Sur quoi baser
l'évaluation ?
Il faut sans doute commencer
par définir la performance, puis faire en sorte que l'évaluateur
et l'évalué négocient réellement cette définition.
Elle est absolument essentielle, car l'accès aux ressources rares
est rare ! Il est donc concurrentiel. Si la mesure de la performance sert
à sélectionner ceux qui y auront accès, le rapport de force
reste primordial. C'est à cause de lui que les femmes sont moins payées
que les hommes et, plus globalement, que les inégalités peuvent
se creuser : ce sont les plus formés qu'on forme le plus, etc.
"L'entreprise doit donner une très
large autonomie à l'évaluateur direct" |
L'évaluation
et l'entretien d'évaluation marchent bien uniquement s'il y a eu un compromis
entre les parties sur la définition de la performance. Cela signifie se
mettre d'accord, non seulement sur des volumes et des réalisations, mais
aussi sur les conditions d'obtention des résultats, les difficultés
rencontrées "en vrai", les aléas, les enjeux. L'entreprise
doit donner une large autonomie, une très large délégation
à l'évaluateur direct pour négocier cette définition
de la performance. Les deux côtés doivent comprendre la même
chose dans "performance", au point que si un résultat peut paraître
mauvais via des indications chiffrées, il est peut-être "très
bon" si l'on tient compte des réalités (sur des gains en compétences
par exemple), les deux le sauront.
Mais
il faut garder à l'esprit que ce principe s'oppose directement à
l'idée commune que l'on se fait de l'objectivité nécessaire,
à base de "chiffres qui ne mentiraient pas" précisément
pour contrer "la note de gueule, l'arbitraire patronal
".
Que
faut-il mesurer ?
La seule performance - y compris
en termes de compétences - ne suffit pas à l'évaluation,
même sous l'angle d'un processus de réduction des a priori. D'autres
critères sont et doivent être pris en compte comme le potentiel,
la conformité, l'effet de halo, l'affectif, l'ancienneté, le présentéisme
On sait bien que culturellement, l'âge et les diplômes pèsent
lourd.
"Le système marche mieux quand on ne
dit pas à quoi il sert" |
Pour autant,
même si c'est un peu choquant, là n'est pas l'essentiel. Qu'importe
ce que l'on mesure, si la décision qui est prise à l'issue de l'évaluation
est bonne. Il n'y a pas de système hiérarchisé stable sans
une organisation de l'accès aux ressources rares. Si on continue avec les
systèmes actuels, même très insatisfaisants, c'est bien parce
qu'on ne peut pas mettre un paquet de billets dans la cour et dire à tout
le monde "allez-y, prenez". Donc on invente un système d'une
rationalité apparente suffisante pour être acceptable socialement.
Pour l'instant, ce qui semble le plus juste des deux côtés, le plus
consensuel, c'est le recours à la notion de performance, celle qui permet
le mieux de réguler les rapports de force.
Quand
la performance n'est pas mesurable facilement - sur des notions comportementales
par exemple : le salarié pourra arguer "j'ai été
plus réactif" et son supérieur lui répondre "je
n'ai pas vu la différence" -, la réponse est dans la méthode.
En l'occurrence, dans la qualité du dialogue, au niveau le plus décentralisé
possible. Il ne faut jamais oublier que la finalité est la sélection.
Cela n'empêche pas que le système marche parfois mieux quand on ne
dit pas explicitement à quoi il sert.
Pourtant,
vous voyez déjà une limite à cette méthode
La
limite principale est que les entreprises n'ont pas confiance dans leurs managers.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'entreprise développe un système
de mesures et empêche les managers de s'approprier la question. Qui plus
est, très souvent, celui qui décide de l'augmentation n'est pas
l'évaluateur. La seule issue est de faire confiance au manager pour fixer
les objectifs au plus près de la réalité et de s'assurer
d'un dialogue de qualité.
"On invente un système d'une rationalité
suffisante pour être acceptable socialement" |
Il
est vrai également que le salarié non plus ne fait pas confiance
à son patron et préférerait souvent, dans la culture française,
ne pas participer explicitement à son évaluation, comme Philippe
d'Iribarne l'explique dans La Logique de l'honneur : il se demande
bien pourquoi on vient lui "chercher des poux"
La vraie noblesse
du patron à la française ne serait-elle pas de se rendre compte
des mérites de ses subordonnés
sans passer par des comptes
d'apothicaires ?
Tout cela
ne se résume-t-il pas à une simple question d'argent ?
Oui
et non. On ne peut pas rétribuer seulement avec des signes immatériels
comme des responsabilités, par exemple : si la contribution du salarié
augmente, il finira toujours par demander une augmentation en euros. Donc en entretien
d'évaluation, "tout le monde y pense". Mais pour que le processus
d'évaluation fonctionne, la question de l'argent doit parfois être
savamment occultée.