Protéger son idée

C'est l'une des grandes craintes du créateur : se faire voler son idée. Il n'est pas toujours possible d'obtenir un titre de propriété industrielle ni d'être protégé par un droit d'auteur. Dans ce cas, une seule solution : préserver son secret. Par Marie-Christine Cimadevilla, avocate au Barreau de Paris.

Les créateurs d'entreprise sont pleins d'idées. Idées de produits, de conditionnement, de méthodes de commercialisation et bien d'autres. Dans le même temps, l'entrepreneur qui recherche des financements, des partenaires ou des débouchés doit exposer ses idées et convaincre de leur potentiel économique. Comment s'assurer que ces interlocuteurs ne s'emparent pas de l'idée ou qu'ils ne la diffusent pas par simple négligence ? Il n'y a pas de mécanisme juridique de protection des idées ou des concepts, mais des solutions existent. Pour cela, il faut procéder par étape :

1re étape : évaluer mon idée

- Quelle est l'originalité de mon idée : dans quelle mesure est-elle innovante, comment se distingue-t-elle des connaissances mises à la disposition d'un public averti ?
- A quel stade de développement en est-elle : peut-elle être immédiatement mise en œuvre ou doit-elle faire encore l'objet d'études complémentaires ?
- Quelle est sa potentialité économique : quelle valeur ajoutée apporte-t-elle au processus auquel elle s'applique ? Dans quelle mesure est-elle utile, ou encore dans quelle mesure améliore-t-elle la situation concurrentielle de celui qui peut l'exploiter ?
- De qui dois-je me protéger : qui peut avoir connaissance, directement ou indirectement, de mon idée, qui peut en avoir l'utilité ou qui peut me nuire ?
Cette évaluation vous permettra de déterminer, d'une part, le type de protection adéquat, d'autre part, le budget qu'il est raisonnable d'allouer à cette protection.

2e étape : puis-je obtenir un titre de propriété industrielle ?

Les titres de propriété industrielle permettent de bénéficier, par la voie d'une publication, d'un monopole d'exploitation sur un territoire donné, pendant une durée déterminée.
- Protection par un brevet d'invention
Le brevet permet de protéger, en France, sur le territoire de l'Union européenne ou internationalement, pendant 20 ans, toute innovation de produit ou de procédé, à la condition que celle-ci soit, cumulativement, conforme à l'ordre public et aux bonnes mœurs, inventive, nouvelle et susceptible d'application dans l'industrie ou dans l'agriculture.
Attention, toutes les innovations ne sont pas protégeables par un brevet d'invention. Ainsi, les théories scientifiques, les méthodes mathématiques, les créations esthétiques, pour l'instant les programmes d'ordinateurs, les présentations d'informations ou les supports pédagogiques ne sont pas brevetables.
- Protection par les dessins et modèles
Les dessins et modèles protègent l'apparence, c'est-à-dire les lignes, les contours, les couleurs, la forme, la texture ou les matériaux, d'un produit ou d'une partie de celui-ci. Pour être protégeable, la création doit être apparente, donc visible et concrète et matériellement réalisable. Elle doit être nouvelle et originale et avoir un caractère propre. La protection est accordée pour une durée de cinq ans, renouvelable quatre fois pour la même durée, soit 25 ans au maximum.
- Protection par les marques de fabrique
Les marques de fabrique ne protègent pas les produits mais l'image que l'on peut attacher à un produit ou un service Elles peuvent revêtir des aspects très divers : textes, chiffres, dessins ou combinaisons de couleurs. Pour être protégées, les marques doivent être distinctives, licites et disponibles. Contrairement aux brevets et aux dessins et modèles, la protection par la marque peut être illimitée, à condition de payer les redevances. Là encore, le monopole consenti est territorialement délimité.

3e étape : puis-je être protégé par un droit d'auteur ?

Le droit d'auteur n'est pas un droit de propriété industrielle. Il a la particularité de se composer, d'une part, d'un droit moral attaché à la personne et inaliénable, d'autre part, d'un droit patrimonial qui peut être cédé ou concédé. Le droit patrimonial appartient à l'auteur pendant toute la durée de sa vie, puis à ses héritiers pendant les soixante-dix années qui suivent son décès.
Les logiciels, dont la question de la brevetabilité est en discussion, relèvent actuellement du droit d'auteur.

