Anne Mercier-Gallay (BPCE) "Chez BPCE, nous développons des techniques de recrutement à distance"

Bouleversement des métiers, modernisation de la formation, développement de la marque employeur... La DRH du groupe bancaire détaille son plan pour affronter les défis qui l'attendent.

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Anne-Mercier Gallay. © BPCE

JDN. Pour François Pérol, "la banque de détail en France ne sera pas un recruteur net dans les années qui viennent". Comment s'orientent vos recrutements ?

Anne Mercier-Gallay. Notre volume de recrutements est un peu en baisse mais nous continuons à recruter. Il y a quatre ou cinq ans, nous recrutions entre 4 000 et 5 000 personnes dans le groupe chaque année. Aujourd'hui nous sommes plutôt entre 3 000 et 4 000. C'est vrai, nous sommes beaucoup plus prudents en termes de recrutements mais nous n'avons pas de réduction massive d'emplois prévue dans les années à venir. Notre plan stratégique a posé le principe de ne pas remettre pas en cause le nombre de nos agences qui constituent le gros de nos effectifs.

Quelle sera l'évolution à moyen terme ?

Je ne me prononcerai pas sur le volume car il est toujours compliqué de se projeter, mais par contre les profils recrutés vont certainement changer. Sur les 3 000 recrutements annuels, nous accueillons aujourd'hui environ 60% de juniors que nous formons principalement au métier de commercial. Ce qui se dessine, c'est que nous allons progressivement chercher des profils plus expérimentés, et plus d'experts sur des fonctions comme le contrôle, les risques...

"Nous allons chercher des profils plus expérimentés"

Cette évolution dans la typologie des profils recherchés modifie-t-elle vos méthodes de recrutement ?

Le digital nous pousse à réinventer nos techniques de recrutement. Aujourd'hui, les candidatures ne se trouvent plus forcément grâce aux candidatures spontanées. Il faut aller chercher les candidats sur les réseaux sociaux, dans le monde digital. Nous commençons à développer des techniques de recrutement à distance grâce aux nouvelles technologies. Nous les avons testées avec les candidats en situation de handicap, qui ont des problèmes de mobilité, et cela marche très bien. Nous allons désormais l'expérimenter pour les jeunes diplômés. Cela ne remplacera pas l'entretien d'embauche, mais c'est une phase de pré-sélection qui permet, à distance, de se rencontrer, de se connaître, d'avoir un premier feedback et ainsi d'être plus efficace.

Les agences bancaires seront pérennisées mais le métier évolue : digitalisation, nouvelles méthodes de travail... Comment accompagnez-vous ces bouleversements ?

La première action, c'est  d'avoir une vision claire de ce que seront les métiers de demain. Nous avons mis en place des observatoires où, avec nos partenaires sociaux, nous travaillons sur le métier d'aujourd'hui et ses principales évolutions. Le digital a un impact fort sur les métiers : un conseiller commercial restera un conseiller commercial. Ce qui va changer, c'est la façon dont il va exercer son métier : la plupart des opérations courantes que le client venait faire en agence se fera à distance. Le  conseiller commercial doit avoir connaissance de ces opérations faites par le client, et maitriser les outils permettant d'accéder à l'information en temps réel. Il faut ensuite travailler sur son expertise métier relative aux opérations plus complexes, car le client qui vient en agence exige un conseil plus pointu.

"Nous investissons plus de 5% de la masse salariale dans la formation"

Quelles sont les implications sur la formation ?

C'est un investissement très important. Au sein du groupe BPCE nous investissons plus de 5% de la masse salariale dans la formation. Ici encore, nous privilégions le digital, en particulier les classes virtuelles. Depuis son poste, le salarié participe à une classe, avec d'autres collaborateurs également connectés : il a un professeur en ligne et il réagit, il converse comme dans un cours classique... Grace au digital nous avons aujourd'hui des outils aussi efficace que des formations classiques en présentiel.

Combien de salariés suivent chaque année des formations dans le groupe?

