Marine de Boucaud (Axa France) "Nous attirons des top gun d'autres secteurs"

Le métier de l'assurance se transforme en profondeur : tournant numérique, concurrence des banques, télétravail... La DRH France détaille sa feuille de route pour aborder ces défis.

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Marine de Boucaud, DRH d'Axa France. © Axa

JDN. Parmi les 5 500 recrutements annuels d'AXA France, une part croissante concerne les spécialistes du digital. Comment leur donnez-vous envie de venir travailler dans l'assurance ?

Marine de Boucaud. On peut en effet avoir un a priori sur l'assurance, marquée par une image peu attractive. Mais depuis quelques années, notre marque employeur évolue énormément. Nous avons repensé complètement notre site de recrutement, par exemple. Nous sommes beaucoup plus proactifs, nous présentons nos métiers, nous parlons de notre actualité, de l'évolution des usages des consommateurs... Ensuite, nous avons des  actions très concrètes : un hackathon, des concours, comme celui du meilleur développeur. Au Web Center de Lille, nous accueillons des jeunes dans nos locaux pour qu'ils rencontrent des collaborateurs et leur donner envie de travailler pour nous.

Avez-vous dû repenser vos méthodes de recrutement ?

Tout à fait. Nous sommes présents sur les réseaux sociaux, LinkedIn, Twitter... Nous essayons d'être très proactifs en donnant des conseils, par exemple, sur comment chercher un job, comment écrire un CV... Cela porte ses fruits. Nous avons attiré des "top gun" d'autres secteurs. Nous avons par exemple recruté un jeune homme d'une start-up en le convainquant qu'il s'agit d'un mouvement de carrière intéressant. Lui, ce qui l'attirait, c'est cette transformation de l'entreprise, l'opportunité dans sa carrière d'impacter une entreprise et de le faire avec des moyens.

"Pour une population qui a en moyenne 47 ans, la digitalisation arrive un peu comme un tsunami"

La digitalisation de votre activité implique de recruter des profils nouveaux, mais aussi de former les effectifs déjà présent. Comment permettre à tout le monde de prendre ce virage?

Cela va même au-delà de la formation. La première chose, c'est la sensibilisation de tous nos collaborateurs, car cela peut être déstabilisant : c'est une population qui a 47 ans de moyenne d'âge et 19 ans d'ancienneté dans la maison. Cela arrive un peu comme un "tsunami", ce qui peut paraitre assez anxiogène. Concrètement, nous avons lancé en décembre 2013 le "digital tour", trois semaines pendant lesquelles nous donnions accès à tous nos collaborateurs à l'information, pour donner du sens, expliquer comment cela va les impacter... Nous avons fait des conférences, nous avons fait des e-learning, des chats. Ensuite, il y a des formations spécifiques pour certains métiers. Par exemple : le règlement sinistres. Hier, cela passait par le téléphone en suivant un certain mode de script. Aujourd'hui, cela bascule sur le chat avec des manières différentes de répondre aux questions des clients. Plus largement, nous avons lancé il y a quelques jours un serious game autour de "l'esprit de service". 2 700 collaborateurs jouent tous les jours 5 minutes pendant lesquelles leur avatar vit des situations de clientèle. C'est un pari passionnant : nous éduquons non seulement sur le digital, mais aussi sur les enjeux de l'entreprise, en l'occurrence l'esprit de service.

"En agence, il n'y a pas de baisse des effectifs, plutôt des spécialisations"

Les banques ont tendance à réduire la voilure sur les agences. Est-ce aussi votre cas ?

Les agents généraux ou ceux spécialisés dans le patrimoine ou la prévention sont des entrepreneurs, ce qui fait une grande différence par rapport aux banques. C'est un métier qu'ils font à vie. Nous sommes dans une dynamique très différente de celle du salariat en agence. Maintenant, nos agences évoluent alors qu'émerge le concept hybride d'"assurbanquier" ou de "bancassureur". Nous proposons des formations pour les agents qui veulent développer l'activité bancaire. L'évolution est constante : l'agent d'hier n'est pas l'agent de demain. En revanche, il n'y a pas de baisse des effectifs, plutôt des spécialisations ou une segmentation plus précise.

En 2014, AXA France compte 800 alternants et 800 stagiaires. Quelle proportion se transforme en CDI ?

Dans la filière commerciale, un contrat sur deux est transformé en CDI. Sur l'ensemble, la proportion est d'à peu près un tiers. Cela reste des volumes très importants et un vrai tremplin pour ces jeunes. 

"En huit ans, 900 femmes ont bénéficié d'un rattrapage salarial"

Vous avez signé une convention sur l'égalité hommes-femmes. Chez AXA France, les femmes représentent 53% des effectifs. Pourtant, dans le comité exécutif du groupe qui compte 19 membres, on ne trouve qu'une femme. L'exemple ne doit-il pas venir d'en-haut ?

