Interview de Xavier Baron

Sommaire

Entre rituel d'affiliation et régulation du rapport de force, l'évaluation des salariés servirait à tout sauf à évaluer. Xavier Baron, ancien de la DRH de Snecma et spécialiste de la question, analyse sans tabou les limites de la méthode... et sa fonction véritable.

 

Xavier Baron
 

Xavier Baron, directeur de BCRH
Photo © Xavier Baron

 

Comment évaluer la performance lorsque le travail devient immatériel ? L'individualisation est-elle pertinente pour tous ? Pourquoi n'y a-t-il pas de système d'évaluation parfait ? Xavier Baron est l'un des plus grands spécialistes de la question. Sans concession, il décortique une pratique qu'il juge tout à la fois impossible et indispensable.

 

 

Comment analysez-vous la pratique actuelle de l'évaluation de la performance ?

Xavier Baron. La performance, c'est l'atteinte des résultats assignés. Reste bien sûr à formaliser les résultats attendus. Assez souvent, cette difficulté est partiellement contournée en proposant aux salariés de définir eux-mêmes leurs objectifs, éventuellement en présentant cette méthode sous couvert de convivialité. Cela présente deux avantages : le salarié peut moins bien échapper aux objectifs qu'il s'est lui-même fixés et dans la pratique, il est souvent plus exigeant que son manager. C'est une façon pour l'entreprise, sans doute un peu perverse, d'échapper aux difficultés de l'évaluation des performances.

 

"L'enjeu, c'est l'accès aux ressources rares que sont l'augmentation et la promotion"

L'enjeu commun à toutes les entreprises, c'est de réguler l'accès aux ressources rares que sont l'augmentation individuelle, la promotion et parfois la formation. Quoi et comment récompenser varient selon les niveaux et les métiers. On a constaté par exemple que l'individualisation des rémunérations chez les ouvriers est très développée en France. Sauf qu'elle s'appuie sur l'âge, le diplôme, l'ancienneté, la situation familiale, le comportement, l'absentéisme… et ne récompense que rarement la performance. Bref, c'est une pratique déjà banalisée, toujours en expansion, et pourtant extraordinairement insatisfaisante au quotidien, au point qu'il faille régulièrement la revoir.

 

Quelle évolution constatez-vous ?

On tend à proposer à l'ensemble des salariés des méthodes de mesure de la performance conçues à l'origine pour les commerciaux. Dans ce métier, où il y a commissionnement - direct ou indirect -, on mesure l'activité via la vente. Or même dans le monde commercial, cette mesure est extrêmement complexe. Elle dépend du type de produit, de la marge qu'on considère, du taux de renouvellement des clients… Quel que soit le soin accordé au plan de commissionnement, on constate au final bien des "arrangements", quand les acteurs ne sont pas obligés de tout "bidonner" ! On invente d'autres indicateurs, on les pondère, on garde de la marge pour l'année suivante…. Dans les années 80, Sony France par exemple posait déjà la question : "Si le produit est bon, il se vend : pourquoi sur-récompenser le commercial ? Et s'il n'est pas bon, il ne se vend pas : pourquoi le punir ?" Si cette méthode de mesure de la performance est déjà contestable pour les commerciaux, elle l'est encore davantage pour les autres professions.

 

"Entre le travail de l'individu et l'efficacité de ce travail, il y a tout le filtre de l'organisation"

Par ailleurs, traditionnellement, on payait l'ouvrier pour un travail et non pour ses compétences. La légitimité de cette méthode était imparable : à travail égal, salaire égal. On le payait deux fois plus cher pour lui acheter deux charrettes plutôt qu'une seule. Progressivement, on a payé non plus à la pièce, mais au temps passé en heures, puis à la quinzaine, puis au mois, pour arriver au salaire annuel. Le lien entre la production individuelle - donc sa performance - et la rémunération s'est ainsi distendu.

 

De plus, l'individu et le produit aussi se sont éloignés l'un de l'autre…

La complexité croissante des systèmes de production exige toujours plus de coordination et de coopération entre les salariés, entre les métiers et même aujourd'hui, entre des acteurs indépendants sur le marché dans le monde entier… Ainsi, la tâche du vendeur n'est pas indépendante de l'attractivité du produit et l'acte de vente n'est pas seulement individuel. D'où une distance accrue entre l'acte productif d'une personne et le produit. Ainsi que l'explique Philippe Zarifian - je cite de mémoire - : "Entre le travail de l'individu et l'efficacité de ce travail, il y a tout le filtre de l'organisation".

 

Les premières approches de l'organisation partaient des exigences techniques de la réalisation des produits. La mesure de la performance peut alors en principe être mesurée par le nombre de produits conformes. Les démarches actuelles, avec l'exigence de qualité totale, privilégient plutôt les processus. Le "produit" est moins matériel. On l'analyse aussi par le biais de la satisfaction du client ou par rapport à des définitions de poste - qui pourtant ne décrivent souvent qu'une partie du métier. C'est la raison de l'insistance à définir des objectifs qui soient "SMART", bornés dans le temps et mesurables, donc chiffrés. En pratique, on privilégie les objectifs mesurables, et donc financiers ou de volume. Si l'objectif est de "réussir le lancement d'un nouveau projet", on regardera si le taux de remplissage est bon, si les dates sont tenues ou si le budget est respecté. Mais pas si les gens gagnent en compétences.

 



JDN ManagementEnvoyerImprimerHaut de page