80%. S'agissant des classes virtuelles, nous avons formé 14 000 salariés l'année dernière, nous ciblons 28 000 cette année et 40 000 en 2017. Nous avons une tradition de formation très forte au sein du groupe. Toutes les entreprises du groupe BPCE développent leurs propres programmes et, quand nous le pouvons, nous essayons de mutualiser. Les formations sur l'assurance sont, par exemple, développées au niveau du groupe.

BPCE souhaite effectivement se positionner sur l'assurance, métier qu'il confiait jusqu'à présent à la CNP. Allez-vous recruter des salariés de la CNP ?

Vraisemblablement, même si c'est un peu tôt pour en parler. 

Comment se décline votre politique salariale ?

Nous essayons de la rendre attractive. D'abord, les niveaux de salaire fixe sont très cohérents par rapport au  marché. Ensuite, nous motivons nos salariés par des dispositifs de variables liés à la performance. Cela concerne particulièrement les filiales, Natixis et les Caisses d'épargne, un peu moins les Banques populaires qui privilégient un autre système d'incitation : l'intéressement. En termes de rémunération annuelle, les sommes versées sont équivalentes entre les deux enseignes sur la banque de détail.

Recruter des salariés de la CNP ? "Vraisemblablement"

Votre rôle, au niveau du groupe, ne consiste-t-il pas à harmoniser les pratiques, pour éviter les jalousies ?

Dans la mesure où nous arrivons à un package global équivalent, ces différences ne bloquent en rien un sujet qui m'est cher : la mobilité inter-enseignes entre Caisses d'épargne et Banques populaires. Pour nous, un salarié qui intègre une marque du groupe doit pouvoir, s'il le souhaite, travailler au sein d'une autre enseigne. C'est  une priorité. Mais bien sûr, quand nous le pouvons, la philosophie consistera à harmoniser nos dispositifs de rémunération sur le moyen terme, et c'est d'ailleurs déjà réalisé pour les numéros 1 du groupe.

Un salarié passant des Caisses d'épargne aux Banques populaires change de convention collective. Cela ne constitue-t-il pas un frein à la mobilité ?

Non, parce que, schématiquement, avantages et inconvénients s'équilibrent. Il n'y a pas de statut commun - le groupe n'a que cinq ans-, mais une charte de la mobilité encadre ces mouvements : le salarié conserve son ancienneté, n'effectue pas de période d'essai...

Vous avez mis en place un outil, baptisé JUMP (J'ai Une Mobilité Personnalisée), qui établit des référentiels métiers communs. Quelle est son ambition ?

Nous sommes les seuls à avoir mis en place ce dispositif  au niveau d'un grand groupe. Nous avons homogénéisé les intitulés de métier, cartographié les fonctions qui sont proches... L'idée consiste à pouvoir dire au salarié : "Votre évolution de carrière ne dépend pas uniquement de la DRH. Nous vous mettons à disposition toutes les informations sur les passerelles entre métiers, les formations proposées, les postes disponibles, l'évolution de l'emploi... Ensuite, vous êtes libre de candidater."

Rendre les salariés acteurs de leur carrière, cela fonctionne-t-il vraiment ?

Lancé il y a 18 mois, cet outil est extrêmement consulté : 14 000 connexions par jour. Mais des freins à la mobilité perdurent, qui sont de deux ordres. Le premier, c'est que des salariés pensent qu'en candidatant, ils se mettent en situation de risque vis-à-vis de leur entreprise. Il faut que notre ligne managériale soit beaucoup plus ouverte sur ce sujet. Même si les esprits évoluent, il est toujours plus facile de postuler dans sa propre  entreprise que de changer d' d'enseigne...

"Deux mouvements sur trois se font inter-enseignes chez les cadres supérieurs"

Changer d'enseigne, cela s'apparente à passer à la concurrence ?

Une vision de concurrence existe forcément entre les marques, mais elle est en train de s'effacer sur le plan des RH. Depuis que je suis arrivée,  nous avons réalisé un nombre très important de mobilités inter-enseignes pour les dirigeants et les cadres de direction. Aujourd'hui, 30% des numéros 1 du groupe sont passés d'un réseau à un autre ou d'une filiale à un réseau. Concernant les cadres supérieurs, deux mouvements sur trois se font inter-enseignes. L'exemple vient d'en haut et c'est comme cela que cette culture de mobilité se développera. Certes, il faudra un peu de temps mais nous progressons : un poste sur cinq est aujourd'hui pourvu par mobilité interne.

