La France, terrain de jeu rêvé des start-up de e-RH ?

La France, terrain de jeu rêvé des start-up de e-RH ? Héritage culturel, volonté politique, grands groupes innovants… L'Hexagone a bien des atouts. Mais plusieurs barrières restent à lever pour faire de l'écosystème e-RH français un véritable eldorado.

197 millions d'euros. C'est la somme récoltée par les start-up de e-RH françaises sur les six premiers mois de l'année 2018, selon le baromètre des levées de fonds du JDN. Un chiffre élevé, puisque le secteur avait levé 141 millions d'euros en 2017. La e-RH française se porte donc bien. "La France a un peu de retard sur la SIRH et sur les jobboards spécialisés notamment en matière de freelances mais nous le comblons à toute vitesse", explique Charles Thomas, PDG de la plateforme Comet qui met en relation profils tech indépendants et entreprises. "La France fait office de locomotive en matière de formation et de solutions dédiées au bien-être au travail. Globalement, la France est depuis cinq ans un terreau dynamique", observe Jérémy Lamri, président du Lab RH, la fédération des start-up d'e-RH.

"La France possède une tradition de pays humaniste, philosophe, hédoniste qui se questionne sur le sens du travail"

La première raison de ce succès tiendrait dans une appétence culturelle de l'Hexagone pour les sujets liés au monde du travail, selon nos interlocuteurs, ce qui par ricochet incite les entrepreneurs à se lancer sur cette thématique. "Je crois beaucoup au lien entre culturel et entrepreneuriat. Or, la France possède une tradition de pays humaniste, philosophe, hédoniste qui se questionne sur le rôle du bonheur au travail, sur la quête de sens", expose Samuel Métias président de Happy Tech, collectif de start-up spécialisées dans le bonheur au travail. Jérémie Lamri partage ce sentiment : "Il y a chez nous une vraie volonté culturelle d'apporter un œil humain et long-termiste à l'entreprise, contrairement à la culture anglo-saxonne davantage centrée sur la performance de court terme".

Avantage non négligeable, les aides et protections françaises. "Quoi que l'on en pense, la France est en avance socialement par rapport à d'autres pays. Les salariés ont par exemple droit au CPF pour financer leur formation, à des dispositifs pour se reconvertir et même si le burn out n'est pas encore reconnu par la loi, les entreprises ont conscience de la problématique", analyse Jérémie Lamri. Voilà pourquoi selon lui, la France est en avance par rapport aux autres pays en matière de formation digitale ou de solutions pour améliorer les conditions de travail.

Plan Indépendants, réforme de la formation sont des aubaines pour les start-up de e-RH

Et selon les professionnels, les dernières réformes relatives au droit du travail ne feront qu'accentuer cette avance. "Le plan indépendants qui va inciter davantage de personnes à devenir freelance ou la réforme de la formation professionnelle qui va rendre les Mooc éligibles au CPF sont autant de mesures qui constituent des opportunités magistrales pour nos start-up", se félicite Samuel Métias. "Je ne suis pas là pour juger la pertinence des réformes menées par l'actuel gouvernement. Ce qui est certain, c'est qu'elles ouvrent des portes aux entrepreneurs d'e-RH qui peuvent se développer sur un marché intérieur dynamique", témoigne Jérémy Lamri.

Au-delà des réformes, il semblerait que le discours axé "start-up nation" ait permis de changer le regard des décideurs économiques sur les jeunes pousses. Yannick Petit, cofondateur du concepteur de Mooc Unow peut en témoigner : "Ce type de sémantique change symboliquement les regards de grands groupes qui nous voyaient parfois comme des animaux fragiles et qui maintenant recherchent ouvertement la coopération pour gagner en agilité".

"Pour une start-up, il est facile de travailler avec un groupe du Cac 40"

Tant mieux puisque selon les acteurs du secteur, l'ouverture d'esprit des groupes du Cac 40 est un facteur qui explique le succès de la scène e-RH. Charles Thomas se dit "impressionné de voir comme les entreprises du Cac 40 se digitalisent. Elles ont des CDO, une direction digitale et se mesurent à d'autres groupes internationaux qui eux aussi se digitalisent à tout va. Ils font donc massivement appel aux start-up et sont prêts à lancer de nouveaux projets. Surtout en matière de ressources humaines qui constituent une direction vraiment ouverte au changement". Rien d'étonnant donc à voir que plus de la moitié des 34 adhérents de Happy Tech comptent les groupes du Cac 40 parmi leurs clients. En plus d'assurer de l'activité, ils permettent de respectabiliser les start-up qui peuvent plus facilement essaimer dans les PME et les ETI.

"Lorsqu'un fonds français mettra 500 000 euros dans une start-up de e-RH son homologue américain misera cinq millions"

Même si l'Hexagone a bien des atouts à faire valoir, il n'est pas pour autant une terre promise. Pour qu'il le devienne, plusieurs écueils doivent être levés. Selon les spécialistes de l'e-RH, le premier est lié à l'attitude des grands groupes qui sont certes ouverts à l'innovation mais ont encore trop tendance à fonctionner en silo. Comme le résume Yannick Petit : "Pour une start-up, il est facile d'entrer dans un groupe du Cac 40". Pour déployer la solution dans tous les services du groupe, c'est une autre paire de manche. "C'est un fait, les grands groupes sont ouverts aux expérimentations. En revanche, la complexité décisionnelle est telle que le déploiement à grande échelle est ardu. Il est vrai que la digitalisation de certains process RH ou managériaux demande un certain budget, peut générer des idées reçues, bousculer des codes établis. Cela peut poser des soucis dans des multinationales qui restent malgré tout très hiérarchisés", précise Jérémy Lamri.

Le principal point noir reste toutefois la méfiance des investisseurs. "Lorsqu'un fonds français mettra 500 000 euros dans une start-up d'e-RH, son équivalent américain misera cinq millions", note Samuel Métias. Pour lui la situation n'est pas liée à un manque de capital mais à une frilosité des business angels tricolores : "Ils sont bien souvent demandeurs de KPI quantitatifs. Or en e-RH, les KPI peuvent être qualitatifs dans un premier temps. C'est le cas pour la mesure du bien-être au travail. Les pays anglo-saxons sont plus ouverts à ces indicateurs". Un avis partagé par son homologue du Lab RH : "Investir demande une part de risque, qui peut être quantifié. L'e-RH comporte en plus une part d'incertitude. Et les capitaux-risqueurs français ont une forte aversion pour l'incertitude". La preuve, à l'échelle mondiale la plus grosse levée de l'année 2018 a été pour le moment réalisée par le concepteur de Mooc français OpenClassrooms qui a levé 51 millions d'euros en mai. Notamment grâce au fonds américain General Atlantic…