les entreprises de surfer sur cette dimension pour bénéficier d'un moteur à l'achat supplémentaire en leur faveur. Mais les consommateurs sont maintenant très mâtures et cela ne marchera - et tant mieux - que s'il s'agit non pas d'exploiter "la veine écolo" mais d'avoir un véritable engagement qui se traduit concrètement au travers des offres ou de la politique produit.

 

Que pensez-vous des magasins tels que Biocoop qui vendent en vrac ? Le système a-t-il de l'avenir ?

Le vrac renvoie à une image d'authenticité et de prix bas : cela peut donc être une bonne stratégie pour une enseigne qui cherche à s'approprier de telles valeurs. Mais le vrac, c'est également la non marque et l'absence de différenciation, d'où un problème potentiel si l'on cherche à communiquer un message plus spécifique au travers du packaging.

 

 
Photo © Marie Bruggeman / JDN
 

Le e-commerce se développe et change la donne quant à la perception de l'emballage visible seulement en 2D sur un écran d'ordinateur. Faut-il en tenir compte ? Comment ?

Le e-commerce change radicalement la donne du packaging qui est moins une dimension centrale de l'achat dans ce circuit qu'il ne l'est dans les grandes surfaces. L'achat en ligne est plus rationnel : généralement on choisit moins devant l'écran qu'on ne cherche à repérer le produit que l'on veut. Le fait que le pack ne soit, pour l'instant, qu'en 2D n'est pas un vrai problème.

 

Quels sont vos packagings ou initiatives préférées ?

En tant que praticien, j'aime les packagings efficaces : ceux qui optimisent les ventes du produit au travers d'un code très spécifique. Par exemple : Nestlé Dessert ou Activia.

 

Le packaging de demain ?

Avec l'évolution des technologies, je pense que le packaging de demain sera de moins en moins standardisé tout en étant très simple. Et être très simple tout en étant très attractif, c'est l'ultime complexité ! Je pense que les usines arriveront à produire des petites séries très adaptées aux attentes spécifiques de micro cibles, tout en étant rentables grâce à des technologies de fabrication très performantes. Mais peut être que ces développements passeront plus par Internet que par la vente en magasin traditionnel.

 

En savoir plus www.invivo-marketing.com

 
Le parcours d'Eric Singler
 
  Co-fondateur et dirigeant d'In Vivo European marketing research, société récemment rachetée par BVA, Eric Singler intervient depuis près de 20 ans pour conseiller les responsables marketing des plus grandes marques mondiales. Tout au long de sa carrière, il a développé une expertise des problématiques liées au packaging dans le domaine de la grande consommation. Il a été récompensé en décembre par l'Académie des sciences commerciales pour son ouvrage Le packaging des produits de grande consommation (Dunod 2006).  


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