Quel est le deuxième frein à cette mobilité ?

C'est la mobilité géographique, notamment pour les femmes.  Sur ce point  avoir plusieurs enseignes dans une même région constitue une formidable opportunité : cela permet de faire carrière dans différentes entreprises sans avoir à déménager. Depuis un an, nous essayons de raisonner, avec les entreprises, par bassin d'emplois : des comités régionaux réunissent tous les DRH pour développer les mouvements inter-enseignes dans une même région . Et cela commence à marcher.

La marque employeur est devenue un sujet central pour les DRH. Auprès des jeunes diplômés, communiquez-vous sur la marque BPCE ou celles des enseignes ?

BPCE n'est pas une marque, c'est l'organe central du groupe. Nous ne souhaitons pas substituer BPCE aux marques commerciales, ça serait une erreur. Dans toutes les enquêtes, la Caisse d'épargne, les Banques populaires Natixis, la Banque Palatine, sont des marques attractives. Cependant, nous essayons de passer des messages qui nous rassemblent, qui font que nos enseignes partagent une même identité, une même culture RH. Il s'agit de sensibiliser les femmes et les hommes que nous recrutons, au fait qu'ils intègrent certes une entreprise mais également un groupe qui peut être, pour eux, porteur d'opportunités professionnelles.  

Est-ce compatible avec votre volonté de penser la carrière au sein du groupe ?

Au moment de l'embauche, nous disons simplement : "vous intégrez une enseigne et, après, les opportunités dans votre entreprise puis dans le groupe vous seront ouvertes." Les jeunes comprennent cela très bien. C'est d'ailleurs rassurant et stimulant pour eux, même si tous ne souhaitent pas forcément bouger. 

"Chaque entreprise du groupe est équipée de démarches de prévention des risques psycho-sociaux"

Le syndicat Sud alerte sur les suicides dans le groupe. Quelles initiatives avez-vous prises ?

Le sujet des risques psycho-sociaux a été abordé dès la constitution du groupe. Chaque entreprise est désormais équipée de démarches de prévention. Nous n'évitons pas tous les drames mais, du côté de l'employeur nous avons mis les moyens et les démarches pour être en veille et faire  le plus possible de prévention. Nous avons, d'ailleurs, négocié l'année dernière sur le thème de la charge de travail dans les Caisses d'Epargne et un accord a été signé par six organisations syndicales sur sept.

Que comprend cet accord ?

Nous avons négocié des méthodologies pour pouvoir s'assurer que, dans le cadre d'un projet, la charge de travail est cohérente avec les moyens mis à disposition des salariés et éviter que la surcharge provoque du stress, de l'inquiétude. C'est un texte très complexe, très technique que nous avons mis beaucoup de temps à négocier. En plus de cet accord, nous avons mis en place une méthodologie sur "l'étude des impacts humains". En amont de tout projet, nous DRH, nous procédons à une étude sur les impacts d'un projet sur les RH dans l'entreprise : sur les conditions de travail, sur les compétences, sur l'emploi éventuellement, sur le management... Si je schématise, avant, le projet arrivait souvent " ficelé " à la DRH et il fallait "se débrouiller" avec. Maintenant il faut que nous, DRH, soyons tout en amont des projets car le rythme des évolutions s'accélère.

"La DRH n'accompagne pas les projets, elle les co-construit"

Cela correspond aussi à un changement de position du DRH ?

Complètement. Il faut que la DRH soit très proche des métiers, que nous soyons présents partout, et pas seulement en accompagnement. Je n'aime pas entendre cette phrase : "La DRH doit accompagner les projets". Non ! On ne les accompagne pas, on les co-construit, et c'est une vraie différence de positionnement du DRH dans toutes les entreprises. Un rôle moins visible mais beaucoup plus stratégique, positionné en amont de tous les projets