Congés illimités : le rêve ? Pas sûr

Congés illimités : le rêve ? Pas sûr Certaines entreprises comme Netflix ou Evercontact offrent à leurs employés des vacances à la carte. Seulement, ce système n’est peut-être pas aussi "cool" qu’il y paraît.

"Netflix a une culture de liberté et de responsabilité", clame sur son blog Daniel Jacobson, vice président de l'entreprise américaine de vidéo à la demande."Nous sommes tous des adultes. Agissons comme tels. C'est dans cet objectif que nous avons mis en place le système de congés illimités". Né dans la Sillicon Valley, ce système commence à pointer le bout de son nez dans l'hexagone.

Une entreprise française s'y est mis

Philippe Laval, patron de la start-up française de mise à jour automatique des carnets d'adresses Evercontact, a importé cette pratique dans son entreprise il y'a un peu plus de trois ans. Chez Evercontact, tous les collaborateurs doivent gérer des projets d'envergure. Il lui paraissait donc naturel qu’ils puissent aussi prendre la clef des champs quand bon leur semble. "Avec ce système, plus d'hésitation à aller chercher les enfants à 16 heures et de retourner au bureau ensuite", souligne le dirigeant.

"Les employés prennent en moyenne sept semaines de vacances chaque année, ce qui correspond à un bon accord de RTT"

Derrière l'importance accordée au facteur humain, les congés illimités seraient une manière de faire aboutir des projets sans entrave. "Nous avons, par exemple, sorti un produit, from scratch, c’est-à-dire à partir de zéro, en un mois. La dernière semaine, tous les salariés impliqués sur ce projet ont travaillé de 9 heures à 23 heures", explique Marc Terrasson, développeur chez Evercontact. "La semaine qui a suivi, j’ai pris mon vendredi. Entre mon arrivée en juin et le mois d’août, j'avais déjà pris deux semaines de congés. Ça n’aurait pas été possible dans une autre entreprise". Selon le cadre, cet avantage est un signe de reconnaissance qui lui apporte beaucoup de sérénité et qui lui permet de travailler de manière plus efficace.

Contrairement à certaines idées reçues, les salariés n'abusent pas du système. "Les employés prennent en moyenne 7 semaines de vacances chaque année. Cela correspond à un bon accord de RTT", précise Philippe Laval. Cette politique est accompagnée d'autres mesures pour instaurer un certain esprit différent des entreprises françaises traditionnelles. Ainsi, chez Evercontact, il n’y a pas de prime individuelle, mais une prime collective.

A première vue, le dispositif  serait donc profitable aux salariés, qui se sentent reconnus et sereins. De son côté, l'entreprise bénéficie de collaborateurs impliqués, prêt à donner un "gros coup de collier" lorsque c'est nécessaire.

Mais alors, pourquoi si peu d'entreprises sautent-elles le pas ?

En réalité, derrière une visée bienveillante, les congés illimités ont une face sombre. "En fait, le système de congés illimités est plutôt un moyen de ne pas avoir à payer les jours de congés non pris. Ils donnent une impression de boîte cool à moindre frais", confie le patron d’une start-up européenne implantée dans la baie de San Francisco.

"Certains collaborateurs, de peur d'être jugés, ne prennent pas de congés"

De plus, ce dispositif aurait tendance à effrayer certains collaborateurs. "Aux Etats-Unis, les employés qui ont droit aux congés illimités prennent deux semaines de vacances en moyenne. Dans la pratique, beaucoup n'en prennent pas de peur d'être perçus comme des profiteurs", explique Laetitia Vitaud, experte associée en ressources humaines chez WillBe Group, également employée par une société de la Silicon Valley dont elle préfère taire le nom.

Un autre risque peut survenir pour les salariés bénéficiant de congés illimités : l'invasion du travail dans la sphère privée. "Au bureau, on ne va pas hésiter à passer un coup de fil à notre banque. Inversement, chez soi, on peut boucler un dossier le soir", étaye la spécialiste.

Pourtant, Laëtitia Vitaud n'est pas foncièrement hostile à cette politique qui est aussi celle de son employeur américain. "C’est une révolution qui permet de prendre en compte notre besoin et notre bien-être. Par exemple, cette année, je pense prendre cinq semaines de vacances car j'ai des enfants".

Un privilège pour les Etats-Unis, un dû pour la France. Dans l’Hexagone, il existe en effet une multitude de congés, parfois méconnus, que les salariés peuvent cumuler avec les congés payés et les RTT traditionnels : congé de présence parentale, congé de solidarité familiale ou encore congé pour enfant malade…    

Selon Laëtitia Vitaud, les salariés français n’ont aucun intérêt à adopter le système de congés illimités: "Changer pour un système moins rigide, voudrait dire moins de vacances". De toute manière, en France la législation du travail est différente des Etats-Unis, rend difficile une importation du système.

Difficilement compatible avec le droit français

Sans modification du Code du travail, une entreprise mettant en place des congés illimités risquerait de se mettre en délicatesse avec le droit du travail. "Certains salariés pourraient se retourner contre leur entreprise et saisir les prudhommes au motif que tout le monde n’a pas le même temps de vacances", indique une responsable des ressources humaines de l’un des plus grands cabinets de conseil. 

A l'heure actuelle, rien n'interdit  formellement de mettre en place un système de congés illimités dans les entreprises françaises. "Mais ceux qui le font risquent gros", pointe la responsable. C'est un problème dont Philippe Laval a bien conscience. "Dès le départ, nous expliquons clairement la situation à nos employés. Lorsqu'ils signent c'est en toute connaissance de cause. Mais on peut se retourner contre nous. Si un salarié s'en va en disant qu'il n'a jamais pris de vacances, nous lui devrions des jours de congés", analyse-il. "Mais nous finirions sûrement par prouver notre bonne foi, ne serait-ce que par les articles que nous avons eus dans la presse", positive-il

"Des salariés pourraient se retourner contre leur entreprise au motif que tout le monde n'a pas le même temps de vacances"

D'ailleurs, aux Etats-Unis, le système de congés illimités est également susceptible d'être hors la loi. En novembre 2014, Tribune Company (qui possède le LA Times et le Chicago Tribune) a ainsi fait marche arrière une semaine après la mise en place du système. L'entreprise était sous la menace d’une action en justice de ses salariés, car il n’était pas prévu de compensation financière pour les congés non utilisés.

Pourtant, en France, les sociétés, notamment dans le secteur du numérique, aimeraient bénéficier de plus de souplesse dans la répartition des congés pour répondre aux besoins des clients qu’il faut satisfaire instantanément. "Pour elles, ce serait aussi un moyen d'attirer les hauts potentiels en se distinguant. C'est très important dans un système où les entreprises se battent pour débaucher les meilleurs", estime Laetitia Vitaud.