Congé sabbatique : bonne ou mauvaise idée ?

Congé sabbatique : bonne ou mauvaise idée ? Si les salariés vantent les vertus des vacances prolongées, ce n'est pas forcément le cas des employeurs.

Tous ceux qui ont sauté le pas évoquent une "reconnexion avec le temps" ou "le plaisir de regarder un coucher de soleil". Le congé sabbatique : rien que le terme suscite déjà des images de plages au sable chaud, de trekking en Mongolie ou de projet humanitaire.

En 1983, lors de la discussion du projet de loi à l’Assemblée nationale, on assistait à des envolées lyriques : Martine Frachon, rapporteur parlementaire, en parlait comme d’une "liberté offerte aux plus imaginatifs de réaliser leurs rêves (…)." Dernièrement, c’est la présidente des jeunes socialistes, Laura Slimani, qui souhaitait le développer pour dégager des emplois.

"Un responsable de banque avait retrouvé un poste similaire à son retour, mais au lieu d’encadrer 20 personnes, il n’en dirigeait plus que 4"

Mais au-delà de ces bonnes intentions, le salarié redoute parfois de se lancer dans l’aventure : peur de ne pas retrouver son poste ou que ce soit un frein pour sa carrière. Le congé sabbatique est-il un plus ou un moins sur un CV ?

D'abord, selon les motivations et l’ancienneté de l’employé, plusieurs solutions existent pour lui assurer le maintien dans l’entreprise : congé sans solde, créateur d’entreprise ou sabbatique en tant que tel. Dans ce dernier cas, le salarié doit satisfaire quelques conditions :

  • Au moins 6 années d’activité professionnelle
  • 36 mois d’ancienneté dans l’entreprise minimum
  • Ne pas avoir déjà pris un congé sabbatique dans la même entreprise durant les 6 dernières années.

L’employeur peut seulement refuser si l’entreprise compte moins de 200 salariés et si cela "porte atteinte à la production et à la bonne marche de l’entreprise. Or, c’est extrêmement difficile à prouver et cela concerne surtout les très petites entreprises", souligne maître Laurent Cruciani, avocat spécialisé en droit social au cabinet Capstan.

Si la demande est faite dans les règles de l’art, il ne devrait donc pas y avoir de problème. Le salarié doit retrouver son poste ou un autre similaire à l’issue de son congé sabbatique. C’est-à-dire : avec le même salaire, les mêmes horaires et le même échelon. "Un responsable de banque avait retrouvé un poste similaire dans une autre agence à son retour, mais au lieu d’encadrer 20 personnes, il n’en dirigeait plus que 4. Le jugement a donc été rendu en faveur du salarié", ajoute Laurent Cruciani. Si son contrat original ne prévoit pas de clause de mobilité, l’employé doit également être réaffecté dans un rayon de 30 à 40 km de son ancien travail.

"Partir avec un projet est une des clefs du succès pour une année sabbatique"

Grégoire Even a pris une année sabbatique en 2009-2010 et n’a eu aucun problème que ce soit au départ ou au retour. Il faut dire qu’il était alors dans un environnement professionnel favorable : cadre dans l’organisation de défense de la nature WWF, il voulait se lancer dans un projet avec des amis de sensibilisation sur la pollution de l’eau. "Nous sommes partis de Bretagne, puis nous sommes allés au Maroc, puis au Sénégal et enfin en Guadeloupe. Chaque fois, nous intervenions auprès des enfants et nous filmions un documentaire de 26 minutes Ça nous a structurés pendant toute cette année. Partir avec un projet est une des clefs du succès pour une année sabbatique".

Depuis qu’il est rentré, il a quitté WWF et les recruteurs lui parlent à chaque fois de cette expérience qu’il n’a aucun mal à vendre : "Ça a été un véritable atout par la suite, personne ne m’a dit que je me l’étais coulée douce, ça montrait au contraire que je pouvais être très motivé".

Caroline, psychomotricienne dans un établissement privé, avait, elle, opté pour un congé sans solde de six mois. Après un périple en Asie du sud-est et quelques formations sur place au massage ou à un art martial, elle a pu réintégrer sa structure sans souci. Un voyage aussi exotique qu’introspectif : "Aujourd’hui, ces expériences m’aident dans mon travail. Non pas que je les utilise régulièrement, mais psychiquement, ça m’a fait du bien". Elle admet bien volontiers que le marché du travail joue en sa faveur : "De toute façon, il y a de la demande dans mon secteur, donc je savais que j’allais retrouver du travail".

"Il y a de la demande dans mon secteur, je savais que j’allais retrouver du travail"

Toutefois, Caroline n’a pas pu s’empêcher de ressentir un peu de culpabilité bien que personne ne lui ait reproché d’avoir pris autant de vacances. "Cette culpabilité est raisonnée, car le temps libre, quand il est trop libre et centré sur soi, donne le sentiment d’inutilité sociale. Si on s’enferme dans ses propres désirs, on risque de s’y noyer", explique Pierre-Henri Tavoillot, philosophe et auteur de Philosophie des âges de la vie.

Lui défend le projet d’une année sabbatique qui pourrait être débitée de la retraite et donc rémunérée : "L’année de répit est une idée importante, car la période adulte est pressée de toute part par des injonctions professionnelles et familiales." L’occasion de s’occuper d’un parent malade, d’un enfant en difficulté ou de s’engager dans une reconversion professionnelle. Seulement, il nuance : "L’idée est difficile à mettre en place dans le contexte économique actuel et les salariés ont un savoir-faire qui ne peut pas être remplacé du jour au lendemain".

Si j’avais face à moi un candidat qui a déjà pris une année sabbatique pour voyager, je saurais pertinemment qu’il voudra repartir à un moment ou à un autre

Cette inquiétude existe chez les employeurs lors du recrutement. Sylvie Clergerie a pris un an pour faire le tour du monde et elle dirige aujourd’hui une entreprise de service à la personne d’une vingtaine de salariés. "Si j’avais face à moi un candidat qui a déjà pris une année sabbatique pour voyager, je saurais pertinemment qu’il voudra repartir à un moment ou à un autre puisque je suis dans le même cas." Avec son expérience toutefois, elle considère que cela représente un plus sur le CV : "C’est la preuve qu’on peut s’organiser sur le long terme."

Mais reprendre la vie de salarié n’est pas toujours un objectif : de nombreuses personnes interrogées ont monté une entreprise après leur année sabbatique, comme si elle leur avait servi de galop d’essai.