Nous y sommes très attentifs. C'est un engagement du groupe depuis de nombreuses années à travers différentes actions. Sur les promotions, nous avons bien progressé : chez AXA France, il y a aujourd'hui 40% de femmes dans  l'encadrement supérieur et 31% parmi les dirigeants, contre 18% en 2006. Au comité exécutif d'AXA France, nous sommes deux femmes sur sept. Par ailleurs, nous observions historiquement des écarts de rémunération. Nous n'avons pas souhaité baisser les bras avons mis en place un budget – 5,4 millions d'euros sur les 8 dernières années- et un système qui détecte et qui évalue les écarts de salaires. A peu près 900 femmes ont bénéficié d'un rattrapage.

Vous avez signé l'an passé un contrat de génération. Comment faites-vous pour garder des seniors dans l'entreprise ?

Un de nos enjeux, étant donné notre pyramide des âges,  c'est non seulement le renouvellement des forces vives mais aussi la transmission de savoirs. Voir partir les seniors est un challenge pour nous : ils détiennent de l'expertise, de l'expérience, les valeurs de l'entreprise... Nous continuons à les former jusqu'au bout, nous leur donnons des missions motivantes. Au-delà de cela, nous arrivons aussi à mailler les générations entre elles. Ce qui est intéressant, c'est que les quatre générations présentes puissent travailler ensemble, partager les codes de l'entreprise, des pratiques managériales, du savoir technique... Et les jeunes vont aussi apporter un œil neuf, outils, pratiques. C'est extrêmement enrichissant. Nous avons souhaité signer un accord et nous avons été le précurseur dans le secteur. Nous en sommes très fiers.

"L'idée, c'est d'aller rapidement au-delà de 500 salariés en télétravail"

Pourquoi avoir signé un accord sur le télétravail ?

Cela fait partie de notre attractivité. Nous attirons sur certains métiers -et les jeunes générations sont assez exigeantes- sur le cadre de travail. Concernant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, nous proposons différents formules de temps partiel qui concernent 22% des effectifs. Nous avons aussi souhaité proposer le télétravail avec un objectif de 500 personnes fin 2015. Nous avons 340 personnes aujourd'hui. Et les retours sont excellents.

500 personnes sur 15 000, cela ne représente malgré tout qu'une petite partie des collaborateurs. Est-ce compliqué à mettre en place ? 

Nous avons souhaité déployer progressivement le télétravail. Nous voulions que les technologies fonctionnent. Le risque de défiance est aussi important : nous voulions que les managers soient impliqués. Nous avons lancé différentes formules : une ou deux journées par semaine, quatre journées dans le mois... Et nous adaptons au fur et à mesure, nous sommes vraiment dans le test and learn. Mais, l'idée, c'est d'aller rapidement au-delà de cette première étape.

"Axa a créé le CV anonyme, mais aujourd'hui, les usages ont totalement changé"

La diversité est un thème présent depuis longtemps chez Axa. Le Conseil d'Etat veut voir appliquée la loi imposant le CV anonyme. Quel est votre avis sur ce dispositif ? 

Axa a créé le CV anonyme il y a quelques années. Nous avons mis en place ce système pour répondre en 2006 à un besoin précis et cela a vraiment porté ses fruits. Aujourd'hui, les usages ont totalement changé. Les candidats affichent leurs photos, leurs compétences, leurs hobbies... Ils sont plutôt en surinformations, ils mettent des vidéos avec leur CV. Nous avons les mêmes convictions, ce sont les outils qui ont évolué et l'époque qui a changé.

Le groupe se développe à l'étranger. La France est-elle encore une priorité ?

Nous représentons un quart du chiffre d'affaires du groupe, nous accompagnons 9 millions de clients, nous sommes innovants sur les technologies, l'esprit de service... Nous sommes aussi un contributeur important en termes de talents : nous envoyons beaucoup de nos collaborateurs en expatriation participer à la croissance du groupe. La France reste un acteur clé pour le développement du groupe.

"J'ai impulsé la culture du feedback"

Vous avez travaillé aux Etats-Unis comme chasseuse de têtes. Qu'avez-vous importé des Américains chez Axa France ?

Un exemple concret de ce que j'ai pu impulser, c'est la culture du feedback. Même si cela ne se pratique pas seulement aux Etats-Unis, c'est quelque chose de très intéressant autour d'un moment d'attention avec un collaborateur ou un pair. C'est une pratique qui prend peu de temps mais qui est extrêmement puissante dans un monde qui bouge beaucoup et dans lequel nous avons besoin de nous ajuster de manière constante.

Comment arrive-t-on à diffuser une telle pratique dans une entreprise de la taille d'Axa ?

Nous avons réuni les 50 top managers pendant une journée pour expliquer ce que l'on doit faire, ce que l'on ne fait pas, ce qui marche dans le feedback. Puis nous l'avons testé, sur deux ou trois minutes. Maintenant, nous l'avons déployé dans l'ensemble de l'entreprise. Cela fait partie de notre évolution culturelle. Grâce mon parcours franco-américain, j'ai souhaité donner cette impulsion et cela prend.