4e étape : comment protéger le secret de mon idée ?

De nombreuses idées, dont la valeur économique est pourtant certaine, ne peuvent être protégées par un droit de propriété intellectuelle. C'est en particulier le cas de certains processus de fabrication ou de savoir-faire. Dans d'autres cas, l'entrepreneur ne dispose pas des ressources nécessaires pour faire face aux dépenses importantes que représente le dépôt d'une demande de brevet. Parfois encore, l'entrepreneur a intérêt à préserver le secret de son invention. Dans ces hypothèses, seule la préservation du secret de l'idée ou de l'invention est efficace.
Cette préservation doit intervenir à chacune des étapes du développement de l'idée et doit conduire à lier tous les interlocuteurs de l'entreprise innovatrice. Elle conduit à :
- la préparation d'un dossier technique dans lequel on s'efforcera d'identifier la partie la plus secrète, celle qu'il ne convient de dévoiler qu'en contrepartie d'une rémunération et de garanties ;
- la signature avec les collaborateurs de l'entreprise d'un accord de confidentialité, valable pendant la durée du contrat comme postérieurement à sa résolution et à la mise en place d'un système interne de contrôle ;
- la signature systématique d'un accord de confidentialité avec tout partenaire, même potentiel.
Cet accord de confidentialité doit imposer la préservation du secret, y compris, et d'ailleurs surtout, en cas de rupture de pourparlers ou de rupture du contrat.
Lorsque les pourparlers conduisent à un accord impliquant la révélation de l'idée ou de l'invention, il faut impérieusement imposer à son partenaire de circonscrire très étroitement la communication du secret à ses propres collaborateurs ou partenaires et à imposer à ceux-ci la préservation du secret.
Enfin, dans certaines opérations de transfert de technologie ou de savoir-faire, un mécanisme de contrôle de la préservation du secret, éventuellement par un tiers, doit être impérieusement mis en place.

En conclusion

Protection territoriale par une publication ou protection par le secret, le choix, lorsqu'il n'est pas commandé par l'impossibilité de bénéficier d'un titre de propriété industrielle, doit se faire après avoir soigneusement évalué l'idée que l'on entend protéger.
Surtout, à l'heure où la concurrence et les marchés sont mondiaux, il importe de déterminer les territoires sur lesquels cette protection doit être assurée. Le droit des brevets, le droit des marques et le droit des dessins et modèles permettent, grâce aux règles de l'Union européenne ou aux traités internationaux, une protection territoriale très large. Mais il faut y penser à temps et cette protection a un coût.
La préservation du secret par des accords de confidentialité doit toujours être envisagée sur un plan transnational.
Attention, l'Accord relatif aux aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent le commerce (ADPIC), conclu dans le cadre de l'OMC et qui protège les renseignements non divulgués, ne fait pas échec à des dispositions d'ordre public étrangères qui, par exemple, limiteraient l'effet dans le temps des interdictions de divulgation du secret.

Et le récent projet de directive européenne, qui donne une définition commune du secret des affaires pour mieux protéger les victimes d'appropriations illicites, ne suffira pas.
Dans cette perspective, les contrats portant sur la préservation ou la concession d'idées sont délicats à négocier, à rédiger et à suivre. Il importe alors de trouver des solutions véritablement adaptées, qui prennent en considération l'environnement juridico-culturel de son partenaire et qui prévoient, outre la loi applicable, des mécanismes de règlement des litiges efficaces, rapides et d'un coût raisonnable.

Marie-Christine CIMADEVILLA, avocat au Barreau de Paris, dirige un cabinet dédié au droit français et international de l'entreprise, qui intervient en conseil et contentieux pour une clientèle de sociétés françaises et étrangères. Depuis plus de 20 ans, elle conseille et accompagne des entrepreneurs innovants, de la phase de démarrage jusqu'à celle de l'internationalisation. Elle participe activement à plusieurs groupes de travail en droit transnational des affaires et des nouvelles technologies. Contact : cimadevilla@wanadoo.fr