Interview de Xavier Baron

Sommaire

Sur quoi baser l'évaluation ?

Il faut sans doute commencer par définir la performance, puis faire en sorte que l'évaluateur et l'évalué négocient réellement cette définition. Elle est absolument essentielle, car l'accès aux ressources rares… est rare ! Il est donc concurrentiel. Si la mesure de la performance sert à sélectionner ceux qui y auront accès, le rapport de force reste primordial. C'est à cause de lui que les femmes sont moins payées que les hommes et, plus globalement, que les inégalités peuvent se creuser : ce sont les plus formés qu'on forme le plus, etc.

 

"L'entreprise doit donner une très large autonomie à l'évaluateur direct"

L'évaluation et l'entretien d'évaluation marchent bien uniquement s'il y a eu un compromis entre les parties sur la définition de la performance. Cela signifie se mettre d'accord, non seulement sur des volumes et des réalisations, mais aussi sur les conditions d'obtention des résultats, les difficultés rencontrées "en vrai", les aléas, les enjeux. L'entreprise doit donner une large autonomie, une très large délégation à l'évaluateur direct pour négocier cette définition de la performance. Les deux côtés doivent comprendre la même chose dans "performance", au point que si un résultat peut paraître mauvais via des indications chiffrées, il est peut-être "très bon" si l'on tient compte des réalités (sur des gains en compétences par exemple), les deux le sauront.

 

Mais il faut garder à l'esprit que ce principe s'oppose directement à l'idée commune que l'on se fait de l'objectivité nécessaire, à base de "chiffres qui ne mentiraient pas" précisément pour contrer "la note de gueule, l'arbitraire patronal…".

 

Que faut-il mesurer ?

La seule performance - y compris en termes de compétences - ne suffit pas à l'évaluation, même sous l'angle d'un processus de réduction des a priori. D'autres critères sont et doivent être pris en compte comme le potentiel, la conformité, l'effet de halo, l'affectif, l'ancienneté, le présentéisme… On sait bien que culturellement, l'âge et les diplômes pèsent lourd.

 

"Le système marche mieux quand on ne dit pas à quoi il sert"

Pour autant, même si c'est un peu choquant, là n'est pas l'essentiel. Qu'importe ce que l'on mesure, si la décision qui est prise à l'issue de l'évaluation est bonne. Il n'y a pas de système hiérarchisé stable sans une organisation de l'accès aux ressources rares. Si on continue avec les systèmes actuels, même très insatisfaisants, c'est bien parce qu'on ne peut pas mettre un paquet de billets dans la cour et dire à tout le monde "allez-y, prenez". Donc on invente un système d'une rationalité apparente suffisante pour être acceptable socialement. Pour l'instant, ce qui semble le plus juste des deux côtés, le plus consensuel, c'est le recours à la notion de performance, celle qui permet le mieux de réguler les rapports de force.

 

Quand la performance n'est pas mesurable facilement - sur des notions comportementales par exemple : le salarié pourra arguer "j'ai été plus réactif" et son supérieur lui répondre "je n'ai pas vu la différence" -, la réponse est dans la méthode. En l'occurrence, dans la qualité du dialogue, au niveau le plus décentralisé possible. Il ne faut jamais oublier que la finalité est la sélection. Cela n'empêche pas que le système marche parfois mieux quand on ne dit pas explicitement à quoi il sert.

 

Pourtant, vous voyez déjà une limite à cette méthode…

La limite principale est que les entreprises n'ont pas confiance dans leurs managers. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'entreprise développe un système de mesures et empêche les managers de s'approprier la question. Qui plus est, très souvent, celui qui décide de l'augmentation n'est pas l'évaluateur. La seule issue est de faire confiance au manager pour fixer les objectifs au plus près de la réalité et de s'assurer d'un dialogue de qualité.

 

"On invente un système d'une rationalité suffisante pour être acceptable socialement"

Il est vrai également que le salarié non plus ne fait pas confiance à son patron et préférerait souvent, dans la culture française, ne pas participer explicitement à son évaluation, comme Philippe d'Iribarne l'explique dans La Logique de l'honneur : il se demande bien pourquoi on vient lui "chercher des poux"… La vraie noblesse du patron à la française ne serait-elle pas de se rendre compte des mérites de ses subordonnés… sans passer par des comptes d'apothicaires ?

 

Tout cela ne se résume-t-il pas à une simple question d'argent ?

Oui et non. On ne peut pas rétribuer seulement avec des signes immatériels comme des responsabilités, par exemple : si la contribution du salarié augmente, il finira toujours par demander une augmentation en euros. Donc en entretien d'évaluation, "tout le monde y pense". Mais pour que le processus d'évaluation fonctionne, la question de l'argent doit parfois être savamment occultée.

 



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